— Dis à Bokono de ne pas se déranger, je vais l’aider, moi.
Et je retourne dans la piaule du gars.
Il n’avait seulement pas bloqué la porte, te dire sa confiance dans l’inertie ambiante ! Il cloque le cadavre à Sterny dans une vieille malloche d’osier, toute déglinguée, suant et soufflant vu la lourdeur du défunt.
— Attends, fils, je vais t’aider !
A peine s’il tressaille, ce paf ailé ! Ma venue le surprend tout juste. Il est vrai qu’il n’a pas assisté à mon parachutage express et qu’il peut donc envisager mon éventuelle libération.
Il me dit merci.
Je lui réponds : « Pas de quoi », parce que c’est vrai : y a pas de quoi, quoi ! Si on ne se rendait pas de menus services, les uns les autres…
Lorsque le couvercle est rajusté, je lui déclare que bon, le mort est en boîte, mais qu’on va laisser son cercueil d’osier sur place pour l’instant. Il répond que pas du tout, il veut aller le flanquer à la mer. Je réaffirme que non. Il insiste que si. Et, fatalement, prend mon poing en pleine théière. Tu voyais une autre solution, toi ?
Son regard tourne comme sur le cadran des Chiffres et des Lettres . Et c’est le 88 qui sort. Des yeux brouillés, autrement dit. Il chute. Je le fouille pour s’il aurait une arme. Il en possède deux, plus un troisième truc bizarre. Les armes sont : un poignard ivoirien, dans le genre de celui que le flic souhaitait me planter dans la besace, et un vieux revolver un peu déchromé, mais convenablement garni. Quant au truc bizarre, il est en acier bleui, lui. Avec en son milieu une lentille épaisse de six centimètres, curieusement taillée. Il forme équerre, possède un pétafineur judéo-maçonique de convexion moldave, plus, à sa base, un clivoir bisextile à peaufinage neutre. Tu mords le topo ? L’ensemble n’étant pas plus gros qu’un glotmouille moyen.
Pensif, j’enfouille le blot.
De même que la somme rondelette d’un million de francs suisses (les meilleurs).
Benjamin a tout perdu, sauf ses esprits. Il les récupère. Ce sera tout.
Je lui montre le schmilblick.
— C’est ça que Sterny apportait, n’est-ce pas ?
— Voui, patron.
— Et tu devais le donner au groupe « Panthère Bleue » dont tu m’as parlé dans la fourgonnette ?
— Oui, patron.
— Et tu ne l’as pas donné parce que ça aurait prouvé que tu avais rencontré Sterny ?
— Oui, patron.
— Si bien que Sauveur Linduré croit que c’est Chultenmayer qui n’a pas voulu donner ce truc ?
— Sûrement, patron.
Misère ! Alors les femmes ont été jetées hors de l’avion. Chultenmayer ne pouvait pas donner cet inestimable bitougnot puisqu’il ne l’avait plus et ignorait ce qu’il était devenu. Le cruel Linduré n’aura pas hésité, j’en suis certain. Je repense à Margarette, à Rose-Mary. Ces jeunes dames si jolies, si mignonnes. J’imagine leur valdingue, ayant tous les éléments pour.
— Espèce de fumier, tu es responsable de la mort de deux filles. L’adresse du groupe « Panthère Bleue » ?
— C’est un immeub’ neuf. Avenue Pierre-Grimblat, patron. Le seul immeub’ neuf. C’est au reste-chaussé ! Sur la porte, y a marqué : un port espère.
— Pardon ?
— Un port espère, avec un tiret entre Import et Export.
— J’espère que tu as apporté des cordes pour attacher la malle ?
— Non, patron : du fil de fer.
— Ce n’en sera que mieux, assuré-je en lui filant entre les deux yeux le coup de boule du siècle. De quoi en choper la migraine ! Personnellement je reluque une alignée de chandelles dont certaines, peut-être parce que je suis catholique, me semblent romaines.
Cette fois, mon petit pote est reparti aux quetsches. Tu vas trouver qu’il est constant dans ses réactions, le Benjamin (d’ailleurs, il se prénomme Adolphe [8] Celle-ci, pour la piger, faut avoir au moins son certificat d’études avec mention. San-A.
