Les camarades du commando, faut leur reconnaître une chose : ils s’engueulent mais ils n’ont pas les jetons. Mohamed, surtout, reste magnifique de sang-froid.
— Deuxième appel, crie-t-il en frappant dans ses mains nerveuses, y a-t-il un gonze capable d’atterrir la vion parmi vous ? Si oui, qu’y se fasse connaître, li z’ôtres peuvent descendre en marche ! Je li retiens pas !
Dans les cas les plus désespérés, donc les plus doux, il se produit toujours un élément de détente. Cette fois, cet élément a nom Bérurier. Probable que le brouhaha l’a réveillé. Malgré sa monstre peinture il a pris conscience de la situation et il juge opportun de se manifester, le Formide.
— Bon, aboule le manche, mec, déclare-t-il à l’Arabe en se dressant malaisément, j’vas essayer de te la poser sur l’gazon, ta lampe à souder.
Mohamed le défrime d’un œil soucieux.
— Ti sais conduire la vion, toi ?
— Je veux, mon neveu ! Au carrousel aérien de la Foire of the Trône je fais toujours la pige à Alfred, dont lequel a cependant fait son service dans l’aéroporté ! Et si je te dirais : à la communale, mes avions de papelard faisaient fureur. J’étais le Dassault de la classe. De plus, si tu l’ignores je te l’apprends, mais j’sus tributaire d’un permis de conduire poids lourd. Donc tu vois que si y’a quéqu’un d’hautement qualifié pour poser c’zinc, c’est bien Alexandre-Benoît Bérurier !
Lorsque vos jours sont en danger, il vous vient des témérités stupéfiantes. Moi, je l’aime bien, le Dodu, seulement de voir ce sac à vinasse jouer les pilotes de ligne, ça me fait friser les poils occultes.
— Bougre d’enflure porcine ! bramé-je. Tu vas nous faire péter le museau à tous avec tes couenneries. Moi, je veux bien essayer de le driver, ce putain de zinc.
— Toi ! ironise l’Épouvantable.
— J’en ai pas déjà posé un dans Béru-Béru, non ?
— Causons-en : un vieil os qui datait d’avant cent os du mont ! Et faut voir dans quel état il était à l’arrivée : le marché aux puces à lui tout seul ! Écoute-le pas, mon z’ami : il joue les casseurs pour épater les passagères. C’t’un mec, l’occasion se présente d’en installer, il saute dessus à pieds joints comme un thermomètre dans un trou de balle !
Le pirate de l’air est en train de peser le pour et le contre. Probable qu’il a oublié de faire la tare car il opte pour Bérurier. Force m’est donc d’entrer en moi-même et de me préparer à l’inévitable. Le moment définitif, parce que dernier de ma vie est-il arrivé ? J’en jurerais, bien que je n’aie pas pour habitude de mourir au début d’un bouquin. C’est couillonnant, une dernière minute, une fois qu’on est bien certain qu’elle est la dernière. L’homme a l’impression que chaque instant qu’il vit est un passage qui le conduit à une plénitude terrestre. Il espère quelque arrêt du temps, un jour ou l’autre. Un débouché radieux sur un éden indicible en forme de quotidien apothéosé. Mais les instants succèdent aux instants. Il attend toujours, espère farouchement. Parfois, au tournant d’un bonheur, il pense toucher au but. Mais non : la machine continue de débiter sa chierie de minutes infernales. Et le mec, lui, continue de « passer » en trottinant dans une éternité qui ne lui appartient pas.
Je dois pousser une mochetée frime. Hallucinant d’être à onze mille mètres dans un Jet sans pilote qui fonce à travers le ciel comme une météorite. Tant qu’il aura de la tisane, pour peu que le Gros ne touche à rien, on continuera de darder dans les azurs. Et puis, une fois les réservoirs à sec, on se soumettra aux lois implacables de la pesanteur et notre machine volante deviendra dès lors bête comme un caillou.
Les passagers arborent des visages tellement défaits que, vraiment, ça ne vaut plus le coup de les refaire.
La trogne rubiconde du Mastar se dresse dans l’encadrement du poste de pilotage. Mégalomane en diable, Béru a coiffé la casquette galonnée du défunt commandant.
