Arthur Doyle - Le Signe Des Quatre
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«Mais s’il fallait vous raconter toutes les aventures par lesquelles nous sommes passés, mon petit copain et moi, vous demanderiez grâce, car il me faudrait vous garder ici jusqu’au matin. Nous voyageâmes un peu partout dans le monde. Il surgissait toujours quelque chose pour nous empêcher d’arriver à Londres. Mais jamais durant ce temps, je ne perdais de vue mon but. Je rêvais de Sholto la nuit. Pourtant, enfin, nous nous trouvâmes un jour en Angleterre; il y a de cela trois ou quatre ans. Il ne fut pas très difficile de découvrir où il vivait et je me mis en quête de savoir s’il avait vendu le trésor ou s’il le possédait encore. Je me liai avec quelqu’un qui pouvait m’aider. Je ne donne pas de noms, car je ne tiens pas à mettre qui que ce soit dans le bain. J’appris bientôt que Sholto avait encore les joyaux. Je tentai de bien des façons de parvenir jusqu’à lui; mais il était rusé, méfiant, et il y avait toujours deux anciens boxeurs, en plus de ses fils et de son khitmutgar, pour le garder.
«Puis un jour, j’appris qu’il se mourait. Je me précipitai dans le jardin, furieux qu’il échappe ainsi à mes griffes. Regardant par la fenêtre, je le vis, étendu sur son lit, ses deux fils de chaque côté. Je serais entré et j’aurais tenté le tout pour le tout contre eux trois, mais je vis sa mâchoire tomber et je sus qu’il venait de mourir. Je pénétrai dans sa chambre pendant la nuit pour fouiller ses papiers dans l’espoir d’y trouver une indication concernant le trésor. Il n’y avait pas un mot là-dessus! Je m’en retournai amer et furieux comme vous pouvez le penser. Mais avant de partir, je pensai que mes amis sikhs seraient contents de savoir que j’avais laissé une preuve de notre haine. J’inscrivis donc le Signe des quatre, comme il était marqué sur les plans, et l’accrochai sur sa poitrine. Ainsi, au moins Sholto ne serait pas enseveli sans être marqué par les hommes qu’il avait volés et trahis.

«Pour gagner notre vie à cette époque, nous parcourions les foires et autres endroits où j’exhibais le pauvre Tonga, le Noir cannibale. Il mangeait de la viande crue et exécutait ses danses guerrières. Nous parvenions ainsi à toujours remplir de petite monnaie mon chapeau en une journée de travail. J’avais régulièrement des nouvelles de Pondichery Lodge. Quelques années passèrent sans rien d’important; on cherchait toujours le trésor. Enfin vint le jour attendu si longtemps. Le coffre venait d’être trouvé dans un faux grenier, au-dessus du laboratoire de M. Bartholomew Sholto. J’accourus immédiatement et inspectai les lieux. Mais je ne voyais pas comment, avec ma jambe de bois, je pourrais me hisser jusque-là. La tabatière sur le toit me donna la solution. Il m’apparut que la chose serait facile avec l’aide de Tonga. Calculant tout en fonction de l’heure du dîner de Bartholomew Sholto, j’amenai mon petit copain et lui enroulai une longue corde autour de la taille. Il pouvait grimper comme un chat et il parvint rapidement sur le toit. La malchance voulut que Bartholomew Sholto fût encore dans sa chambre; cela lui coûta la vie. Tonga crut qu’en le tuant, il faisait quelque chose de très bien; en effet, lorsque je parvins dans la pièce, il se promenait fier comme un paon. Il fut tout étonné lorsque je me précipitai sur lui, corde en main et que je le maudis en le traitant de petit démon sanguinaire. Je m’emparai du coffre au trésor, le fis descendre par la fenêtre et suivis le même chemin après avoir laissé sur la table Le Signe des Quatre pour montrer que les joyaux était enfin revenus à ceux qui y avaient droit. Puis Tonga ramena la corde à l’intérieur, ferma la fenêtre et reprit le chemin par lequel il était venu.

