— Je sais !
— Ah oui ! C’est vrai, tu connais. J’arrive de Champagne avec Turjot. Il a été gentil de m’y conduire, il a une quatre chevaux… À croire que les flics de province se débrouillent mieux que nous !
— Et après, après ! Accouche, nom de Zeus ! Ça urge ! Tu auras le temps de bavocher lorsque tu seras à l’asile des vieillards…
— J’ai vu sa villa. Tout à côté il y en a une autre qui était habitée par des Asiatiques…
Je bondis…
— Quel genre d’Asiatiques ?
— Des jaunes !
— Ne te lance pas dans le calembour ! Qu’est-ce qui t’a fait remarquer ce détail de voisinage ?
— J’ai demandé à Mollard s’il avait des soupçons, au sujet de sa bagnole ? Faut croire que je lui inspirais confiance…
— Tu inspirerais confiance à une douzaine de chacals…
— Je sais. Il m’a dit qu’il avait eu des voisins suspects, des Indochinois. Ces gens avaient loué cette villa…
— À qui ?
— À lui, c’est la même propriété qui a été divisée en deux, tu comprends ?
— Je comprends…
— Ils ont loué la villa et n’y ont séjourné qu’une dizaine de jours. Ça fait plus d’un mois qu’il ne les a pas revus. Ils ont disparu en même temps que la bagnole… Comme la location était payée pour trois mois il n’a pas osé entrer dans la demeure… Mais ça l’attriste, cet homme.
— Il n’avait pas fait part de ses soupçons à la police ?
— Non. Ils ne lui sont venus qu’après… en constatant que ses locataires s’étaient envolés…
— Tu es entré dans la villa en question ?
— Tu n’y penses pas ? s’égosille-t-il, effaré. Effraction ! Violation de domicile…
— Passe la pogne ! Cours faire une petite inspection des lieux… Tu me retéléphoneras dès que ce sera terminé, je reste dans la maison, si tu ne me trouves pas dans un service, c’est que je serai dans un autre…
— Et s’il y a des grincements de dents ? Tu sais que n’est pas légal, ce que tu me demandes ?
— La légalité, je la roule serrée et je l’accroche dans mes vatères ! Je prends tout sur moi, tu entends, Scarface ?
— Bon, bon, dans ces conditions…
Je lui foudroie les tympans en raccrochant sec. Puis je sors ma liste de ma poche et je tire un trait sur le nom de Mollard. Au-dessous j’écris : Asiatiques ?
Faut toujours tenir sa comptabilité à jour, les gars. N’importe quel contrôleur des finances vous le dira. Si ça ne rapporte pas d’auber ça permet au moins d’y voir clair !
Je monte à mon bureau, une petite pièce triste où je ne flanque pratiquement pas les pieds. C’est une ancienne cuisine aménagée sommairement. Il reste le carrelage par terre, et l’évier sert de lavabo.
Je m’installe au bureau. J’ouvre mon tiroir dans lequel j’avais glissé le dossier de l’affaire.
Je suis à un tournant, maintenant il faut que j’attende une indication extérieure… C’est elle qui me dira de quel côté m’orienter. Pour l’instant je traverse une sorte de no man’s land . Le mieux c’est de faire une brève retraite et d’attendre…
J’ai bien fait d’expédier Pinaud à Lyon. Il peut m’être précieux, déjà sa piste des Indochinois est intéressante ; jusque-là, ça manquait de jaune mon histoire d’espionnage.
Je décroche pour appeler le boss.
— Du nouveau ? me demande-t-il…
— C’est la question que j’allais vous poser, patron… Où en sommes-nous de ma Pernette ?
— Point mort… Le service des garnis a retrouvé la trace de Stumer dans différents hôtels. Dans quelques-uns le personnel se souvient vaguement avoir vu une fille rousse en sa compagnie. Pourtant, jamais celle-ci ne s’est inscrite dans l’un de ces hôtels…
— Tant pis ! je murmure, déçu.
— Et vous ? insiste-t-il.
