— Avez-vous dit Mr. Sugden, ou avez-vous parlé de la police ?
— Je me rappelle lui avoir dit que le chef de police était là.
— Et Horbury lâcha la tasse, dit Poirot.
— Voilà qui paraît bizarre, murmura le chef constable. Horbury vous posa-t-il des questions sur la visite du chef de police ?
— Oui, il me demanda ce qu’il venait faire dans la maison. Je répondis qu’il venait quêter pour l’orphelinat de la police et qu’il était monté voir Mr. Lee.
— Ce renseignement parut-il le satisfaire ?
— Maintenant que vous en parlez, monsieur, je me souviens qu’il a changé aussitôt et il a même dit que Mr. Lee était un homme généreux… qui avait le cœur sur la main… Ensuite il est sorti.
— Par où ?
— Par la porte de service, monsieur. »
Sugden intervint.
« C’est exact, monsieur, il a passé par la cuisine où la cuisinière et la petite bonne l’ont vu, et il est sorti par la porte de derrière.
— Écoutez-moi, Tressilian, dit Johnson, réfléchissez avant de répondre. Horbury n’aurait-il pu, par un moyen quelconque, revenir à la maison sans être vu de personne ? »
Le vieux serviteur secoua la tête. « Je ne vois pas par où il aurait pu rentrer, monsieur. Toutes les portes sont fermées à clef.
— Supposez qu’il ait eu une clef.
— Les portes sont également verrouillées.
— Alors, comment fera-t-il pour rentrer ?
— Il a la clef de la porte de service, monsieur. Tous les serviteurs passent par là.
— Eh bien, il aurait pu revenir par là.
— Pas sans traverser la cuisine, monsieur. Et il y a toujours quelqu’un dans la cuisine jusqu’à neuf heures et demie ou dix heures moins le quart.
— Voilà qui paraît concluant, dit le chef constable. Merci, Tressilian. »
Le vieux domestique se leva et, en saluant, quitta la pièce. Il reparut au bout d’une minute.
« Horbury vient de rentrer, monsieur. Voulez-vous le voir ?
— Oui, s’il vous plaît. Faites-le venir tout de suite. »
La physionomie de Sydney Horbury ne plaidait pas en sa faveur. Il entra dans la pièce, et, l’air embarrassé, se frottant les mains l’une contre l’autre, il jetait des regards furtifs aux personnes présentes.
« Est-ce vous Sydney Horbury ? lui demanda Johnson.
— Oui, monsieur.
— Valet de chambre du défunt Mr. Lee ?
— Oui, monsieur. (Il reprit ses manières onctueuses.) C’est affreux, n’est-ce pas, monsieur. J’ai cru tomber à la renverse quand Gladys m’a annoncé la nouvelle. Pauvre vieux monsieur… »
Johnson l’interrompit :
« Contentez-vous de répondre à mes questions, je vous en prie.
— Bien, monsieur.
— À quelle heure êtes-vous sorti ce soir, et où êtes-vous allé ?
— J’ai quitté la maison un peu avant huit heures, monsieur, et je suis allé au cinéma qui se trouve à cinq minutes d’ici voir jouer L’Amour à Séville .
— Vous a-t-on vu au cinéma ?
— La dame qui tient la caisse me connaît, monsieur, ainsi que l’ouvreuse. De plus, je m’y trouvais en compagnie de mon amie à qui j’avais donné rendez-vous.
— Ah ! Comment se nomme-t-elle ?
— Doris Buckle, monsieur. Elle travaille aux Laiteries réunies, 23, Markham Road, monsieur.
— Bien. Nous contrôlerons ces renseignements. Êtes-vous rentré directement ?
— Non. Je suis allé d’abord reconduire mon amie. Puis je suis venu tout droit ici. Je dis la vérité, monsieur. Je n’ai rien à voir dans ce crime. J’étais… »
D’un ton bienveillant, le colonel Johnson lui dit :
« Personne ne vous accuse.
— Bien sûr, monsieur. Mais c’est ennuyeux quand un meurtre arrive chez les gens que vous servez.
— Naturellement. Étiez-vous depuis longtemps au service de Mr. Lee ?
