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Frédéric Dard: Messieurs les hommes

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Frédéric Dard Messieurs les hommes

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Savez-vous que la pègre vient de s'enrichir d'une nouvelle recrue ? Et pas une demi-portion, croyez-moi ! Du vrai casseur… Du qui file la rouste aux caïds de Pigalle… Du qui se permet de descendre un flic en plein commissariat. Son nom ? Pour Messieurs les hommes, il s'appelle Bemard Tonacci… Ça ne vous dit rien ? Alors, je vais vous en balancer davantage : A la P.J., ce zigoto est plus connu sous le nom de commissaire San-Antonio. Pas de panique… Rassurez-vous, je n'ai pas changé de bord… mais il faut admettre que tout pourrait le laisser croire au début de ce chef-d'œuvre.

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Il ne tombe pas, car il est résistant comme la tourelle d’un blindé, mais il a son compte.

Je respire un grand coup.

— Voilà le boulot. S’il y a d’autres amateurs, je suis leur homme.

Le gros brun du midi se lève à son tour. Il a cravaté une bouteille de siphon d’une patte et il s’avance en la faisant tournoyer devant lui.

— Non ! dit Fifi, arrêtez le massacre, les mecs, la cabane parapluie va s’annoncer et je suis bonnarde pour trois mois de lourdage !

Mais le grand brun se fout des cris de Fifi. Fifi se rend compte qu’elle ne peut pas enrayer un tel suif et elle se met à planquer les bouteilles sous le zinc.

— Lâche ta boutanche, Nouilles-aux-Œufs-Frais, dis-je à mon nouvel adversaire.

Vous parlez comment qu’il obéit ! Il fracasse d’un coup sec le cul du siphon sur un coin de table, ce qui lui laisse dans les pinces une arme extrêmement dangereuse. Le tesson, croyez-moi, dans les mains d’un expert, c’est pire qu’un couteau. J’ai vu des gars sur la gueule desquels on avait pratiqué une petite séance de pyrogravure, ils étaient pas partants pour le concours de M. Bébé Cadum, je vous le jure…

Je fais un saut en arrière. Je cramponne une chaise et je l’envoie en direction de mon adversaire. Il a prévu le coup, et il se baisse. Moi aussi j’ai prévu qu’il se baisserait, c’est pourquoi j’ai balancé la chaise assez haut, de manière à ce que je sois certain qu’elle passera à travers la vitre de la porte.

Dont acte !

Un vrai carnaval de verroteries. Fifi sort son goumi et s’avance en gueulant comme tout un zoo. Le grand brun bondit avec son siphon brisé. Paul-le-Pourri qui est revenu de sa douleur sort de sa fouille un ya avec lequel vous pourriez désosser un mammouth et moi, comprenant que la nuit devient fraîche, j’exhibe à ces messieurs un P 38 qui rend méditatifs les gars les plus excités.

En effet, Fifi et les deux terreurs se calment. À cet instant une voix off annonce l’arrivée des perdreaux. C’est le branle-bas dans la volière. Le sauve-qui-peut… Tout le monde se découvre une occupation urgente à liquider et se taille. Quand les archers de Police-Secours entrent chez Fifi — très vite car j’avais demandé qu’ils fassent fissa —, ils ne trouvent plus à emballer que Fifi, Paul et moi, le grand brun ayant largué son tesson de bouteille pour se rendre à un rendez-vous urgent chez son homme d’affaires.

Tout va bien.

On nous arrime solide et, à coup de pompe dans le valseur, on nous fait grimper dans le panier à salades. Fifi est laissée dans son rade, mais on lui annonce de grands malheurs dans un avenir très prochain. Elle proteste en affirmant que tout ça est de ma faute et que je suis venu jouer les gros bras dans son honorable établissement alors que personne ne me demandait rien, ce qui est la vraie vérité du Bon Dieu, je dois en convenir.

Paul s’assied sur une banquette, moi sur une autre et un bignolon reste devant la lourde.

Paul étanche le raisiné qui continue à lui pisser du pif au moyen d’un mouchoir qui doit valoir quinze cents balles pièce.

Puis il se tourne vers moi et m’assure que je suis une recrue pour les tantes, que ma brave femme de mère m’a eu d’une façon irrégulière après avoir fréquenté un chien, et qu’il voudrait me voir étalé au soleil avec les tripes fumantes.

Il en est à des souhaits encore moins courtois lorsque nous débarquons au poste, rue Ballu.