— Méhames, messieurs, harangue-t-il, le commandant Bérurheim sans son équipage sont heureux de vous souhaiter la bienvenue à bord du Judas Hisse Carotte (c’est le nom de notre appareil). Nous volons à une attitude de dix mille mètres (il regarde par un hublot car l’appareil a amorcé une courbe descendante) non, rectifie le Gravos, de neuf mille cinq cents, et p’t’être même de neuf mille vu qu’on penche du côté où qu’on va tomber. Brèfle, faut se grouiller. Si vous sauriez des prières efficaces, vous pouvez toujours les déballer, ça ne mange pas de pain. Mais je vous préviens : je tolérerai aucune panique à bord. Le premier que je prends à fout’ la merde, j’le passe à travers un n’hublot sans l’ouvrir. Là-dessus je vas m’met’ en rapport av’c une tour de con drôle pour qu’on m’instructionne du sol. Si vous muselez pas vos gueules j’entendrai que pouic !
Il s’adresse au chef du commando.
— Toi, mon z’ami, tu nous as flanqués dans une ratatouille niçoise qu’est pas parfumée au romarin, alors rends-toi utile et mornifle les branques qui se pâment à haute voix, qu’au moins je puisse m’écouter penser.
Sur ces fortes paroles, il entre dans le poste de pilotage. Un silence d’autant plus religieux que l’avion emmenait des pèlerins à Jérusalem s’établit. Si le temps ne suspend pas son vol, nous autres nous suspendons notre souffle. On a les portugaises tendues aux bérureries provenant de la cabine.
— Bon, dit l’organe du Gros qui, pour être off, ne manque pas pour autant de présence, voyons voir un peu le topo… Le casque… Bon, merde, il fait mal aux feuilles. Il avait une tête de nœud, le radio ! Où ce qu’il est, le contac ? Ce s’rait pas ce boutoniot, par hasard ? Non, ça ça allume une lampe rouge sur un panneau où qu’a marqué Danger. Çui-là, p’t’être. Ça siffle ! C’est déjà du bruit. « Allô, y’a quéqu’un à l’appareil ? » Non, mes prunes ! Et si j’essayerais cette manette ? Qui sait !
Notre coucou se met brusquement à trépider comme si, au lieu de voler, il empruntait une route non carrossable.
— Pas ça non plus, poursuit calmement Pépère. Quel manche je fais ! Je parie que c’est le bouton, là, sur le micro. Et j’le matais pas. C’est presque écrit dessus, comme le port-salut ! Allô, vous m’entendez ?
Un brouhaha éclate tout à coup : Sa Majesté vient enfin d’ouvrir le canal sonore.
— Hé, pas tous à la fois ! J’sais qu’les lignes sont chargées, mais m’bousculez pas les tympans ! fulmine le Copieux. Et puis d’abord arrêtez vot’ charabia, j’sus poli, moi, j’vous cause en français ! Bon, voilà, ça y est ! Pardon, si je vous quoi ?… Si je vous reçois ? Non, mais dites, faut pas vous envoler, mec ! À quel titre ou sous-titre je vous recevrais ? On se connaît même pas ! Ah, j’imagine la frite de ma bourgeoise si je recevais quéqu’un qu’on ne connaît ni de Bièvre ni de l’île Adam… Vous êtes la tour de con drôle d’où ça ?… Répétez, j’entrave ballepeau !… Jamais entendu causer de ce bled, ou alors vous avez un défaut de prononciation ! Enfin brèfle, y’a pire. Voilà pourquoi je vous téléphone, c’est rapport à un DC8 dont l’équipage est décédé à la suite d’un incident de parcours et qu’on voudrait bien ramener entier sur le plancher des dromadaires ; seulement on n’a pas la notice sous la main. Si vous m’affranchissez pas au plus vite, on va rapidos se déguiser en tache, mes petits camarades et moi-même… Hein ?… Quelle compagnie qu’on appartient ?… El Al, biscotte ?… Pardon, répétez voir, pour voir ?… On peut crever !… Charmant ! Técolle, t’as sûrement pas été élevé rue des Rosiers, espèce d’Enfoirure !… En tout cas, si t’avais aut’chose que la gomme arabique ramollie dans la pensarde, tu te douterais qu’a pas que de la youpinerie à bord. L’équipage est pas clamsé de la typhoïde. C’est des ratons surchoix qui l’ont bousillé… Tiens, je te vas passer l’un de ces messieurs, dis-y en face qu’il peut crever, tu vas voir ce qu’y va te répondre ! Oh ! Ben Couscous ! hèle Bérurier. Ramène ta fraise dans le secteur, j’sus t’en ligne av’c un pote à toi qu’a pas l’esprit boy-scout !
Читать дальше