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Frédéric Dard: J’ai bien l’honneur… de vous buter

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Frédéric Dard J’ai bien l’honneur… de vous buter

J’ai bien l’honneur… de vous buter: краткое содержание, описание и аннотация

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Je marche un peu, histoire de briser ma tension nerveuse. Mais c'est une coriace que cette tension-là ! Une seconde cigarette ne l'entame pas davantage. Au contraire, j'ai l'impression qu'elle est toute prête à se rompre… Je jette un coup de saveur à ma breloque ; voilà près de deux heures qu'elle est entrée dans la carrée, Elia… Et celle-ci demeure aussi inerte et silencieuse qu'auparavant. Il n'y a toujours qu'une fenêtre éclairée… Et quand je dis éclairée, j'exagère… Simplement on décèle une lueur… Que fabrique-t-elle derrière cette façade croulante ?…

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Alors je prends le parti le plus sagace : celui de copier l’adresse de la mère Filesco sur un papelard.

Sa crèche, c’est 120 Bloomsbury St.

Un policeman coiffé d’un casque en forme de pastèque finit par me donner une indication. Je débouche comme une fleur sur un pont. Dessous, sauf erreur, la Tamise coule paisiblement. J’aperçois un gigantesque bâtiment qui figurait sur mon bouquin de géographie à l’école, il s’agit du Parlement. Vous pouvez le voir itou sur les étiquettes des bouteilles de sauce anglaise.

À côté de cette casbah, notre Palais-Bourbon ressemble à un rendez-vous de chasse.

Je dépasse ce tas de briques, je tournique dans les streets et je finis par échouer à Piccadilly Circus. Là, je stoppe pour essayer de dégauchir le renseignement décisif.

Un drôle de trèpe se baguenaude dans le secteur. Le Circus est tapissé d’enseignes toutes plus gigantesques les unes que les autres. Les bus rouges vont et viennent, semblables à de gros jouets. La circulanche se fait sans bruit, sans coup de Klaxon. Les bonnes femmes se sont loquées avec les vieux rideaux de la famille et les bonshommes finissent les fringues noires et les chapeaux melon de leurs grands-vieux. Cette foule me rappelle un enterrement que j’ai beaucoup aimé. Il ne manque même pas le curé. Les aracails ici sont légion. En noir, col dur, chapeau plat ! Et leur bonne femme au brandillon. Comme ça ils peuvent se la faire rigoler tout en servant le Seigneur. D’une main, ils sèment la bonne parole, de l’autre, ils pelotent leur nana, c’est réglo !

Je me dis qu’un pasteur doit jacter le latin, et du latin au français y a qu’un pas !

Please, sir !

Celui à qui je m’adresse est un grand triste avec une serviette à fermeture Éclair sous l’aile et un air de racheter les péchés du monde aux meilleures conditions.

Comme prévu, il comprend vaguement ma langue.

S’aidant d’un croqueton, il m’affranchit soigneusement.

Ce gars-là, c’est pas le chemin du ciel qu’il devrait être chargé d’indiquer… Il ferait un bon policeman.

Un quart d’heure plus tard, je stoppe dans Bloomsbury.

CHAPITRE II

Tout le plaisir est pour moi

Bloomsbury Street est une rue calme et grise, avec des maisons toutes pareilles, alignées comme dans un film sur l’Angleterre.

Devant chaque carrée, il y a une grille pour protéger un sous-sol vitré. Les portes ont un perron. De la brique, de la symétrie, de la grisaille, le tout très brumeux, très londonien…

Pas loin, un palace : l’Ivanhoé because on est dans le bled au père Walter Scott.

Je repère la hutte de la mère Filesco. C’est un immeuble plus gris mais aussi plus cossu que les autres. De chaque côté du perron se dressent deux lampadaires qui réussiraient une belle carrière de candélabres à l’église de la Trinité.

Je gravis les quatre marches après avoir stoppé la tire le long du trottoir. Je rive mon index sur un bouton de sonnette et j’attends patiemment les résultats de cette pression.

Une minute à peine s’écoule, puis une souris aux cheveux filasse, mais pas mal baraquée du tout, vient tirer la bobinette.

C’est la femme de chambre. Vingt berges, des taches de son plein la terrine, et un petit nez mutin entre deux yeux pas malins du tout.

Elle me regarde, puis, comme je ne sourcille pas, me pose une question que je ne pige pas. Je sais que c’est une question simplement parce que les points d’interrogation sont internationaux.

