Or donc, Sirella m’accueillait dans son cottage anglais, propre et douillet, plein de coussins attendrissants, de fleurs en pots, et de housses capitonnées pour couvrir les théières et les œufs à la coque. Elle aimait l’amour de A jusqu’à Zob, le pratiquait passionnément, comme il doit l’être quand on se mêle d’adultère, sinon ça sert à quoi d’encorner son vieux, tu peux me dire ? J’en vois qui baisouillent de droite et gauche, comme des connes, sans seulement y prendre plaisir, et je trouve dès lors leur comportement indignant. Tromper pour le plaisir du plaisir, oui, banco, mais tromper pour le plaisir de tromper est une démarche honteuse que tu me permettras de réprouver à couilles rabattues.
Mais trêve.
Et je t’en reviens au commencement de ce drame impec, c’est-à-dire à ce matin de janvier, sec et clair, qui se trouve être un samedi. Adam Delameer, le cocu blond rosâtre, secoue sa graisse par les chemins gelés, poussant devant soi un panache de buée blanche. Il en a pour deux bonnes plombes à cavaler de la sorte entre les haies basses qui s’abaissent de plus en plus à l’approche de la falaise. Deux belles heures d’amour avec Sirella. L’aubaine ! L’aubade du grand paf languissant ! Une pendule britiche, héritée depuis cent ans et mèche égrène un second siècle au salon. Je suis étendu sur le vaste canapé un peu avachi, mais c’est très agréable, les bras écartés, la tête renversée, une jambe de-ci, une autre de-là, tandis que la frémissante Sirella me déguste comme un Château d’Yquem 1967.
L’existence est complaisante parfois et le bonheur, étant affaire d’instants brefs, la parsème d’heureuses surprises. La perspective de ce gros mari trottinant comme un cheval de mine remonté du puits tandis que son épouse s’active sur mon impétuosité, me comble de je ne sais quelle félicité. Malsaine, objecteras-tu ? Que non point. Je préfère « gaillarde ». Il y a de la gaillardise à cocufier qui le mérite, et le mérite tout individu qui dédaigne sa moitié pour l’autre, c’est-à-dire la sienne.
Le cottage sent à la fois l’ancien et le propre, à cause des vieilles choses accumulées et de la manière dont elles sont fourbies. Dieu qu’il fait bon baiser chez des gens de goût !
Sirella qui a contracté, lors de son adolescence parisienne, des habitudes amoureuses raffinées, me prodigue un plaisir sans mélange (d’ailleurs je ne vois pas avec quoi on pourrait le mélanger). Elle me pousse dans mes derniers retranchements, ou que je crois tels, puis ralentit, se ravise, me laisse au bord du gouffre somptueux des béatitudes, étourdi de déception physique pour, dès que je me suis récupéré, m’aussitôt réentreprendre. Femme experte, savante en amour. Belle occase, et c’est un zig qui les accumule qui te l’affirme. Comme j’ai eu raison de voler au secours de ces boîtes de fruits chinois dont elle compromettait l’équilibre ! Il faut dire que, depuis deux jours, je guignais une occasion favorable de lui entrer en contact. Chère femme. J’aime qu’elle eût un ancêtre noir et un autre hyper-blond. Quel superbe aboutissement ! Il est des rencontres aussi déterminantes que des hasards. Ah ! le bel alliage !
« Eh bien, mon vieux Tonio, ne m’envoie-je pas dire, eh bien, il serait temps que tu cesses de jouer les pachas au harem et que tu fasses un geste. Le moment est venu de fournir une prestation active. L’égoïsme masculin, tant déploré, commence par un excès de passivité. D’elle découlent vite l’indolence, puis la négligence. Paie de ta personne, Antonio de tes deux ! N’oublie jamais que lorsqu’un amant n’est plus à louer, c’est sa partenaire qui le devient. On ne conserve que par la conquête permanente. »
Et, poum ! à table, mon Sana !
Avec Sirella, faut pas craindre. Si elle est scandinave par les yeux, elle est particulièrement d’hérédité jamaïquaine par sa face sud ! Ninette, espère, c’est pas la toison d’or ! T’as l’impression qu’elle s’est fait un slip dans son vieux manteau d’astrakan. Lui faire minette, c’est bouffer un pull en mohair ; je donne ces précisions pour la dame de l’autre jour qui m’a déclaré que j’étais un auteur malfamé ; bien lui faire comprendre où est son intérêt.
