Frédéric Dard - Un os dans la noce

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Un os dans la noce: краткое содержание, описание и аннотация

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Dans cette affaire, il y a beaucoup de morts et beaucoup d'anchois.
Le buste de Marianne en prend un sérieux coup…
Et celui de M. le maire, donc !
Et puis il y a aussi des considérations comme celle-ci : Tandis que les modestes dames semi-bourgeoises, bien ordonnées et prévoyantes, outre leurs confitures, leurs conserves d'haricots verts en bocaux (donc haricots verre) et leurs draps empilés dans des garde-robes aux senteurs de lavande, détiennent aussi de la fringue noire pour « en cas de malheur ». La mort peut carillonner à leur lourde : elles sont parées pour l'accueillir la tête haute, ces magistrales ménagères. La mort ne leur fait pas peur, ne les affole pas. Elles en font leur affaire. L'accommodent à la sauce aux larmes, avec un bouquet garni et une couronne de perlouzes « A mon mari si marri et tellement tant bien-aimé » qu'il te vous laisse des regrets éternels et un goût de n'y revenez plus.

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Je lui envoie un baiser du bout des doigts. J’ai trop de choses à lui dire, à lui taire aussi, pour l’affronter en présence de la vieille mère Pintron. Elle a un goitre, M me Pintron. Des yeux de vache malheureuse qui ignore son malheur n’ayant jamais connu le moindre bonheur. Elle croit que c’est des histoires, le bonheur. Un conte d’Orphée…

Je compose le numéro de la pension de famille qu’habite Zoé. Pas loin de chez nous, dans une vieille maison bourgeoise tenue par deux sœurs octogénaires.

On me la passe.

Elle était réveillée. Son « C’est toi, mon chéri » ? en dit long sur sa pleine lucidité. V’là qu’il me cavale sous la peau. La peau du cœur. Je pense au tableau de Dali représentant un petit garçon en train de soulever la peau de l’eau pour voir dormir un chien à l’ombre de la mer. Si on soulevait la peau de mon cœur, qu’apercevrait-on ? Encore mon cœur ou déjà mes c… ? Ma nostalgie ou mon désir ? Mon passé ou mon futur ?

— Je craignais de te réveiller, Zoé.

— Mais non, puisque tu m’as appelée. Je n’ai d’ailleurs pas fermé l’œil…

— Moi si ; comme une brute de flic.

Elle ne rit pas. Un silence songeur.

— Tu sais que c’est aujourd’hui ? fait-elle.

— C’est ce que je voulais t’annoncer.

On a beau mutiner, nos voix restent tendues ; graves.

— Antoine ?

— Mon amour ?

— Ça ne te fait pas peur ?

Mon premier élan est de me récrier, mais je me ravise. On ne va pas commencer à se mentir, merde ! Un couple qui se ment, même pour des trucs de ce genre, est foutu d’avance. La franchise, c’est l’une des rares forces de l’homme. Lui faut longtemps pour l’acquérir. C’est philosophique, vachetement. Son instinct, à l’homme, dès l’enfance, c’est de berlurer. Prétendre noir ce qui est blanc. Les chemins de la franchise paraissent tortueux, grimpants. Mais une fois que tu les as balisés, faut voir cette magistrale déambulation, mon fils. Le pied tout superbe.

— Si, Zoé, j’ai les jetons. Mais notre union n’en aura que plus de prix.

Elle comprend. Murmure qu’elle m’adore et affirme qu’elle vivra à mes pieds, couchée en rond comme une chienne. Me voici rasséréné. L’odeur des bigoudis chauffants se répand dans le logis. Régina, la bonne, vient de se lever. Elle se pointe, les tifs en tire-bouchon, sa chemise de noye dépassant d’une robe de chambre un peu fanée que lui a donnée ma vieille. Sur elle, il fait sacrilège, ce vêtement. Je m’habituerai jamais à le lui voir porter comme ça, à l’avachie.

Antoine bat des mains en apercevant Régina. Elle le fait marrer et, d’instinct, ce petit bougre lui envoie la paluche au réchaud. Le tranchant de la patte dans l’oigne : rrran ! Régina trémousse son cul de guitare.

Bon, va falloir attendre l’heure H maintenant.

Un condamné à mort, tu le réveilles. Tu lui dis : « Votre pourvoi a été rejeté. » On s’abrite derrière des formules. Au lieu de « on va vous assassiner », « votre pourvoi rejeté » laisse la place encore à un certain art de vivre.

Moi, je me dis : « Il sera bientôt temps de me préparer et d’aller chercher ma fiancée pour, ensuite, la conduire à la mairie. »

Formules, formules…

Au lieu de carrément penser : « Dans tant d’heures je l’aurai dans le c… » Voire, même : « Dans tant d’heures je l’aurai dans le cul ! »

J’aime Zoé.