«Je ne vois rien d’autre à vous dire. J’avais entendu un marin vanter la vitesse de la chaloupe de Smith, l’ Aurore . Je pensai qu’elle serait bien pratique pour notre évasion. Je m’arrangeai avec le vieux Smith qui devait recevoir une grosse somme s’il nous amenait en sûreté jusqu’à notre navire. Il se doutait évidemment qu’il y avait quelque chose de louche, mais sans rien savoir de précis. Tout ceci est la vérité, messieurs. Et si je vous fais ce récit, ce n’est pas pour vous distraire; je n’ai pas à être complaisant après ce que vous m’avez fait. Je pense seulement que la meilleure défense que je puisse adopter est la vérité absolue et sans réticence. Il faut que tout le monde sache combien le major Sholto m’a abusé et que je suis innocent de la mort de son fils.
– Voilà une histoire remarquable! dit Sherlock Holmes. Et dont les péripéties concordent parfaitement. Je n’ai absolument rien appris de neuf dans la dernière partie de votre récit, sinon que vous aviez apporté vous-même la corde; cela je l’ignorais. Incidemment, j’avais espéré que Tonga avait perdu tous ses dards, mais il nous en a décoché un sur le bateau.
– Il les avait tous perdu, monsieur. Mais il lui restait celui qui se trouvait alors dans sa sarbacane.
– Ah! oui, bien sûr! dit Holmes. Je n’avais pas songé à cela.
– Avez-vous d’autres questions à me poser? demanda affablement le prisonnier.
– Je ne pense pas, merci! répondit mon compagnon.
– Eh bien, Holmes! dit Athelney Jones. Vous êtes un homme à qui on aime faire plaisir et nous avons tous que vous êtes un fin connaisseur du crime. Mais le devoir est le devoir et j’ai transgressé bien des règles pour faire ce que vous et votre ami m’avez demandé. Je me sentirai soulagé lorsque notre narrateur sera en sûreté derrière les verrous. La voiture attend toujours et il y a deux inspecteurs en bas. Je vous suis très obligé pour l’aide que vous m’avez apportée tous les deux. Bien entendu, votre présence sera requise lors du procès. Je vous souhaite le bonsoir.
– Bonsoir, messieurs! dit Small.
– Vous d’abord, Small! lança Jones prudemment comme ils quittaient la pièce. Je ne veux pas vous laisser la chance d’utiliser à nouveau votre jambe de bois comme vous l’avez fait avec cet homme aux îles Andaman.
– Eh bien, voilà notre petit drame parvenu à sa conclusion, remarquai-je après un instant de silence. Mais je crains, Holmes, que ceci soit notre dernière affaire: Mlle Morstan m’a fait l’honneur de m’accepter comme son futur mari.»
Il poussa un grognement des plus lugubres.
«J’en avais peur! dit-il. Je ne peux vraiment pas vous féliciter.»
Je fus un peu peiné.
«Avez-vous quelque raison de trouver mon choix mauvais? demandai-je.
– Absolument pas: c’est une des plus charmantes jeunes femmes que j’aie jamais rencontrées! Je pense qu’elle aurait pu être très utile dans le genre de travail que nous faisons. Elle a certainement des dispositions; témoin la façon dont elle a conservé ce plan d’Agra entre tous les autres papiers de son père. Mais l’amour est tout d’émotion. Et l’émotivité s’oppose toujours à cette froide et véridique raison que je place au-dessus de tout. Personnellement, je ne me marierai jamais de peur que mes jugements n’en soient faussés.
– J’espère pourtant que ma raison surmontera cette épreuve, dis-je en riant. Mais vous avez l’air fatigué, Holmes!
– La réaction! Je vais être comme une épave toute une semaine.
– Il est étrange, dis-je, que ce que j’appellerais paresse chez un autre homme, alterne chez vous avec ces accès de vigueur et d’énergie, débordantes.
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