Frédéric Dard - Des clientes pour la morgue

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Si je voulais l'envoyer rejoindre Crâne pelé dans la baille, je n'aurais qu'une bourrade à lui administrer.
Mais je ne tiens pas à procéder ainsi car ce faisant je perdrais le plus important témoin de mon affaire. Et comme ce témoin est par la même occasion le principal inculpé, vous comprendrez sans qu'on vous l'écrive au néon dans la cervelle que je sois enclin à ne pas me séparer de lui. Un inculpé de cette catégorie, je l'aurai payé le prix !

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Il me tend sa main blanche, blanche comme une tranche de veau.

— Votre mère devait penser très fort à un chien de chasse lorsqu’elle vous attendait, dit-il.

Je lui serre la pince en me promettant de poser la question à Félicie. Puis je m’évacue en direction du laboratoire.

Grignard, l’assistant principal est là, derrière une pyramide d’éprouvettes, comme un organiste derrière son usine à musique.

Il me regarde rapidement sans cesser de manipuler ses mystérieux flacons.

— Une seconde, s’excuse-t-il.

— Faites, j’ai le temps…

Je le regarde s’affairer… Grignard c’est un grand jeune homme sage, avec des lunettes sur le nez et un parapluie accroché au porte-manteau de son vestiaire.

Le genre de mec qui postule pour les palmes académiques et qui a des recettes contre les brûlures.

Mais un brave zigoto, au fond.

Chaque année il fait un chiard à sa femme et, depuis le temps qu’il est marida, il a eu le temps d’en pondre tellement que ce qu’il touche comme allocations familiales suffirait à l’Aga Khan pour passer un mois au Waldorf Astoria.

Je lui tends mon mystérieux disque de métal.

— Dites, vieux, ça vous dit quelque chose, ça ?

Il prend la rondelle et l’examine attentivement.

— Non, fait-il, qu’est-ce que c’est ?

— C’est ce que j’espérais que vous me diriez… Grignard, un type s’est buté à cause de ce machin-là… Et avant de se tirer une balle dans la calbombe, il a dit à une interlocutrice inconnue que ça représentait une fortune.

— Mystère et boule de gomme ! déclare sentencieusement Grignard.

J’ai sérieusement envie de lui dire que rien de ce qui concerne l’almanach Vermot ne m’est étranger, et que ça n’est pas pour l’entendre débiter des astuces de marchand de marrons que je me suis cogné les quatre étages de l’immeuble.

— Ce truc ne serait pas en platine ? je demande.

— Oh pas du tout !

Il pose le disque sous un microscope et l’examine.

— Ceci est un alliage fort commun de nickel et de chrome. Si cela vaut dix balles, c’est le bout du monde.

— Et ces petits trous aux formes bizarres, ça veut dire quoi ?

Il lève les bras au ciel.

— Comment pourrais-je vous le dire ? Mon cher San-Antonio, c’est la première fois de ma vie que je vois un machin comme ça…

J’empoche l’objet et je hausse les épaules.

— Et ça se croit savant ! je ronchonne en faisant claquer la porte.

Je vais siffler un grand blanc cassé au bistrot d’en bas, histoire de me ramoner l’œsophage.

Rien de tel que le vin blanc pour décupler vos facultés mentales.

Et en effet, ça vient tout seulard… Au troisième glass, mon plan d’attaque est inscrit en lettres d’or dans ma pensarde.

Je jette un billet sur le zinc, je dis à la bonniche de garder la monnaie pour s’acheter du vernis à ongles plus naturel comme couleur.

Je retraverse la rue pour aller au Standard de la grande maison. Le chef de ce service, Bertin, est un petit type studieux et triste.

— Ecoute, petit, je lui fais, la nuit dernière, à minuit, un abonné de Paris a demandé l’Hôtel Monseigneur, à Genève. Tu vas me dégauchir l’adresse de ce pékin. Et que ça saute, j’attends la réponse dans le bureau voisin.

— Bien, chef.

