« Quelle journée splendide ! fit-elle. On a peine à croire aux horreurs de cette nuit. N’est-ce pas, monsieur Poirot ?
— En effet, madame. »
Magdalene soupira.
« Je n’avais encore jamais été mêlée à un drame. J’ai… j’ai grandi tout simplement. Je suis resté enfant trop longtemps… Ce n’est pas une bonne chose… »
Elle soupira de nouveau et ajouta :
« Pilar, elle, garde tout son sang-froid. Je la trouve extraordinaire ! Sans doute, est-ce le tempérament espagnol… Tout cela paraît bizarre ! N’est-ce pas, monsieur Poirot ?
— Que trouvez-vous de bizarre, madame ?
— Son arrivée soudaine dans cette maison… comme si elle tombait du ciel.
— Il paraît que Mr. Lee la recherchait depuis quelque temps, objecta Poirot. Il a correspondu an sujet de sa petite-fille avec le consul de Madrid et le vice-consul d’Aliquara, où est morte sa mère.
— Il n’en a jamais soufflé mot… pas même à Alfred et à Lydia… qui ont été les premiers surpris.
— Ah ! » fit Poirot.
Magdalene s’approcha de lui et Poirot respira le délicat parfum dont elle se servait.
« Monsieur Poirot, vous ignorez peut-être que le mari de Jennifer mourut peu de temps après leur mariage et qu’à l’époque courut une histoire mystérieuse à propos de ce décès. Alfred et Lydia sont au courant… Un scandale, il paraît…
— Voilà qui est bien triste, murmura Poirot.
— Mon mari trouve – et je suis de son avis – que la famille devrait être informée des antécédents de cette petite… Si son père était un assassin… »
Magdalene fit une pause, mais Hercule Poirot demeura silencieux. Il semblait perdu dans la contemplation des beautés qu’offrait encore le parc de Gorston dans la saison d’hiver.
Magdalene reprit :
« Je ne puis m’empêcher de voir une indication dans la façon dont mon beau-père a été tué. Ce crime n’offre rien… d’anglais. »
Hercule Poirot se tourna lentement vers elle et son œil gris interrogateur rencontra celui de la jeune femme.
« Alors, vous y voyez plutôt la manière espagnole ?
— Les Espagnols sont cruels, n’est-ce pas ? » fit Magdalene.
Et elle ajouta, avec l’air effrayé d’une enfant :
« Songez à ces courses de taureaux…
— Alors, selon vous, la señorita Estravados aurait tranché la gorge de son grand-père ? fit Poirot, moitié rieur.
— Oh ! non, monsieur Poirot, s’exclama Magdalene indignée. Je n’ai jamais dit pareille chose.
— J’ai sans doute mal compris.
— Il me semble pourtant qu’on peut la suspecter. Par exemple, hier soir, Pilar a ramassé quelque chose sur le parquet dans la chambre de son grand-père. »
Hercule Poirot changea d’attitude.
« Elle a ramassé quelque chose dans la chambre de son grand-père, hier soir, dites-vous ?
— Oui, répondit Magdalene, tordant ses jolies lèvres en un rictus mauvais. Aussitôt rentrée dans la chambre, elle a jeté un regard autour d’elle et, croyant qu’on ne la voyait pas, elle s’est baissée pour ramasser un objet. Mais le policier avait remarqué son geste et lui a fait rendre ce qu’elle tenait dans la main.
— Qu’avait-elle ramassé par terre ? Le savez-vous, madame ?
— Non, je ne me trouvais pas assez près d’elle, dit Magdalene, une note de regret dans la voix. Mais c’était quelque chose de très petit. »
Poirot fronça le sourcil.
« Voilà qui m’intéresse au plus haut point », murmura-t-il.
Vivement, Magdalene ajouta :
« Je pensais devoir vous mettre au courant de ce détail. Après tout, nous ne connaissons rien de l’éducation reçue par Pilar et de sa vie en Espagne. Ce bon Alfred accorde sa confiance à tout le monde et Lydia est si insouciante ! Mais j’y songe, je ferais bien d’aller l’aider… à écrire les lettres de faire-part. »
Un sourire méchant aux lèvres, elle s’éloigna. Poirot, plongé dans ses réflexions, demeura sur la terrasse.
