Arthur Doyle - Le Signe Des Quatre
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«C’est une affaire très importante, Small, dit-il enfin. N’en parlez à personne. Je vous reverrai bientôt.»
«Quarante-huit heures plus tard, le capitaine Morstan et lui vinrent, lanterne à la main, me voir dans ma hutte au plus profond de la nuit.
«Je voudrais que le capitaine entende l’histoire de votre propre bouche, Small», dit-il.
«Cela sonne juste, eh? dit-il. Cela vaut la peine d’essayer, non?
«Le capitaine Morstan opina de la tête.
«Écoutez-moi, Small, dit le major. Nous en avons parlé, mon ami et moi, et nous avons conclu qu’un tel secret ne concernait vraiment pas le gouvernement. Il me semble que cela vous regarde seul, et que vous avez le droit d’en disposer comme il vous plaît. La question qui se pose est maintenant celle-ci: quelles sont vos conditions? Nous pourrions peut-être les accepter, ou tout au moins en discuter pour voir si l’on peut parvenir à un arrangement.»
«Il s’efforçait de parler d’une manière froide et détachée, mais ses yeux brillaient de convoitise et d’excitation.
«À ce sujet, messieurs, un homme dans ma situation ne peut demander qu’une seule chose, répondis-je, m’efforçant moi aussi au calme, mais tout aussi excité que lui. Je vous demanderai de m’aider à gagner ma liberté et celle de mes trois compagnons. Nous vous donnerions alors un cinquième du trésor à vous partager.
«- Hum! dit-il. Un cinquième! Cela n’est pas très tentant.
«- Cela représente tout de même cinquante mille livres chacun! dis-je.
«- Mais comment pouvons-nous vous donner la liberté? Vous savez très bien que vous demandez l’impossible.
«- Pas du tout, répondis-je. J’ai réfléchi à la question jusque dans les moindres détails. Le seul obstacle à notre évasion est l’impossibilité d’obtenir un bateau capable d’un tel voyage et des provisions en quantité suffisante. Or, il y a à Calcutta ou Madras nombre de petits yachts ou yoles qui nous conviendraient parfaitement. Il vous suffira d’en amener un. Nous monterons à bord pendant la nuit; et vous n’auriez rien d’autre à faire qu’à nous laisser en un point quelconque de la côte indienne.
«- S’il n’y avait que l’un de vous… murmura-t-il.
«- Ce sera tous les quatre ou personne! nous l’avons juré. Nous devons toujours agir ensemble tous les quatre.
«- Vous voyez, Morstan, dit-il, Small tient ses promesses. Il reste fidèle à ses amis. Je pense que nous pouvons avoir entièrement confiance en lui.
«- C’est une sale affaire! répondit l’autre. Mais comme vous dites, l’argent nous dédommagera largement de notre carrière.
«- Eh bien, Small, dit le major, nous devons, je pense, essayer de remplir vos conditions. Mais, bien entendu, il nous faut d’abord être certains de la véracité de votre histoire. Dites-moi où est caché le coffre; j’obtiendrai une permission et je prendrai le navire de ravitaillement pour aller voir sur place.
«- Pas si vite! protestai-je, car je devenais plus audacieux à mesure qu’il s’échauffait. Je dois obtenir le consentement de mes trois camarades. Je vous le dis; c’est nous quatre ou personne.
«- C’est ridicule! s’écria-t-il. Qu’est-ce que ces trois Noirs ont à faire avec notre convention?
«- Noirs ou bleus, dis-je, ils sont avec moi, et nous faisons tout ensemble.»
«Eh bien, l’affaire se termina par une deuxième entrevue à laquelle participaient Mahomet Singh, Abdullah Khan et Dost Akbar. Nous discutâmes à nouveau la question et les détails furent enfin arrangés. Nous donnerions à chacun des deux officiers un plan de la partie du fort d’Agra qui nous intéressait, en indiquant le mur et l’emplacement du trésor. Le major Sholto se rendrait aux Indes pour vérifier notre histoire. S’il trouvait le coffre, il devait le laisser en place et envoyer un petit yacht approvisionné pour un voyage. L’embarcation mouillerait à quelque distance de l’île Rutland à laquelle il nous faudrait parvenir. Après quoi, le major reviendrait prendre ses fonctions. Le capitaine Morstan demanderait à son tour une permission pour nous rencontrer à Agra. Le partage final du trésor aurait alors lieu là-bas. L’officier prendrait sa part et celle de Sholto. Les plus solennels serments que l’esprit peut concevoir et la bouche proférer scellèrent notre accord. Muni de papier et d’encre, je travaillai toute la nuit. Au matin, les deux plans étaient faits et paraphés du Signe des Quatre, c’est-à-dire, Abdullah, Akbar, Mahomet et moi.
