Frédéric Dard - Ménage tes méninges

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L'histoire qui est racontée ici est rigoureusement vraie. Je n'y ai pas changé une virgule.
J'ai seulement modifié les événements, déformé les faits, interverti les situations, débaptisé les personnages et déplacé l'action.
J'ai également pris des libertés avec le lecteur, le vocabulaire de l'affabulation.
Oui, j'ai fait tout cela.
Mais, parole d'homme, je n'ai pas changé une virgule à l'histoire.
J'aurais peut-être dû… Ça aurait évité à Béru et au beau San-Antonio de se trouver dans la situation la plus effarante de leur brillante carrière. Et comme dit ce grand intellectuel de Bérurier : MÉNAGE TES MENINGES, gars, et prépare tes mécaniques.

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— Non, monsieur.

Ce gentil négus m’est de plus en plus sympa. Je me mets à l’interviewer en profondeur.

— Il y a longtemps que l’homme de la chambre 605 est descendu au Dubonn e Sinzano ?

— À peu près huit jours.

— Il a reçu des visites au début de son arrivée ?

— Je ne crois pas, je ne sais pas.

— Tu n’as jamais conduit personne à sa chambre ?

— Non, jamais…

Ça n’évolue pas vite. Je me rabats sur le portier. Ce dernier me coule un regard inquisiteur. Je devine ce qui se passe dans sa tronche surchauffée. Môssieur se demande si par hasard je n’aurais pas aidé Casimodus à faire son plongeon de haut style.

Dehors les voitures de police et les ambulances radinent à tout va. Je me demande si je ne vais avoir des ennuis. Après tout, le suicide de Tepabosco s’est produit quelques secondes seulement avant que j’entre dans sa chambre. Peut-être même est-ce en m’entendant frapper à sa porte qu’il s’est décidé à aller voir dehors si j’y étais ? Vous ne voyez pas, mes frères, que la Rousse d’ici me cherche du suif ? L’envie me démange de me déguiser en courant d’air. Seulement, je suis dans une île, et il n’est pas fastoche de quitter une île sur la pointe des pieds.

J’en suis là de mes réflexions lorsque les flicards investissent l’hôtel. Grâce à Dieu, c’est l’officier de police qui vient de me rancarder à propos de Tepabosco qui s’occupe de l’affaire. En m’apercevant, il sourit et me serre la louche, ce qui dissipe les doutes du portier à mon endroit et clarifie ma situation.

Le poulet cuhaltier écoute le récit ; puis il hoche la tête et décrète :

— Crise de folie, il s’est supprimé !

Affaire classée, Votre Honneur. Dans les pays de soleil on n’aime pas couper les poils Job en quatre dans le sens de la longueur ! On est expéditif. On part du principe que plus les choses sont simples, moins elles sont compliquées. Le poulet m’offre un cigare, puis il me serre la louche et disparaît en donnant des ordres à ses sous-fifres pour faire évacuer le cadavre et pour rédiger le rapport. Ah ! Le brave homme. S’il n’avait pas une moustache aussi rébarbative, je l’embrasserais.

Me revoici seul avec le Saint-Pierre du Dubonn e Sinzano. Je lui pose les mêmes questions qu’au liftier et il m’y fait les mêmes réponses. Non, avant son accident, Tepabosco na jamais reçu de visites et personne ne l’a demandé. La piste est coupée net. Que faire ? Où aller ?

Je me dirige vers la porte-tambour qu’actionne un autre général en tenue d’apparat.

— Taxi, señor ? me demande-t-il.

On vient d’emporter la pauvre carcasse du Roumain et la place a déjà repris son aspect paisible. La chaleur est étalée sur la ville comme de la crème fouettée sur un saint-honoré. Je regarde alentour. Mon bahut est toujours là. Le chauffeur a seulement allumé un autre cigare. Je le désigne au groom.

— Ça va, j’ai mon manger…

Et c’est à cet instant précis qu’il me vient une idée.

— Dites, amigo, vous connaissiez le monsieur qui vient de tomber ?

— Oui, señor.

— Il a pris des taxis les premiers jours qu’il est descendu au Dubonn e Sinzano ?

L’autre réfléchit.

— Oui, señor, une nuit…

Je sursaute.

— C’est vous qui lui avez procuré la voiture ?

— Oui, señor, c’est moi.

J’explore rapidos mes profondes et je lui tends un billet de cinq ronds de fumée [3] L’équivalent de mille anciens francs. . La banknote est d’un beau vert épinard, les chiffres sont écrits en rouge et l’effigie d’Infidel Castré est jaune canari. Le groom se l’introduit dans les fouilles et me remercie d’un hochement de tronche.