— Une nouvelle agression contre ma précieuse personne. Un automobiliste facétieux s’est amusé à me lancer une grenade amorcée sur les genoux… J’ai joué à la balle avec et tout est rentré dans l’ordre. Mais on m’en veut, et le plus extraordinaire, c’est que j’ignore pourquoi.
— À part ça ? coupe-t-il.
— À part ça, la santé est bonne ! dis-je, agacé.
Et je raccroche.
La petite pièce est silencieuse. En fond sonore j’entends le clapotement sec d’une machine à écrire et, venant du dessus, le grésillement des appareils de radio.
Bonne ambiance pour se pencher sur son passif.
La tête dans les mains, je laisse vagabonder ma pensée. Des images, des bruits, des idées tissent une bizarre tapisserie au motif bizarre…
Je me frotte les yeux et j’empoigne le téléphone.
— Le laboratoire ! dis-je.
Un temps très court, puis la voix flûtée d’Évariste, l’un des assistants, me répond.
— Ici, San-Antonio, fais-je. On ne vous a pas envoyé, ce matin, une mitraillette découverte dans une 203 abandonnée ?
— Je ne sais pas…
— Eh bien ! renseigne-toi ! Comme cela, nous le saurons tous les deux !
J’allume une cigarette. Mais je trouve que le tabac a un sale goût, ce matin. Je jette ma sèche dans un cendrier. Elle le rate et tombe sur mon bureau. À cet instant, Évariste dit « Allô ! ».
Je me renverse dans mon fauteuil, je pose mes pieds sur mon sous-main et je lui conseille de jacter rapide.
— Si, dit-il, l’arme nous est parvenue tout à l’heure. Mais on n’a pas eu le temps de l’examiner…
— Alors, lâchez tout et occupez-vous d’elle. Vérifiez les empreintes qui peuvent se trouver dessus et voyez de quelle marque il s’agit…
— Entendu, monsieur le commissaire !
— Je suis dans mon burlingue. Il me faut la réponse par retour du courrier !
Il rit.
— Et j’ajoute que je n’ai pas envie de me marrer !
— Bien, monsieur le commissaire !
Je vais pour repartir dans ma rêverie, mais une épouvantable odeur de brûlé me fait sursauter. Je me détranche et je vois une tache rousse qui s’élargit sur la feuille de papier où est tombée ma cigarette allumée.
J’éteins celle-ci et du plat de la pogne je circoncis le désastre, comme disait une concierge.
La feuille roussie par le feu est la première page du rapport que m’a remis le boss.
Je lis le texte effacé par points afin de me rendre compte s’il a perdu de son sens ; mais non.
Et voilà que je m’arrête sur un nom : Auguste Riffaut.
Ce nom, je vous le bonis tout de suite, ne me dit rien de particulier ; simplement il me choque, parce qu’il n’est pas porté sur ma liste à moi, qui cependant a la prétention de contenir les noms de tous les acteurs de l’histoire.
En la faisant, cette liste, j’ai tout bêtement oublié le blaze que je viens de lire à la faveur d’un stupide incident : Auguste Riffaut.
Il s’agit du chauffeur du général Pradon, du vrai. C’est lui que Stumer a drogué et enfermé dans la malle d’une bagnole avant de s’occuper du général et de sa précieuse serviette.
Moi, bonnard comme un garde-champêtre, je n’ai pas pris garde à ce Guguste. J’ai démarré ma piste après son rôle passif, c’est-à-dire à partir du moment où les plans se sont trouvés in the pocket des autres !
Faut dire aussi qu’il paraît blanc comme un pierrot ! Et pourquoi, voyons voir ? Parce qu’il a identifié Stumer sur les photos, sans hésitation, affirme le Vieux. Ceci plaiderait en faveur de sa totale innocence, a priori ; car s’il était complice, on peut penser qu’il prétendrait ne pas reconnaître Stumer. Mais, à bien réfléchir, ceci n’est pas valable, car justement Stumer avait intérêt à ce qu’on l’identifie rapidement, puisqu’il VOULAIT négocier. Vous comprenez, malgré votre air stupide et votre vue rampante ?
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