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Frédéric Dard: Un os dans la noce

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Frédéric Dard Un os dans la noce

Un os dans la noce: краткое содержание, описание и аннотация

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Dans cette affaire, il y a beaucoup de morts et beaucoup d'anchois. Le buste de Marianne en prend un sérieux coup… Et celui de M. le maire, donc ! Et puis il y a aussi des considérations comme celle-ci : Tandis que les modestes dames semi-bourgeoises, bien ordonnées et prévoyantes, outre leurs confitures, leurs conserves d'haricots verts en bocaux (donc haricots verre) et leurs draps empilés dans des garde-robes aux senteurs de lavande, détiennent aussi de la fringue noire pour « en cas de malheur ». La mort peut carillonner à leur lourde : elles sont parées pour l'accueillir la tête haute, ces magistrales ménagères. La mort ne leur fait pas peur, ne les affole pas. Elles en font leur affaire. L'accommodent à la sauce aux larmes, avec un bouquet garni et une couronne de perlouzes « A mon mari si marri et tellement tant bien-aimé » qu'il te vous laisse des regrets éternels et un goût de n'y revenez plus.

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— Venez voir comme elle est belle ! glousse la plus vieille des deux vétustes.

Zoé est au salon, admirée (et y’a de quoi) par quelques vieilles institutrices libres en retraite. Moi, que veux-tu, je suis peut-être un grand écrivain, mais un écrivain mâle. M’est donc impossible de te décrire une robe de dentelle transparente du haut, avec ses plis, ses zizis et ses machins merveilleux. Sache donc, ô mon n’ami de toujours, que ma Zoé est fabuleuse dans tout ce blanc mousseux. La tulipe noire que causait Dumas ! Un éclat végétal. Sa peau est un enduit de soleil.

Je n’ose pas la toucher. Pas même m’en approcher. Ça commence bien, notre mariage, non ? On est pas près de fignoler des chiares à ce tarif-là !

— Ça va ? murmure-t-elle, sincèrement anxieuse.

— Un émerveillement, mon amour !

Les tarderies de service gloussent comme un troupeau de dindons dans Véronique. Ce couple de cinoche leur fait prendre un fade monumental. C’est le docteur Jivatijivatigo en vrai, pure viande fraîche. Il leur porte aux souvenirs, au glandulaire. Car le glandulaire, c’est ce qui périt le moins vite chez la gerce. À nonante ans, elle sécrète encore.

En grand secret.

J’embarque ma sublime presque épouse.

Il est dix plombes et demie.

Dans trente minutes, Zoé deviendra M me San-Antonio par la grâce de deux oui enregistrés sur un feuillet de bristol mince.

La popularité d’un homme se mesure aux cérémonies qui étalonnent sa vie. Ainsi, je peux t’affirmer qu’il y avait davantage de monde aux funérailles de Victor Hugo qu’à son baptême.

En ce qui me concerne, je n’ai pas à me plaindre. Tu verrais ce peuple qui assiège la mairie lorsqu’on s’y pointe, avec M’man, Zoé et Toinet : les deux tiers de la maison poupoule ; les voisins. Et des tas de gens connus ou inconnus. Des journalistes.

Une vraie meute !

Pourtant je me suis ingénié à tenir l’événement secret. Mais on ne neutralise pas une nouvelle de cette importance, je le constate. Le mariage de Sana, tu parles ! Fallait s’y attendre. Je sombrais dans la modestie et le cinoquage en pensant qu’on serait en petit comité ! J’utopise partout, moi, quand l’envie vient me prendre. Si je te disais : le Vieux ! En personne, la calvitie poncée au papier de verre, strict dans un veston noir et un futal à rayures grises. Béru est mon témoin, tu t’en doutais un peu ? Pinuche, le témoin de ma Zoé. Là, pas d’erreur, ils ont fait un effort vestimentaire, mes larrons. Le Gros porte un costar bleu pétrole (qui sera bientôt bleu mazout). Neuf, sur mesures, bien coupé. Je t’assure que je te berlure pas. Il est rigoureusement impec, le Mammouth. Rutilant. Pire : propre ! Quelque chose me dit qu’il a dû prendre un bain, un vrai, complet, avec de la mousse et du savon. Je suis sûr qu’ils ont sorti les pommes de terre de la baignoire pour se tremper, les Bérurier. Dame Berthe arbore une robe neuve imprimée, décolletée jusqu’à ras terre, qui dégage bien ses beaux bras dont un porc se servirait pour marcher. Elle est coiffée, moderne, court, et s’est fait faire « les mèches ». Sa chevelure, tu croirais le toit d’une ruche sur lequel on aurait renversé un pot de peinture.