Le chef de police s’avança vers le détective belge.
« Bonjour, monsieur Poirot. Aujourd’hui, on n’éprouve guère l’envie d’exprimer des vœux de joyeux Noël, hein ? fit-il d’un air sombre.
— Mon cher collègue, vous ne paraissez guère très joyeux, en effet. Pour ma part, je ne voudrais pas vivre beaucoup de Noëls comme celui-ci !
— Moi non plus. Un seul suffit !
— L’enquête fait-elle des progrès ?
— J’ai contrôlé pas mal de dépositions, répondit le policier. L’alibi de Horbury tient bon. L’employé de cinéma l’a bien vu entrer en compagnie d’une jeune fille et l’a vu sortir avec elle à la fin de la séance. Il affirme que Horbury n’aurait pu sortir et rentrer pendant le film sans se faire voir. La jeune fille qui l’accompagnait certifie qu’il ne l’a pas quittée de toute la soirée. »
Poirot releva les sourcils.
« Que désirez-vous de plus ? »
Sugden répliqua d’un air cynique :
« Avec les jeunes filles on ne sait jamais. Elles mentent sans vergogne pour défendre celui qu’elles aiment.
— Voilà qui prouve leur bon cœur, dit Hercule Poirot.
— Vous jugez la question du point de vue d’un étranger. Et que faites-vous de la justice, monsieur Poirot ?
— La justice est une chose bien bizarre, observa le détective. Y avez-vous réfléchi quelquefois ? »
Sugden le regarda, interloqué, et dit :
« Monsieur Poirot, je ne vous saisis pas très bien.
— Voyons, je suis pourtant logique dans mon raisonnement. Mais à quoi bon entamer une discussion ? Alors, selon vous, la demoiselle de la laiterie nous cache la vérité ?
— Je ne dis pas cela. Je crois, au contraire, qu’elle nous a répondu en toute franchise. Elle est plutôt simple d’esprit et si elle m’avait menti, je m’en serais bien aperçu.
— Vous possédez, certes, une grande expérience, dit Poirot.
— Précisément, monsieur Poirot. Quand on passe sa vie à noter les dépositions des témoins, on discerne tout de suite la vérité du mensonge. Je crois réellement que la déposition de la jeune fille était sincère. Mr. Horbury n’a donc pu tuer le vieux Mr. Lee, ce qui nous ramène aux gens qui se trouvaient dans la maison. »
Il poussa un profond soupir.
« Un d’eux a commis le crime, monsieur Poirot. Un d’eux. Lequel ?
— Possédez-vous de nouvelles informations ?
— Oui. Je me félicite des renseignements concernant les coups de téléphone. Mr. George Lee a téléphoné à neuf heures moins deux, et cette conversation a duré six minutes.
— Tiens ! Tiens !
— De plus, on n’a pas donné d’autres communications dans la soirée… pour Westeringham ou ailleurs.
— Très intéressant, fit Poirot. Mr. George Lee affirme qu’il finissait juste de téléphoner lorsqu’il entendit le bruit là-haut… en réalité, sa conversation téléphonique était terminée dix minutes avant cela. Où se trouvait-il pendant ces dix minutes ? Mrs. George Lee prétend qu’elle téléphonait. Où était-elle ? »
Sugden observa :
« Vous venez de lui parler, monsieur Poirot.
— Vous faites erreur, mon ami.
— Hein ?
— Ce n’est pas moi qui lui parlais, c’est elle qui me parlait !
— Oh ! »
Sugden, impatient, s’apprêtait à négliger cette nuance ; soudain, il en comprit la signification et dit au détective :
« Elle vous parlait, dites-vous ?
— Oui. Elle vint me trouver dans cette intention.
— Que désirait-elle vous apprendre ?
— Elle voulait attirer mon attention sur certains points : d’abord, le caractère anti-anglais du meurtrier… ensuite l’hérédité peut-être indésirable de Miss Estravados, du côté paternel… puis, le fait qu’hier soir, Miss Estravados a ramassé furtivement un objet sur le parquet de la chambre de Mr. Lee.
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