Mon bonheur, c’est Zoé.

Je ne pense qu’à Zoé.

Je vais épouser Zoé.

Je serai follement heureux avec elle.

Alors, pourquoi cette angoisse ? Ce confus besoin de reculade ?

Pourquoi me dis-je qu’il ferait bon avoir une crise d’appendicite aiguë ?

Les heures passent.

Mon appendice me fout d’autant plus la paix qu’on m’a séparé de lui depuis une quinzaine d’années.

Alors, je m’habille en marié.

La salle à manger est bourrée de cadeaux. Seize lampes de chevet, trente-quatre pinces à sucre, huit pendulettes… Leur vue me renseigne sur ma panique interne. C’est le ridicule de tout ça qui me file le traczir. Le mariage est con au début. Ensuite, il est soit raté, soit réussi. S’il est réussi, tu l’as vraiment, franchement, profondément, totalement dans le pétrus.

— Que penses-tu d’Antoine, Antoine ? demande triomphalement Félicie en me brandissant son petit lord Fauntleroy.

— Je pense que je préférerais être à sa place, M’man.

Félicie devient toute ravagée.

— Écoute, mon grand…

Je l’embrasse fougueusement.

— Ne dis rien, ma poule. Surtout ne dis rien…

Elle comprend.

S’abstient.

Un de ses irremplaçables mérites, à M’man, c’est de piger tout ce qui me concerne.

— Tu devrais aller la chercher, songe qu’elle est seule.

— Bien sûr. J’y vais tout de suite, M’man.

Surtout ne pas jouer au grand fils à sa maman, dévotionneux. Arrive le moment où c’est quand tu désinvoltes un peu avec elle que tu la respectes le mieux, ta mère. Les engrangés du giron, c’est burnes molles et consort, entachés de la coiffe, gnagnateurs. Tu lui rends pas service à ta mother en la couvassant, lui pompant l’air à sempiternelles journées. Tout est question d’éducation dans la vie. Tes vieux se défoncent pour te former, à toi, ensuite, de leur rendre la pareille en ne les déformant pas. Les laisser bien intacts, responsables, toujours. C’est l’irresponsabilité qui détruit l’individu. Un organe inutile périclite et meurt.

Je me taille.

Assez beau dans son genre marié, le San-A. Les belles que je sais me verraient, faudrait passer la serpillière. Imagine-te-moi en noir léger, col romantique. Chemise blanche, légère, façon Guitry. Des boutons noirs à la limouille. Un gros nœud de velours noir idem, fastueux papillon, et des pompes rutilantes comme presque des vernis de soirée. T’enregistres, gamin ? Achète les prochains numéros d’Adam, m’étonnerait que j’y figurasse point. Pour lors, tu verras de l’homme. Élégant, sobre, moderne, compte tenu de l’extravagance de l’époque. Le mois dernier j’ai assisté à un mariage où le jeune époux portait une veste de smok verte à paillettes, une chemise violette et un futal noir à bande jaune, plus une espèce de lavallière à pois, à poils, à yeux de Caïn qu’on aurait juré un tableautin d’Alan Davie.

M’man me rappelle depuis le perron.

— Mon grand !

Je me retourne. Elle a un sourire brillant.

— Tu n’as jamais été aussi beau, me lance-t-elle.

J’ai quelque chose qui me saute dans la gorge. Je ne sais pas quoi lui répondre.

Un geste vague (les plus éloquents, parfois).

Je bombe me jeter dans ma chignole. Certes, je l’ai fait laver, mais pour ce qui est des lambeaux de mousseline à l’antenne et aux poignées de porte, ainsi que de la décoration florale, tu repasseras. Moi, quand je mate un nuptial cortège enfanfreluché de blanc, dans la rue, j’ai envie d’écrire cocu sur les lourdes, au goudron (cette encre politique). Le mariage, franchement, je m’en rends compte aujourd’hui tout spécialement, y’a pas de quoi pavoiser.

Pas de quoi s’en vanter non plus.

C’est un acte intime. Pour garder toute sa signification, ça doit rester pudique, sinon, l’ostentation le rend ridicule.

La pension « Les clématites ».

Faut oser commander une plaque pareille à un marbrier, hein ? Une maison utrillenne, gris-sale-écaillé, dont les volets ne peuvent plus être repeints vu qu’ils partent en poudre. Par contre, à force d’encaustique, l’intérieur tient encore le coup. Il finira ses deux propriétaires, gentilles vieillardes ravaudées qui passent leur fin de vie à houspiller une servante rousse.

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