«Je dois vous lasser avec ma longue histoire, messieurs. Je sais que mon ami, M. Jones, est impatient de me mettre en cellule; aussi je serai aussi bref que possible. L’infâme Sholto partit pour l’Inde, mais ne revint jamais. Le capitaine Morstan, peu de temps après son départ, me montra son nom sur une liste de passagers en route pour l’Angleterre. Son oncle était mort, lui laissant une fortune; il avait quitté l’armée. Et pourtant, voilà comment il s’abaissa à traiter cinq hommes! Morstan partit pour Agra quelque temps plus tard et découvrir, comme nous le pensions, que le trésor n’était plus là. Le gredin l’avait volé sans remplir les conditions en échange desquelles nous lui avions livré le secret. Depuis ce jour, j’ai vécu seulement pour me venger. J’y pensais le jour et j’en rêvais la nuit. Cela devint chez moi une obsession dévorante. Plus rien ne m’importait; ni les lois, ni la pendaison. M’évader, retrouver Sholto, glisser ma main autour de son cou, je n’avais que cette pensée en tête. Le trésor d’Agra, en comparaison de la haine meurtrière que je vouais à Sholto, perdait à mes yeux de son importance.
«Eh bien, je me suis fixé pas mal de buts dans ma vie, et je les ai toujours atteints! Mais de longues, longues années passèrent avant que l’occasion puisse se présenter. Je vous ai dit que j’avais un peu appris à soigner. Un jour que le docteur Somerton était couché avec les fièvres, un groupe de prisonniers ramassa dans les bois un petit insulaire andaman et me l’amena. Gravement malade, il s’était rendu en un endroit isolé pour mourir. Bien qu’il fût aussi venimeux qu’un jeune serpent, je le pris en main et parvins à le guérir. Deux mois après il parvenait à marcher mais, s’étant attaché à moi, il repartit sans plaisir dans les bois et revint sans cesse rôder autour de ma hutte. J’appris un peu son dialecte, ce qui ne fit qu’accroître son affection.
«Tonga, c’est ainsi qu’il s’appelait, possédait un grand canoë qu’il utilisait à merveille. Lorsque je fus convaincu que ce petit homme m’était tout dévoué et qu’il était prêt à faire n’importe quoi pour me servir, j’entrevis une possibilité d’évasion. Je lui en parlai. Il lui faudrait amener son bateau la nuit près d’un débarcadère désaffecté qui n’était jamais gardé et emporter plusieurs outres d’eau, le plus possible de yams, noix de coco et patates douces.
«Il était fidèle et sincère, ce petit Tonga! Jamais homme n’eut compagnon plus dévoué. Il amena son embarcation au quai la nuit indiquée. Mais le hasard voulut qu’un garde se trouvât là; c’était un vil Pathan qui n’avait cessé de m’insulter et de me nuire. J’avais fait le vœu de me venger et maintenant la chance s’offrait à moi. C’était comme si le destin l’avait expressément placé sur mon chemin afin que je puisse payer ma dette avant de quitter l’île. Il se tenait sur le remblai, me tournant le dos, sa carabine en bandoulière. Je cherchai autour de moi un roc avec lequel lui casser la tête, mais je n’en vis aucun.

«Une étrange pensée me traversa alors l’esprit. Je m’assis sans bruit dans l’obscurité et défis ma jambe de bois. En trois grands sauts, je fus sur lui. Il mit sa carabine à l’épaule, mais je le frappai de plein fouet et lui défonçai le crâne. Le pilon est fendu à l’endroit où j’ai tapé, vous pouvez voir. Nous nous écroulâmes tous les deux, car je ne pus garder mon équilibre. Mais quand je me relevai, lui resta étendu. Je me dirigeai vers le bateau; une heure plus tard nous étions déjà loin en mer. Tonga avait emmené tout ce qu’il possédait sur terre, ses armes et ses dieux. Il avait entre autres, une longue lance en bambou et quelques nattes en fibre de cocotier, avec lesquelles je confectionnai une sorte de voile. Dix jours durant, nous naviguâmes au hasard, espérant que la chance nous sourirait. Le onzième, un cargo nous récupéra. Il transportait des pèlerins malais de Singapour à Jiddah. C’était une foule étrange! Tonga et moi parvînmes bientôt à nous mêler à eux. Ils avaient en commun une précieuse qualité: ils ne posaient pas de questions et nous laissaient tranquilles.
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