Le silence qui succède permet d’entendre craquer les pensées à l’intérieur des crânes.
Le Vieux rame un peu pour tenter de reprendre du prestige, mais il est recouvert par la vase de l’inattention générale.
— Ce que vous dites, brrrr… Oui, hum… Repose… heu… sur quoi, San-Antonio ?
— Vous allez comprendre.
Je vais prendre un rouleau de bristol sur une console et le punaise contre la porte.
— Messieurs, si vous voulez bien vous approcher…
Ils.
— Ceci est la photocopie d’une carte très ancienne que j’ai découverte à la Bibliothèque Nationale il y a moins d’une heure, après une journée complète de recherches. Elle représente la partie orientale de la Méditerranée. Ici, vous reconnaissez la Sicile, messieurs, et là, plus à droite, l’extrémité de la Calabre. L’îlot de Blenoraggi se trouve ici. Vous voyez cette minuscule tache en forme d’étoile ?
Je chope la loupe du Vieux sur son burlingue et, à tout seigneur tout donneur, je la présente au ministre.
— Voulez-vous examiner ce point, monsieur le ministre, et nous dire ce que vous constatez ?
Le prince, dont la ville est bon enfant, regarde, comme il regarde, la nuit, dans les couloirs du métro, les pièces d’identité qui lui sont soumises, cet endroit de la carte.
— L’on dirait une petite comète, déclare-t-il.
— Effectivement, monsieur le ministre. Vous avez admirablement résumé la situation, on dirait une comète. Pourquoi ? Parce que cet îlot en forme d’étoile possède une queue. Seulement, cette queue est représentée en pointillé car elle est immergée. En réalité, Blenoraggi est un très ancien volcan éteint sur lequel fut édifié le monastère au XIV e siècle. Il a conservé un puits profond de plusieurs centaines de mètres. Au fond de ce puits, messieurs, une fissure naturelle de l’écorce terrestre constitue une sorte de tunnel : la queue de la comète. Ce tunnel est situé bien au-dessous du niveau de la mer, peu profonde à cet endroit. Et c’est ce tunnel qui a motivé l’installation de ces gens à Blenoraggi. Il leur fournit une arme épouvantable, messieurs, car ils s’apprêtent à y entreposer une quantité formidable de bombes atomiques. Si bien que si un nouveau conflit mondial éclatait, il suffirait de faire péter ces bombes pour provoquer le plus grand séisme jamais enregistré depuis la nuit des temps dans cette partie du globe. Aucun vaisseau de guerre n’y résisterait. Toutes les rives du bassin méditerranéen seraient dévastées, les ports anéantis, les populations englouties. L’horreur, messieurs ! Le bout de l’horreur !
À présent, je peux me taire.
Oncques ne bouge.
Onc ne moufte.
Nul ne regarde personne. Ils sont hypnotisés par la carte écrite en latin. Ils humidifient du pileux, tous, en se laissant aller vers des perspectives.
Pourquoi, à cet instant, repensé-je à Donato ? Ce grand filou cupide, mais qui préféra mourir plutôt que d’admettre qu’on pût porter la main sur le bandage herniaire de sa maman.
Qu’est-ce que tu veux ; les Ritals, ils sont comme ça.
Si, signore !
FIN
Lequel était une éminence grise, je le précise pour le tas d’incultes qui se fourvoient céans.
Ça, c’est pour te donner un exemple de l’art d’écrire pour ne rien dire.
Les prédictions de Nostrabérus.
Du verbe froncelessourciler (premier groupe).
Ici, le mot babouche n’a rien à voir avec les pantoufles de cuir d’origine persanes que tu sais. Il est l’heureuse union des termes babine et bouche. Mariage de raison, en l’occurrence.
Professeur Godemich (Faculté d’Otto, dit Dac)
Et vous voudriez que l’on décerne à San-Antonio le Grand Prix de l’Académie Française ?
Maurice Genevoix