Il poursuivit, un léger sourire aux lèvres :
« Je me sentais bien intimidé en arrivant ici, mais j’avais tort. Mr. Lee m’accueillit chaleureusement et a même insisté pour que je passe les fêtes de Noël avec sa famille. Je craignais d’être indiscret et refusai, mais il ne voulut rien entendre. »
Confus, il ajouta :
« Tous ont été extrêmement gentils pour moi… Mr. et Mrs. Alfred Lee se sont montrés on ne peut plus aimables. Je suis très ennuyé qu’il leur arrive une histoire pareille.
— Depuis combien de temps êtes-vous ici, Mr. Farr ?
— Je suis arrivé hier.
— Avez-vous vu Mr. Lee aujourd’hui ?
— Oui. Je suis allé bavarder avec lui ce matin. Il était d’excellente humeur et voulait entendre les nouvelles de là-bas, des villes et des gens qu’il avait connus.
— Ce fut la dernière fois que vous le vîtes ?
— Oui.
— Vous a-t-il dit qu’il conservait dans son coffre-fort une quantité de diamants bruts ?
— Non. »
Avant que son interlocuteur pût intervenir, Stéphen ajouta :
« Voulez-vous dire que le meurtre a été commis pour s’emparer des diamants ?
— Nous ne pouvons encore rien affirmer, dit Johnson. Pour en revenir aux événements de ce soir, voulez-vous me donner l’emploi exact de votre temps après le dîner ?
— Certainement. Après que les dames eurent quitté la salle à manger, je restai prendre un verre de porto. Puis, comprenant que les frères Lee voulaient discuter affaires et que ma présence pouvait les gêner, je m’excusai et sortis.
— Et que fîtes-vous alors ? »
Stéphen Farr se renversa sur le dossier de sa chaise.
De l’index, il se caressa la joue. Il répondit d’un air placide :
« Je… je me rendis dans une grande pièce au parquet bien lisse… une salle de bal, me dis-je. En effet il s’y trouvait un gramophone, avec des disques de musique de danse. »
Poirot observa :
« Vous espériez que quelqu’un viendrait vous y rejoindre ? »
Un sourire effleura les lèvres de Stéphen Farr.
« C’est possible. On espère toujours. »
Et il découvrit ses dents blanches en un rire joyeux.
« La señorita Estravados est très jolie, remarqua Poirot.
— C’est de beaucoup la plus belle personne que j’aie vue depuis mon arrivée en Angleterre, répondit Stéphen.
— Miss Etravados est-elle venue vous rejoindre dans la salle de bal ? demanda le colonel Johnson.
— Non. J’attendais encore lorsque le vacarme se produisit là-haut. Je courus vers le vestibule et montai l’escalier en vitesse pour voir ce qui se passait. J’aidai Harry Lee à briser la porte.
— C’est tout ce que vous pouvez nous dire ?
— Absolument tout. »
Hercule Poirot se pencha en avant et dit au jeune homme :
« Je crois, Mr. Farr, que, si vous le vouliez, vous pourriez nous renseigner sur bien des points.
— Comment ? fit Stephen interloqué.
— Vous pouvez nous parler d’une chose très importante dans le cas qui nous occupe… le caractère de Mr. Lee. Votre père, disiez-vous, parlait beaucoup de son ami. Quel genre d’homme était Siméon Lee ?
— Je vois ce que vous désirez savoir. Comment était Siméon Lee dans sa jeunesse ? Dois-je vous parler en toute franchise ?
— Je vous en prie.
