Arthur Doyle - Le Chien Des Baskerville

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Peut-être la plus connue et la plus passionnante des aventures de SH

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«Non, me répondit-il enfin. Il y a quelques bohémiens et des ouvriers agricoles dont je ne sais à peu près rien, mais parmi les fermiers ou les bourgeois je ne vois personne qui possède ces initiales. Attendez un peu, toutefois!… Il y a, oui, Laura Lyons… Ses initiales sont bien «L.L.» Mais elle habite Coombe Tracey.

– Qui est-ce?

– La fille de Frankland.

– Comment du vieux Frankland le maboul?

– Oui, elle a épousé un artiste du nom de Lyons qui était venu peindre sur la lande. Il se révéla un triste sire et il l’abandonna. La faute, à ce que l’on dit, ne lui incombe peut-être pas exclusivement. Son père refusa de s’occuper d’elle, parce qu’elle s’était mariée sans son consentement et peut-être pour quelques raisons supplémentaires. Ainsi, entre deux pêcheurs, le vieux et le jeune, la fille n’a guère été heureuse.

– Comment vit-elle?

– Je crois que le vieux Frankland lui verse une rente; mais peu élevée, car ses propres affaires vont assez mal… Quoi qu’elle eût mérité, on ne pouvait pas la laisser aller vers des solutions de désespoir. Son histoire s’est répandue, et plusieurs personnes des environs ont fait quelque chose pour l’aider à gagner honnêtement sa vie. Stapleton s’en est mêlé. Sir Charles aussi. Moi également. Assez pour en faire une dactylo.»

Il voulait connaître le motif de ma curiosité, mais je m’ingéniai pour satisfaire la sienne sans trop lui en dire. Demain matin j’irai à Coombe Tracey; et si je peux voir Mme Laura Lyons, de réputation douteuse, un grand pas sera fait pour l’élucidation de l’une de nos énigmes. Je suis certainement en train d’acquérir la prudence du serpent, car lorsque Mortimer me pressa un peu trop, je lui demandai à quelle catégorie appartenait le crâne de Frankland, et la craniologie occupa la fin de notre promenade en voiture. Ce n’est pas pour rien que j’ai vécu cinq années avec Sherlock Holmes.

J’ai encore un autre incident à rapporter pour en terminer avec ce jour de tempête et de cafard. Il a trait à une conversation que je viens d’avoir avec Barrymore, et qui m’a procuré un atout que je jouerai à mon heure.

Mortimer était resté à dîner; après le repas il fit un écarté avec le baronnet. Le maître d’hôtel me servit le café dans la bibliothèque et je saisis l’opportunité de l’interroger.

«Eh bien, lui dis-je en exorde, votre célèbre parent est-il parti, ou se trouve-t-il encore tapi dan un coin de la lande?

– Je ne sais pas, monsieur. Je prie le Ciel qu’il soit parti car il ne nous a apporté que des ennuis. Je n’ai pas eu de ses nouvelles depuis la dernière fois où je lui ai déposé des vivres, ce qui remonte à trois jours.

– L’avez-vous vu cette nuit-là?

– Non, monsieur. Mais quand je suis revenu le lendemain, les vivres avaient disparu.

– Donc il était encore là?

– Sans doute, monsieur, à moins que ce ne soit l’autre qui ne les ait pris.»

Ma tasse de café s’arrêta à mi-chemin de mes lèvres. Je dévisageai Barrymore.

«Vous savez qu’il y a un autre homme?

– Oui, monsieur. Il y a un autre homme sur la lande.

– L’avez-vous vu?

– Non, monsieur.

– Alors comment connaissez-vous sa présence?

– Selden m’a parlé de lui, monsieur, il y a une semaine environ. Cet homme se cache lui aussi, mais d’après ce que j’ai compris ce n’est pas un forçat. Je n’aime pas cela, docteur Watson… Oui, je vous le dis tout net: je n’aime pas cela!»

Il parlait avec une passion soudaine.

«Allons, écoutez-moi Barrymore! Dans cette affaire je n’ai en vue que les intérêts de votre maître. Si je suis venu ici, c’est uniquement pour l’aider. Dites-moi en toute franchise ce que vous n’aimez pas.»

Barrymore hésita un instant, comme s’il regrettait de s’être laissé aller, ou comme s’il trouvait difficile de traduire par des mots son sentiment profond.