Pinuche, lui, arbore, un blazer de yachtman, orné d’un écusson sur lequel on peut lire « Souvenir de Courchevel ». Il porte une chemise bleu pâle, une cravate noire. Sa dame, comme toujours, est vêtue en chaisière de beaux quartiers.

C’est la ruée, l’assaut.

On n’attend pas que le mariage soit perpétré pour nous presser la louche, nous féliciter. Des mains ! Des mains… Des lèvres qui remuent. Des mots qui s’entrecroisent, se conjuguent. Une compote de mots banals (car seuls les fours sont banaux — et encore, de moins en moins).

« Toutes… félicitations… Bonheur… Couple merveilleux… Bonheur… Tous nos vœux… Meilleurs vœux… Bonheur. Bonheur ! »

Une sorte de langage petit nègre.

« Bonheur ! Bonheur ! Macache bonheur… Y’en a bon bonheur, mon z’ami. Travadja bonheur. »

Chiée donc ! Qu’est-ce qui leur prend, tous ? Ils ne savent donc pas ce que c’est que le bonheur ? Tu veux parier qu’ils y croient ? Je te jure qu’ils y croient, ces pommes ! Je m’efforce de fendre la foule. Mais des buissons de mains se dressent.

Bain de foule.

Je bredouille des « merci, merci » ahuris, gênés, impatientés. Une vieille ganache me déballe un truc de marchand de robinet-poète sur « les fleurs de la vie qui-je-sais-pas-quoitent. » Encore des mains.

Bérurier reprend du service, comme lorsqu’il était à la voie publique.

— Allons, allons, circulez, y’a rien à voir, messieurs dames ! Comment t’est-ce vous voudrez que ces garnements se marridassent si vous leur casseriez les bonbons au lieu de les laisser opérer par m’sieur le maire qu’est en train de se faire tarter comme une vieille croûte là-bas.

Nous avançons.

Ainsi Jehanne marchait-elle au bûcher.

Dans pas bézef tout sera consumé.

Encore des paquets de paluches.

« Bonheur… bonheur… Vœux… Vie… Vœux… Vie… Bonheur… Pin-pom, pin-pom… »

Tout à coup, je me retrouve avec quelque chose dans la dextre, comme on dit vulgairement.

Une main subreptice m’a fourré d’autorité un papier plié menu dans le creux de la paume.

Une voix venue de je ne sais où me lance : « À lire immédiatement. »

Éberlué, je file quelques coups d’épaule pour me libérer du carcan humain et je déplie le message.

Je te le virgule dans sa version intégrale.

S’il te plaît, fais-le calligraphier en gothique et encadrer.

« Regardez sous la table du maire. L’engin qui y est vissé est une bombe de très forte puissance à détonateur acoustique. Le mot « oui » proféré par vous provoquerait un carnage. Avec nos meilleurs vœux. »

Je te laisse un blanc pour que tu aies le temps d’apprécier, et moi de me remettre de mes abasourdissements.

Ça y est ?

Bon.

Je refile un coup de périscope au papelard.

Le glisse ensuite dans ma poche de cérémonie.

Le texte a été rédigé au moyen de ces caractères adhésifs en vente dans toutes les bonnes papeteries. Canular ?

Moi, tu me connais ? J’ai un septième sens (le sixième étant exclusivement réservé aux dames) qui me permet illico de séparer le vrai du faux.

Or, là, d’emblée, je crois à la menace.

Sans comprendre, sans me faire d’objections. Le pif, je te dis. Le pif sans lequel un flic est aussi efficace qu’une béquille sciée en deux.

Je cramponne Bérurier par la manche.

— Gros, rends-moi service : regarde sous le tapis vert de la grande table des mariages et dis-moi si tu aperçois quelque chose d’anormal. Si c’est oui, ne touche surtout à rien…

Sa Majesté rubicone à outrance. Grinchard, il murmure :

— Y s’ra dit que tu te paieras ma poire jusque z’au prop’ jour de tes noces de mariage, quoi, merde !

— Fonce, c’est grave !

Il sait ma voix. Connaît mes regards.

Donc, se soumet.

Sur ces entrefaites, un employé municipal s’avance, la bouche en cul de cœur, le tif rare et brillantiné, les décorations sans grande signification, mais largement étalées.

— Monsieur, mademoiselle, si vous voulez bien me suivre…

Deux baths fauteuils pelucheux. La table immense comme un radeau… Derrière, m’sieur le maire, grand, chauve, ceinture tricolore de judo. Une dame grassouillette l’assiste, pareille à ces personnes qui tournent les pages des partitions aux virtuoses. Au-delà d’eux, sur le mur du fond, le portrait en couleurs du Président Pompidou, au regard vigilant, qui semble me dire : « Surtout reste à la hauteur de la situation, San-A. »

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