La vérité viendra peut-être avec le jour nouveau…
Quand on est poète, vous voyez, c’est pour la vie !
* * *
Un homme fortiche, ayant de l’esprit de décision, pas plus de scrupules qu’une clé à mollette et un don de tueur extraordinaire… Un type qui serait capable de filer un vieux renard comme votre brave San-Antonio sans que le San-Antonio précité parvienne à le découvrir… Un Mozart du crime !
Je pense à cet homme en me demandant s’il existe, ou bien s’il n’est que le résultat d’un concours de circonstances ?
Je m’explique : le tueur est ou un superman du meurtre, ou bien ai-je affaire à une bande organisée qui procède à un grand nettoyage ?…
Le résultat est le même, mais ceci modifierait ma façon de conduire l’enquête…
Je débouche place de l’Étoile. Il me vient une idée. Je décris une large courbe et je bigle dans mon rétro afin de voir si je suis suivi. Si une bagnole me file le train, elle est forcée de me serrer un peu, car elle ignore laquelle des nombreuses avenues je vais choisir…
Mais rien ne se manifeste… Je suis marron. Alors, je termine mon tour complet de l’Arc et j’emprunte l’avenue du Bois…
J’appuie à fond sur le champignon. C’est idéal, l’avenue du Bois, pour une pointe de vitesse ! Vous pouvez, à cette heure surtout, mettre toute la sauce jusqu’à la porte Dauphine. J’ai alors l’assurance de ne pas être suivi.
Je ralentis pour m’engager sous les frondaisons. Depuis le temps que je déambule dans le bois de Boulogne, je connais toutes les routes qui le sillonnent.
Je chope Longchamp, je passe devant son moulin à vent, je tourne à gauche pour rejoindre la Seine. À partir du moment où vous la tenez, vous pouvez refaire de la vitesse.
Mais en ce moment, la vitesse ne me tente pas. Au contraire, je vais mollo, histoire de bigler les voitures arrêtées.
C’en est plein. À l’intérieur, y a des vicelards qui se font reluire la tige par des putes. Je m’amuse à foutre les phares et, l’espace d’une seconde, j’ai la vision de deux visages effarés, aux yeux clignotants.
Je m’apprête à doubler la dernière voiture avant le pont. Comme je parviens à sa hauteur, je renouvelle mon coup du phare. Ça me permet de découvrir une silhouette, agenouillée sur la banquette arrière d’une 203. Cette silhouette tient une jolie mitraillette !
Imaginez un brin la rapidité de ma pensée !
Je me dis que cette mécanique n’est pas faite pour chasser les papillons de nuit. Je me dis qu’un type agenouillé sur une banquette avec ça dans les pognes n’attend pas le passage du Tour de France… Je me dis que mon existence doit incommoder des gens. Et je me dis tout ça en moins de temps qu’il n’en faut pour compter jusqu’à un…
Au passage, je vais morfler une rafale, c’est du tout cuit… Je le sens, je le comprends… C’est aussi inéluctable que le retour du printemps !
Alors, mes bons vieux réflexes répondent à l’appel muet que je leur adresse.
Je flanque un coup de volant sur la droite, c’est-à-dire de manière à me trouver derrière la voiture inquiétante. Au lieu de freiner, j’accélère. Tant pis pour la tôle ondulée, je suis assuré tous risques. Cramponne-toi, Dudule, y fait du vent !
À moi les biscuits Gondolo !
Je percute à soixante-dix. C’est honorable. Du coude gauche, je me protège les châsses à cause du verre pilé !
Prran !
La 203 fait un bond en avant. Un bruit de métal tordu, de verre brisé…
J’ai sauté sur la droite de façon à éviter le volant pour le cas où ce dernier aurait des vues sur mon poitrail.
Par chance, la portière n’est pas bloquée.