— Un peu plus d’un an, monsieur.
— Cette place vous plaisait-elle ?
— Oui, monsieur. J’en étais satisfait. On me payait bien. Mr. Lee n’était pas toujours commode, mais je supportais son caractère difficile.
— Vous avez peut-être une certaine expérience des invalides ? intervint le chef de police.
— Oh ! oui, monsieur. J’ai été au service du major West et de l’honorable Jasper Finch…
— Vous expliquerez tout cela à Sugden plus tard, dit le colonel Johnson. Je voudrais savoir à quelle heure vous avez vu Mr. Lee vivant pour la dernière fois.
— Vers sept heures et demie, monsieur. Tous les soirs, à sept heures, je portais à mon maître un léger repas et je le préparais pour le lit. Ensuite, il restait assis dans son fauteuil, en robe de chambre, à côté du feu, jusqu’à ce que l’envie lui prenne de se coucher.
— À quelle heure environ ?
— Cela dépend, monsieur. Quelquefois, il se couchait de bonne heure, à huit heures… s’il se sentait fatigué. D’autres soirs, il veillait jusqu’à onze heures.
— Vous prévenait-il lorsqu’il voulait se coucher ?
— Oui, monsieur, il sonnait.
— Et vous l’aidiez à se mettre au lit ?
— Oui, monsieur.
— Mais ce soir, vous étiez libre…
— Oui, monsieur, le vendredi est mon jour de sortie.
— Et comment aurait fait Mr. Lee pour aller se coucher ?
— Il aurait sonné et Tressilian ou Walter serait venu l’aider.
— Était-il impotent… ou pouvait-il se mouvoir seul ?
— Il se déplaçait seul, mais assez difficilement. Il était arthritique et souffrait de rhumatismes, monsieur, et certains jours plus que d’autres.
— Allait-il dans d’autres pièces pendant la journée ?
— Non, monsieur. Il préférait demeurer dans sa chambre à coucher, une pièce spacieuse et bien éclairée.
— Vous disiez que Mr. Lee avait dîné à sept heures ?
— Oui, monsieur. J’enlevai ensuite le plateau et plaçai la bouteille de sherry et deux verres sur le bureau.
— Pourquoi ?
— Par ordre de Mr. Lee.
— Était-ce dans ses habitudes de vous demander le sherry ?
— De temps à autre. Il était interdit de monter voir Mr. Lee le soir, à moins qu’il n’invitât un des siens. Il préférait passer les soirées seul, mais quelquefois, il me faisait descendre pour inviter Mr. ou Mrs. Alfred, ou tous les deux, à monter après dîner.
— Mais ce soir, il ne vous chargea point de prier un membre de sa famille de venir lui tenir compagnie ?
— Non. Il ne me donna aucun message pour eux, monsieur.
— Il n’attendait donc personne de sa famille ?
— À moins qu’il n’ait prié personnellement un d’eux de monter.
— Bien sûr. »
Horbury reprit :
« Lorsque j’eus mis de l’ordre dans la chambre, je souhaitai une bonne nuit à Mr. Lee et je le quittai. »
Poirot demanda :
« Avez-vous arrangé le feu avant de descendre ? »
Le valet hésita.
« Ce n’était pas nécessaire, monsieur. Il flambait très bien.
— Est-ce que Mr. Lee aurait pu le tisonner lui-même ?
— Oh ! non, monsieur. Mr. Harry avait dû ajouter du bois dans le feu.
— Mr. Harry Lee se trouvait donc dans la chambre de son père lorsque vous êtes monté avec le plateau du dîner.
— Oui, monsieur. Il sortit lorsque j’entrai.
— Quelle était l’attitude des deux hommes, autant que vous avez pu en juger ?
— Mr. Harry Lee semblait de très bonne humeur, monsieur. Il rejetait la tête en arrière et riait aux éclats.
— Et le vieux Mr. Lee ?
— Il me parut calme et plutôt pensif.
— Bien. Je voudrais encore vous parler d’autre chose, Horbury. Pouvez-vous nous dire ce que sont devenus les diamants que Mr. Lee gardait dans son coffre-fort ?
— Des diamants, monsieur ? Je n’ai jamais vu de diamants.
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