Nous voici donc sous le signe des gémeaux stylisé. Le cercle magique. Formant couvercle, elle m’étouffe. Faut que je me ménage une manche à air. L’ingéniosité si tu t’en dépars un seul instant, t’es floué. Je m’en sors en lui ménageant un guiliguilou sous-jacent. La manche à air souhaitée, c’est la mienne, tu piges ? Attendez, madame la vertueuse de l’autre jour, ne partez pas, vous le regretteriez. Ça va devenir bien.
On se lance dans cette combinaison pour sybarite (sybarite m’était conté) et on s’applique à en retirer un max d’efficacité. C’est bien parti. L’ardeur est au rendez-vous ; c’est encore plus bath que la fête de l’Huma, sauf qu’en guise de discours y a que des tyroliennes amorties.
Nous perdrhaleinons merveilleusement. Bref, on fait avec. Et je me survolte en imaginant le blondasse dans son training à la noix butant sur des cailloux soudés au chemin par le gel. Tu crois qu’il a déjà gloupé sa rombière, ce con ? Penses-tu, il préfère un hot dog ! Y avait donc aucune raison pour que la jolie médème passe à côté de la gagne sous prétesque qu’elle a marié un goret, si ?
Notre première phase dure ce qu’elle doit durer. Et alors, bon, je me rappelle plus lequel de nous deux décide qu’on pourrait passer à la figure number two , celle dite du « Cosaque furieux ». Pour ce faire, nous nous désunissons provisoirement afin de rajuster nos postures. Et dans ce mouvement, j’avise une masse rouge à pas trois mètres. Pile, je réalise : le mari ! Non, t’avoueras, ce mec n’est pas sortable ! Qu’est-ce qui lui permet, à ce lard, de rentrer chez lui inopinément ? Sont-ce des choses à faire ? Si on se met à jouer le vaudeville en plein comté de Poultock, merci bien, moi je retourne chez ma mère !
Mr. Adam Delameer est tout ensueuré, kif un gros cierge de procession. Il respire large. Ça dilate son survêtement. On peut penser que ses lotos vont lui dégouliner des orbites, tellement au point qu’il exorbite, le pauvret. L’air incrédule et teigneux avec ça !
— Sirella, murmure-t-il, vous n’êtes donc qu’une truie !
— Si elle l’était, je lui rétroque, vous formeriez un couple bien assorti, mais ça n’est pas le cas, mister Delameer.
Qu’est-ce que tu dis ? Que je ne suis pas charitable ? C’est vrai, je suis là, je fais reluire sa dame et encore je l’insulte parce qu’il nous surprend en flagrant du canapé.
Marrant, mais c’est ce second outrage, pourtant plus véniel me semble-t-il que le précédent, qui fait déborder le vase de son sang-froid.
Le gros rosâtre se précipite à la cheminée pour y chercher du contondant. Il en trouve à profusion. Dans les books moins fignolés que les miens, en pareil cas le cocu s’emparerait d’un tisonnier. Mais lui, il est costaud. C’est carrément un chenet qu’il biche. En cuivre, période victorienne. Il s’en torche que l’objet soit en forme d’équerre ; l’homicide ne s’attarde pas à ces billevesées quand il est sur orbite.
Mugissant, il se rue sur moi, pauvre amant transi en faible débandade. J’esquive, mais un bonheur-du-jour (duquel, ça j’aimerais le savoir, en tout cas pas d’aujourd’hui) brime ma parade. Je déguste le chenet sur l’épaule droite. Salaud ! Ma clavicule ! Des ondes douloureuses me parcourent dans le sens des aiguilles d’une montre. Je suis paralysé. L’homme en sauvagerie relève sa masse. Il est terrible dans sa tenue écarlate, avec sa sueur, sa peau de goret et son regard fou qui lui gicle de la tête. J’étends le bras gauche pour tenter de freiner le nouveau coup. Je vois ma dernière heure survenir à grandes enjambées, sa faux à l’épaule. Se peut-ce, un superman comme moi, rescapé de tant et tant de mauvaises échauffourées, de tant et tant de guet-apens sournois, de drames épiques, de vilains méchants autrement armés et sanguinaires.
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