À cette heure de la noye, il n’y a presque personne. Un brigadier lit le Miroir des sports derrière une barrière de bois. Un gardien téléphone à un copain pour lui demander si Cousin II est arrivé en bonne position à Longchamp, cet après-midi… Le box grillagé où l’on enferme les malfrats cueillis au cours des séances de ramassage est vide également, suivant les instructions que j’ai laissées. On nous y enferme, Paul et moi, en nous ordonnant de la fermer.

Les gars qui nous ont embarqués s’en vont une fois que le brigadier leur a dit de faire leur rapport plus tard. Le poste retombe dans sa torpeur.

— Enfant de salaud, murmure Paul, t’es bien avancé maintenant ! Tu t’en fous, toi, t’es blanc…

— Tu parles d’une blancheur Persil, je ricane, j’oserais pas montrer mon casier à un pompeur de colombins !

— Alors qu’est-ce qui t’a pris de jouer les tarzans chez Fifi ?

— J’étais en rogne, je suis venu à Paris pour essayer de me caser, mais je connais personne, j’avais éclusé…

Paul hausse les épaules, puis se détourne, maussade.

— En attendant je l’ai dans le fignedé. Un truc commak, ça va pas arranger mon standing à la Grande Taule…

— Y a pas mèche de s’en sortir ?

— Toi alors, ça se voit que t’arrives de ton bled !

Il pousse un cri :

— Et avec ça tu m’as esquinté les joyeuses !

— Vos gueules ! lance le brigadier.

Il lit le match d’Humez et il n’aime pas qu’on trouble sa félicité.

— Hé ! je fais à voix haute…

— Quoi ?

— Je voudrais aller aux cabins, y a moyen ou bien est-ce qu’on fait ici ?

Le brigadier ronchonne des trucs ennuyés.

— Maubois, dit-il à son sous-fifre, conduis-le aux vécés !

Maubois soupire et vient m’ouvrir. Je sors de la cage aux ours et je marche devant lui jusqu’à un tournant du couloir. Une fois hors de vue, il sourit, me passe son pétard et hurle :

— Ah ! Bon Dieu de salaud !

Moi je radine presto dans le poste en brandissant le calibre d’ordonnance.

— Lève tes sales pattes ! je crie au brigadier.

Le pauvre chéri qui en était au quatrième round lâche son baveux et attrape les nuages d’assez bonne grâce. Alors je fonce à la porte de la cage grillagée et je délourde en vitesse.

— Amène-toi ! fais-je à Paul.

Il ne se le fait pas dire deux fois. La liberté c’est quelque chose qui ne se refuse pas.

Nous cavalons à la lourde. Au moment où nous y parvenons, un flic s’interpose. Je lui lâche un pruneau à bout portant. On peut y aller carrément, le feu est chargé à blanc, tout a été combiné à l’avance. Il s’écroule avec un réalisme qui laisserait entendre qu’il a été souvent de garde au Grand-Guignol.

— T’es dingue ! murmure Paul.

— T’occupe pas, viens…

Il me suit en courant. D’autres bourdilles s’avancent, venant de la rue Blanche. On rectifie la direction et nous fonçons du côté de la rue de Clichy.

Des coups de sifflets à roulette éclatent. Des bruits de godasses, des cris nous courent après.

Le Pourri et moi nous cavalons à en perdre la santé. Comme nous parvenons à la hauteur du bureau de poste qui fait l’angle de la rue Ballu, nous apercevons un taxi libre. Un geste impérieux et il s’arrête.

J’ouvre la portière. Paul se précipite, j’entre à mon tour.

— Saint-Lago ! je lance au Popof.

Il décolle comme s’il chargeait à la tête de son régiment de cosaques. Les poulardins sifflent.

— T’occupe pas de ça, je fais au chauffeur en lui montrant le pétard soi-disant chouravé au gardien de la paix. Fais seulement attention à ce que j’ai dans la main.

Pas contrariant, il fait signe qu’il est d’accord.

CHAPITRE II

Six minutes plus tard, le bahu a redégringolé la rue d’Amsterdam. Le chauffeur est un gars à la page. Un pétard n’est pas le genre d’objet qui le fait tomber en digue-digue, ou alors il tient à ses os et il a le sang-froid des pétochards.

Arrivée devant la gare, entrée de la rue d’Amsterdam, je lui allonge cinq cents balles et je fonce dans l’escadrin avec Paul-le-Pourri à mes trousses.

À cette heure, l’immense hall de départ est à peu près désert.

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