— Mrs. Filesco ! fais-je.

Elle doit me demander ce que je veux à cette noble dame.

I am the new chauffeur…

Je désigne la guinde arrêtée d’un coup de pouce, par-dessus mon épaule.

The car… French car… I am the French boy for car…

Elle a la grosse étincelle géniale de sa petite vie.

Oh ! yes .

J’entre dans un hall aussi solennel qu’une sacristie.

Il y a des boiseries du genre gothique, des tentures lourdes comme la paupière d’un gendarme aux aguets, des trucs en cuivre, des machins en marbre, des choses en bronze et, sur les murs tristes, des portraits de mecs qui ont dû se faire tartir toute leur vie à en juger au regard désespéré qu’ils posent sur ma pomme.

La soubrette se fait la paire. Puis elle radine presque aussitôt en me souriant d’un air qu’elle voudrait provocant.

D’un signe, elle m’engage à la suivre. Je m’empresse. Nous gravissons une nouvelle volée de quatre marches — ce qui, à tout prendre, est préférable à une volée de bois vert — et nous parvenons à un hall supérieur… Encore des statues, des bronzes, des tableaux.

Au fond, une porte à doubles battants. La souris en pousse un. Je découvre alors, au-dessus de sa silhouette, une vaste pièce meublée de façon vieillotte. Au fond de cette pièce, près d’une fenêtre, un grand canapé, et, sur le canapé, une femme. Une drôle de femme.

Je n’ai encore jamais biglé de gerce pareille. Je m’attendais à trouver une vieille tordue un peu follingue, et je suis devant une pépée qui n’a pas dû dépasser les quarantes carats depuis longtemps et qui fait tout ce qu’il faut pour que ça ne se voie pas à l’œil nu.

Elle est longue, mince, blonde, avec des niche-mars bien accrochés ; des yeux noisette, striés de vert ; une bouche tellement sensuelle que vous vendriez votre dernier slip pour vous en rendre acquéreur ; et des pommettes un peu saillantes…

Le tout donne quelque chose d’assez sensa. Quand vous avez un lot pareil en face de vous, le problème des vases communicants passe presto à l’ordre du jour.

Elle me pose une question en anglais.

Allons, bon ! Si elle ne jacte pas le français, ça va être joyeux !

I not understand , affirmé-je.

Un sourire s’épanouit sur la bouche ensorceleuse.

— Vous ne parlez vraiment pas un mot d’anglais ?

— Non, hélas, fais-je, je sais bien qu’à notre époque c’est impensable, mais la France est assez arriérée sur ce point-là !

— Tant mieux, dit-elle. Je voulais un chauffeur ignorant l’anglais afin d’être tranquille. De cette façon vous ne serez pas tenté de parler avec mon personnel…

Je souris.

— Pourquoi riez-vous ?

— Parce que, madame, je suis terriblement handicapé. J’ai mis plus de temps à me repérer dans Londres qu’à venir de Douvres…

— Aucune importance, vous ne sortirez jamais sans moi et, croyez-moi, je connais parfaitement cette ville.

Elle parle net, ses yeux verts m’enveloppent comme un linge chaud. J’en ai des frémissements dans le soubassement. Une patronne comme ça, vous aimeriez qu’elle soit pote avec lady Chatterley !

Je rougis un tantinet et pourtant je suis pas genre écrevisse, vous pouvez me croire ! Pour me foutre de l’émoi, faut avoir sa licence ès volupté. Que dis-je, sa licence : son doctorat !

— Vous pouvez disposer, fait-elle. Gloria va vous indiquer votre chambre, je n’ai pas besoin de vous pour l’instant.

Je m’incline.

Elle détourne la tête et se colle une cigarette dans le bec.

Puis elle me lance une phrase en anglais.

Je la regarde.

Elle répète sa phrase.

— Je m’excuse, fais-je, avec un petit geste impuissant de type qui n’est pas au parfum.

— Ah ! oui, c’est vrai… Je vous demandais du feu…

Je sors une boîte d’aloufs de ma fouille et j’en frotte une. Sa phrase est un piège. De la façon dont elle l’a balancée, si j’avais entravé l’english je réagissais sec, c’était recta. Ce test paraît l’avoir rassurée. Elle me décoche un sourire que je voudrais pouvoir mettre en médaillon afin d’égayer mes vieux jours.

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