— J’aimerais parler au chauffeur de la voiture en question, amigo.

— C’est très facile, señor, ricane le groom, c’est celui qui conduit votre propre taxi.

J’en suis sur les moyeux. Le hasard est bien le dieu des policiers, faut admettre. Avouez qu’il y a des choses plus extraordinaires qui ne sont jamais arrivées. Je bondis sur mon fumeur de cigares.

— Vous avez vu l’accident ? je lui demande.

— Et comment !

— Le type s’est jeté par la fenêtre, n’est-ce pas ?

— Je crois plutôt qu’il a perdu l’équilibre. Il a poussé un cri terrible en tombant.

— Vous le connaissiez ?

— C’était un client de l’hôtel. J’ai eu l’honneur de le conduire, señor.

— Et vous l’aviez conduit où ?

— Au Parisiana Club, señor.

Mon enthousiasme s’affaisse brusquement comme un quartier de Clamart. J’espérais qu’il me donnerait un bon tuyau. Tout bêtement Casimodus se faisait tartir un soir et il est allé dans une boîte de nuit pour lutter contre le dépaysement.

— C’est bon. Hôtel Byrrho Quinquina !

Le Gros tourne en rond dans sa chambre aux murs lépreux où quelques cloportes disputent un marathon. Les pièces de l’hôtel sont vraiment locdues et il ne faut pas avoir peur des mouches, non plus que des araignées, pour y pieuter. En fait de sanitaire elles ne comportent qu’un lavabo ébréché muni d’un robinoche d’eau froide.

— Ah ! te voilà, meugle l’immense. J’ai une faim du tonnerre !

— Tu ne vas pas me croquer tout vif ! fais-je en reculant.

— J’aime le poulet, mais pas quand il est coriace, proteste Son Obésité.

Il redevient un tantinet sérieux.

— T’as du neuf ?

— Un peu, mon neveu.

Et je lui fais un résumé des ultimes événements.

— Cette fois, murmure le Mahousse, c’est le blague-oute le plus complet.

Nous allons galimafrer dans une fonda voisine. On se cogne une omelette aux crabes, du crabe farci, et de la pince de crabe au sucre. Nous sommes de plus en plus déprimés. Malgré la note, la température reste très élevée et nous suons comme des malheureux.

— Puisque la piste de l’hôtel Dubonn e Sinzano n’a rien donné, comment qu’on pourrait retrouver le correspondant du Vioque ? fait le Béru au dessert en allumant un cigare de diplomate sud-américain.

— Demain, j’essaierai de bigophoner au patron. Je lui apprendrai la mort de Tepabosco et lui demanderai ses instructions.

— Vu ! Tu crois qu’il va nous laisser moisir ici jusqu’au premier vendredi du mois prochain ?

— C’est possible !

— Malédiction ! Moi, j’aime pas la chaleur.

— Demain, dis-je, nous changerons de crémerie ; tu es descendu dans un hôtel infect, Gros.

— C’t’à cause de mon taxi. J’y ai dit de me conduire dans un établissement pas chérot…

Il souffle un nuage de fumée et on se croirait à la dernière image du film tiré d’ » Anna Karénine ».

— Qu’est-ce qu’on pourrait fiche ? T’as sommeil, toi ?

— On va aller écluser un gorgeon au Parisiana Club. Le Roumain y est allé le soir de son arrivée.

— Si tu voudras, accepte Béru.

Une vraie boîte d’amorphe, ce gros lapin. Il est flasque et désenchanté. Je sens que je plonge également dans une espèce de torpeur morose. Si nous ne réagissons pas, nous allons devenir gâteux, mes frères.

Le Parisiana tient davantage du bal musette que de la boîte de nuit. C’est un grand local cerné par un balcon de bois et décoré de lampions. Détail curieux, le toit s’ouvre et on a la voie lactée en guise de plafond.

Des tours Eiffel stylisées sont peintes à fresque sur les murs. Probable que ce sont ces reproductions qui sont chargées de justifier le nom de la taule. Sur une estrade, un orchestre mexicain joue de la musique guatémaltèque. Les musicos portent des blouses de soie tango et des pantalons flottants noir et or. Au fond de la salle il y a un immense comptoir où s’agglutine une foule en sueur. Des couples se trémoussent sur la piste dans des figures terriblement excitinges tandis qu’au premier rang, des gars à tronches patibulaires picolent de l’alcool en matant les danseurs.

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