Je sors de ma tire. Je dégaine mon feu…
Les occupants de la voiture télescopée ne songent pas à faire dresser un constat. Comme ils n’ont que l’arrière de défoncé, ils démarrent…
Le canon de la mitraillette passe par l’ouverture arrière, dont la vitre est tombée. Je me jette à plat ventre afin d’éviter la purée…
Et je fais bien, parce que les gars qui restent sur leurs deux pattes en pareille circonstance n’ont plus besoin d’aller voter !
La rafale secoue ma malheureuse voiture et déchire le voile de la nuit, comme dirait mon pote Lamartine, un drôle de loufiat qui avait le battant amoché par une certaine Elvire, dont je ne sais pas le blaze of family.
Je me redresse, la décharge passée. La 203 doit avoir quelque chose de faussé, car elle ne parvient pas à filer vite… Le pont arrière en a certainement pris un coup ; m’est avis que les têtes de fusées sont voilées comme des religieuses.
Je lève mon feu et je le vide, sans trop espérer faire mouche.
La voiture parvient à la hauteur du pont et s’y engage.
Je me redresse, époussette mes fringues et me mets en marche dans la direction de mes agresseurs. Ce n’est pas que j’espère les rattraper à pince, mais il faut que je donne l’alerte. Justement, à l’entrée du proche tunnel de Saint-Cloud se trouve un poste de motards…
Tout en marchant, je me dis que mes adversaires sont plus que fortiches : voilà qu’au lieu de me suivre, ils me précèdent ! Ça c’est le fin du fin ! J’ai jamais eu l’occase de me mesurer à une bande pareille. Car maintenant, je sais que c’est une bande qui est contre moi.
Et une bande décidée !
Faudrait voir à prendre d’urgence une assurance sur la vie. Dès demain, si je suis encore là, je passerai un coup de tube à mon ami Kossmann pour qu’il arrange ça… Félicie pourra me faire édifier un caveau grand comme le Panthéon… Tout en marbre rouge pour que ça fasse plus gai !
Je me détranche afin de voir où sont toutes les bagnoles de vicieux arrêtées.
Elles ont toutes fait demi-tour… Les conducteurs ont mis le cap sur une région moins bruyante…
La mitraillette, ça ferme les braguettes, comme la nuit ferme les volubilis !
CHAPITRE XIII
Ne faites jamais le jour même ce que d’autres peuvent faire pour vous
Le poste du tunnel est peint en clair, c’est dire qu’il est de conception moderne. N’empêche qu’il renifle ferme la sueur de flic, le cuir et le tabac.
Quelques gardes qui cognaient la belote sont gênés par mon séjour ici. Ils ont interrompu leur partie et ils se parlent à mi-voix en me regardant du coin de l’œil.
Depuis vingt minutes déjà le signalement de la 203 de mes agresseurs a été communiqué et quatre motards se sont lancés à leur poursuite… Il ne me reste plus qu’à attendre la bagnole que je viens de demander par téléphone à la permanence de la maison poulaga.
En attendant qu’elle radine, je joue au feu de cheminée avec mon paquet de Gitanes. L’atmosphère s’épaissit de plus en plus et je vous prie de croire que j’y apporte ma contribution personnelle.
Il y a des gars qui ne peuvent penser que dans le calme. Moi, c’est plutôt le contraire… Pour que je gamberge à plein régime, il faut que je baigne dans un brouhaha ouaté…
Ici, c’est gentil comme coinceteau.
Les hommes de garde me lorgnent toujours avec le respect qu’on doit à des supérieurs, surtout lorsqu’ils sont valeureux. Et, sans m’administrer de coups de tatanes dans les chevilles, c’est le cas pour moi, non ?
Soudain, le bigophone grelotte.
Un brigadier à moustaches de jeune premier anglais décroche.
— Allô ! Oui ?
« C’est pour vous ! ajoute-t-il en me tendant le biniou.
Il s’agit d’un des motards. Il est essoufflé comme le mec qui a franchi le mur du miles…
— Nous avons retrouvé la voiture ! triomphe-t-il.
— Et ses occupants ?
— Non, elle était abandonnée…
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