— Eh bien, tout d’abord, laissez-moi vous dire que Siméon Lee n’était pas d’une très haute moralité. Ce n’était pas certes un escroc, mais bien des fois il frisa l’illégalité. Il possédait beaucoup de charme et se montrait d’une générosité étonnante. Jamais on ne faisait appel en vain à lui dans le malheur. Il buvait un peu, mais sans exagération, il plaisait aux femmes et avait un caractère très gai. Toutefois, lorsqu’on lui avait manqué, il se vengeait tôt ou tard. Mon père le comparait à l’éléphant « qui n’oublie jamais » et il m’a cité des cas où son vieil ami a attendu plusieurs années pour assouvir sa rancune. »
Le chef de police Sugden observa :
« Il n’est sans doute pas le seul de cette espèce. Ne connaîtriez-vous pas quelqu’un à qui Siméon Lee aurait joué un mauvais tour en Afrique du Sud ? N’existe-t-il pas dans son passé une histoire qui aurait son épilogue dans le crime d’aujourd’hui ? »
Stéphen Farr hocha la tête :
« Il avait des ennemis, certainement, étant donné sn caractère. Mais j’ai questionné Tressilian, et ce soir aucun étranger ne s’est trouvé à l’intérieur de la maison, ni dans les alentours.
— À l’exception de vous, Mr. Farr », lui dit Poirot.
Stéphen Farr se retourna vivement vers le détective.
« Tiens ! Tiens ! Je serais l’étranger sur qui pèsent les soupçons ? Je vous déclare dès maintenant que vous faites fausse route. Dans le passé de Siméon Lee vous ne trouverez aucune querelle entre lui et mon père qui ait pu décider le fils d’Eb à venir en Angleterre venger son papa ! Non ! je suis venu ici, comme je vous l’ai dit, simplement par curiosité. De plus, je puis vous fournir un excellent alibi. Je faisais marcher le gramophone et n’ai cessé de changer les disques. Pendant un morceau je n’aurais jamais eu le temps de monter l’escalier… de couper la gorge du vieux Siméon, de laver le sang sur mes mains et de redescendre, avant l’arrivée des autres. Quelle farce ! »
Le chef constable calma le jeune homme :
« Nous ne vous suspectons nullement, Mr. Farr.
— Le ton de M. Poirot ne m’a pas plu du tout, expliqua Stéphen.
— C’est bien dommage ! » dit Hercule Poirot en souriant gentiment.
Stephen Farr lui lança un regard furibond.
Vivement, le colonel Johnson intervint.
« Mr. Farr, je vous remercie. Ce sera tout pour le moment. Naturellement, vous ne devez pas quitter cette maison. »
Stephen acquiesça d’un signe de tête. Il se leva et sortit d’un pas léger.
La porte refermée derrière Stephen Farr, Johnson remarqua :
« Voilà X… notre inconnu. Son histoire paraît assez exacte, mais encore… Il peut avoir volé les diamants… s’être introduit dans cette maison sous un faux prétexte. Prenez ses empreintes, Sugden, et voyez s’il est déjà connu de la police.
— Je les ai prises, annonça le chef de police avec un sourire.
— Parfait ! Vous n’oubliez rien, Sugden. Sans doute avez-vous pris toutes les dispositions habituelles ? »
Sugden enumera sur ses doigts :
« Oui. J’ai donné des ordres pour que l’on contrôle les appels téléphoniques, l’heure à laquelle Horbury est sorti… les allées et venues des domestiques… les situations financières des membres de la famille… J’ai fait fouiller la maison pour retrouver l’arme du crime, les taches de sang sur les vêtements… et aussi les diamants, qui ne sont peut-être pas loin.
— Il me semble que vous avez songé à tout Sugden », approuva Johnson, qui se tourna vers Poirot et lui demanda : « Vous ne voyez rien d’autre ? »
Hercule Poirot hocha la tête :
« Il me semble que votre chef de police s’y entend admirablement. »
L’air soucieux, le chef de police observa :
« Ce ne sera pas une mince affaire que de fouiller cette grande maison pour retrouver les diamants. De ma vie je n’ai vu tant de vases, de statues, de babioles et de tableaux aux murs !
— Les cachettes ne manquent certes pas ! acquiesça Poirot.
— Alors, Poirot, vous ne voyez aucune suggestion à formuler ? demanda le chef constable, dépité comme quelqu’un dont le chien refuse de faire le beau.
— Voulez-vous me permettre d’agir à ma guise ? demanda le détective belge.
— Certainement… certainement », dit Johnson.
Au même instant, Sugden demandait d’un air soupçonneux : « Comment cela, monsieur Poirot ?
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