).
Je l’enferme dans la malle avec sa victime après l’avoir ligoté.
Faut une justice, non ? Autrement ça irait où, tout ça ?
* * *
Taxi.
Un baveux y traîne : Abidjan-Soir. Du jour.
A la une, quelques manchettes sur les turpitudes internationales. Plus un éditorial de mon ami Jean Dutour relatif à la sagesse du président Houphouët-Boigny qui a su faire de son pays ce que nous savons.
A l’intérieur, en page 3, on annonce que demain matin, dès l’aube, à l’heure où blanchit la montagne, le ministre Sauveur Linduré inaugurera le nouveau barrage de Rhâmi-na-Grôbi’s.
Le S’en-fout-la-mort freine à outrance devant une maison neuve d’une troisaine d’étages.
— Et voilà ! il exclame.
A toi de jouer, San-Antonio !
Celui qui m’ouvre est un gros ahuri avec des chaussettes mauves déchirées aux coudes. Il a le teint rose des produits Cochonou, des poils blonds qui brillent au soleil, et des yeux aussi expressifs que ceux d’un noyé sur une table de dissection.
— Ce qu’il y a ? me questionne âprement l’individu.
La porte ouvre directement sur une grande pièce enfumée, meublée d’une grande table de réunions au bout de laquelle se trouvent : un jeu de cinquante-deux cartes, une bouteille d’anis Gras, deux verres, un pot d’eau, un cendrier fumant, et un petit bonhomme anguleux, à tête d’obsédé sexuel. Ce dernier n’est vêtu que d’un bloudgine et d’une médaille pieuse représentant une certaine idée de la Vierge.
Je cligne de l’œil au camarade « Tout-pour-Olida ».
— J’apporte ce que vous savez, fais-je en extrayant de ma vague le bitougnot prélevé dans celle de Benjamin.
Le petit gugus au torse nu, creux, mais velu, se lève.
— Pas dommage, le vieux a craché ?
— La preuve !
Mister Pètesec me chope l’objet et le fait sautiller dans son creux de main, comme il ferait de ses burnes après un bain.
Après quoi, il se dirige vers un étrange appareil dont déjà je lorgne, et qui se dresse, sur ses trois pieds télescopiques, au fond de la carrée.
La taule pue la ménagerie en grève. Des lits de camp sont dressés de part et d’autre d’un petit réfrigérateur surchargé de bouteilles de bière.
Cela ressemble à un refuge d’émigrés sans papiers. Des relents de boustifaille avariée dominent les senteurs de pinceaux négligés et de pets refroidis. Un évier encombré de vaisselle sale, une poubelle débordante de boîtes de conserve mal ouvertes, et deux valises exténuées complètent le décor du P.C. des « Panthères Bleues ».
Le pètesec trifouille dans une espèce d’appareil d’optique, garni de tubulures chromées et tire-bouchonnantes. Il le dévisse, ajuste dans le corps de l’appareil le bitougnot que je viens d’apporter et se met à siffler joli entre ses dents nicotiniséées.
— Au poil. On est parés, reste plus qu’à attendre les ordres.
— Je les apporte, fais-je calmement.
Il me dééfrime comme s’il venait seulement de m’apercevoir.
— Qui es-tu, toi ?
Il est des instants capiteux, par exemple, lorsque, mis au pied du mur, tu es contraint de broder à perte de vue pour t’en sortir. Dire n’importe quoi, mais avec aisance et naturel. Regarder paisiblement ton interloc, sans en remettre.
— Disons que je couvre le secteur Séénégal-Côte-d’Ivoire, réponds-je au pif.
Chose curieusement étrange, ou étrangement curieuse, il paraît pleinement ravi par cette explication dont l’évasivitéé pourtant n’échappe à personne.
— Ah, bon, c’est vous ! s’empresse-t-il de me voussoyer non sans respect.
— En personne.
— Alors vous avez peut-être remplacé ce pauvre Fritzmann ?
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