«Tous ces manèges! s’écria-t-il enfin en brandissant sa main vers la fenêtre toute éclaboussée de pluie. Il y a quelque part un jeu déloyal, qui se joue, et beaucoup de scélératesse dans l’air, j’en jurerais! Croyez-moi, monsieur: je serais bien content de voir Sir Henry repartir pour Londres!

– Mais qu’est-ce qui vous inquiète?

– Songez à la mort de Sir Charles! Pas très naturelle, en dépit des conclusions de l’enquête. Songez aux bruits qu’on entend sur la lande à la nuit! Je ne connais pas un homme qui la traverserait, une fois le soleil couché, même s’il était payé pour le faire. Songez à cet étranger qui se cache là-bas, qui guette et qui guette! Que guette-t-il? Que signifie tout cet ensemble? Certainement pas grand-chose de bon pour n’importe quel Baskerville. Voilà pourquoi je serai rudement content le jour où les nouveaux serviteurs de Sir Henry s’installeront au manoir!.

– Mais à propos de cet étranger, repris-je, ne pouvez-vous rien me préciser? Qu’a dit Selden? A-t-il découvert l’endroit où il se cache et ce qu’il manigance?

– Il l’a vu une ou deux fois; mais il n’est pas bavard, vous savez. D’abord il a cru que c’était un policier, mais il s’est bientôt rendu compte qu’il opérait pour son compte. Il lui a fait l’impression d’une sorte de bourgeois, mais il n’a pas pu deviner ce qu’il faisait.

– Et où a-t-il dit qu’il vivait?

– Parmi les vieilles maisons sur le flanc de la colline; les vieilles cabanes de pierre autrefois habitées. Mais comment se nourrit-il?

– Selden a découvert qu’un jeune garçon est à son service et lui apporte tout ce dont il a besoin. Je crois qu’il se rend à Coombe Tracey pour ses achats.

– Très bien, Barrymore. Nous reparlerons de tout cela une autre fois. »

Quand le maître d’hôtel m’eût quitté, je me levai et me dirigeai vers la fenêtre noire; à travers la vitre brouillée je contemplai les nuages qui déferlaient, la silhouette oscillante des arbres secoués par le vent. Vue de l’intérieur d’une maison, la nuit était sinistre: que devait-elle être sur la lande? Quelle dose de haine ne fallait-il pas pour amener un homme à se tapir dans un lieu pareil! Et quels pouvaient être les desseins ténébreux qui l’exposaient à de si dures épreuves! Oui, c’est là, dans cette cabane sur la lande, que devrait se situer le centre du problème. Je jurai qu’un autre jour ne s’écoulerait pas sans que j’eusse fait l’impossible pour résoudre sur place le mystère qui m’intriguait.

CHAPITRE XI L’HOMME SUR LE PIC

L’extrait de mon agenda personnel qui compose le chapitre précédent a mené mon récit jusqu’au 18 octobre, date à laquelle les événements commencèrent à se précipiter vers leur terrible conclusion. Les épisodes des jours suivants sont à jamais gravés dans ma mémoire, et je peux les raconter sans faire appel aux notes que je pris à l’époque. Je pars donc du lendemain du jour où j’avais recueilli deux éléments d’importance: le premier étant que Mme Laura Lyons de Coombe Tracey avait écrit à sir Charles Baskerville et lui avait donné rendez-vous à l’heure et au lieu même où il avait trouvé la mort; le deuxième étant que l’inconnu du pic se cachait parmi les cabanes de pierres de la colline. Ces deux faits étant en ma possession, je sentais que mon intelligence ou mon courage seraient bien déficients si je ne parvenais pas à dissiper quelques-unes des ombres qui m’entouraient.

Je n’eus pas la possibilité de répéter au baronet ce que j’avais appris sur Mme Lyons la veille au soir, car le docteur Mortimer prolongea sa partie de cartes jusqu’à une heure avancée. Au petit déjeuner toutefois je l’informai de ma découverte et lui demandai s’il désirait m’accompagner jusqu’à Coombe Tracey. Il me répondit d’abord par l’affirmative, puis il réfléchit que si j’y allais seul, les résultats seraient peut-être meilleurs. Plus notre visite revêtirait un caractère officiel, moins nous obtiendrons sans doute de renseignements. Je quittai donc Sir Henry, non sans remords de conscience, et me mis en route pour ma nouvelle enquête.

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