Et je suis certain qu’avec lui ça ne traînera pas. Il connaît son boulot, Bertin…

En attendant la réponse, je feuillette un magazine technique sur la police. J’ai le crâne plein d’idées biscornues. J’espère que ça donnera quelque chose, cette recherche. Sinon, il me restera toujours la ressource de… Au fait, pourquoi ne m’occuperais-je pas de ça en attendant ?

Je décroche le téléphone intérieur et je sonne les sommiers.

— Ici San-Antonio… Avez-vous dans votre nid à poussière une certaine Germaine Fouex… Fouex : F.O.U.E.X., oui ?

Le gars me demande de patienter.

Au bout de cinq minutes, il me dit qu’il y a eu un Fouex, un sale type qui a été buté avant la guerre dans une boîte de Pigalle. De toute façon, ça ne me convient pas.

Sur ce, Bertin me sonne.

— Du neuf ? je lui lance.

Il fait un signe affirmatif.

— L’appel dont vous parlez a été émis par un abonné du central Jasmin. Son adresse, c’est le 12, rue de la Pompe ; son nom est Fouex.

Je fais un écart en arrière comme le bourrin de ce hussard au sourire si doux, dont le père Hugo parle dans un de ses bouquins. Entre parenthèses, cette citation pour vous montrer qu’on peut être flic et avoir des lettres.

Rue de la Pompe, 12 ; c’est précisément l’adresse figurant sur la carte d’identité de la soi-disant Germaine Fouex.

M’est avis que si je ne catapulte pas à cette adresse, je suis la plus belle crème de gland qui se soit jamais promenée dans une paire de godasses pointure 43 !

— Merci, petit, je fais. Demande que le téléphone de cet abonné soit branché sur une table d’écoute. Je veux un rapport complet sur les communications demandées ou reçues par ce numéro, vu ?

— Parfaitement, monsieur le commissaire.

J’enfonce rageusement mon bitos autour de mon cercle polaire, et je les mets.

Bel immeuble, que celui du 12, rue de la Pompe. Je m’engage sous le porche et je frappe à la loge de la pipelette.

En général, les concierges sont toujours absentes pour cinq minutes. Celle-ci fait faillir la règle. Elle est là, et même elle est un peu là car si elle vous mettait ses deux tonnes sur le pied, vous marcheriez avec des béquilles. C’est toutes les Peter Sisters réunies en une seule personne.

Mon regard contourne le tas de viande qui palpite devant moi.

Je décide d’appeler ce gros truc, madame.

— Pardon, madame, chez Mme Fouex, s’il vous plaît…

Quelque chose se soulève, au milieu de son regard : ses paupières…

Elle me jette un regard amorphe de robot.

Puis autre chose s’ouvre encore : ses lèvres… Et une voix lointaine me demande : « Quoi ? »

— Mme Fouex…

Ses paupières se soulèvent d’un cran de plus. Elle paraît franchement ahurie…

— Mais, éructe-t-elle, elle…

— Elle, quoi ?

— Elle est morte !

Je prends la nouvelle dans le portrait à bout portant. Il est dit que toutes les surprises me seront ménagées dans cette affaire.

— Depuis quand ? je demande.

— Depuis la semaine dernière… On l’a enterrée il y a cinq jours…

— Ah… Et de quoi est-elle morte ?

— D’un machin au cœur.

Je n’ai jamais entendu parler de cette maladie-là. Un machin, ça doit être grave puisqu’on en clamse…

— Qui habite son appartement ?

— Personne…

— Hein ?

— Personne, redit-elle docilement.

— Elle vivait seule ?

— Oui…

— Et que faisait-elle, dans la vie ?

— Elle travaillait…

— Où ça ?

— A l’ambassade américaine…

Pour la première fois depuis que je me suis propulsé dans cette aventure, j’entrevois une petite lueur indiquant qu’elle est bel et bien du ressort de mes services. Et j’en suis tout aise, because cette histoire est quelque chose comme mon enfant, et ça embête toujours lorsqu’on se rend compte qu’on n’est pas le daron de son moujingue.

Dans mon turbin, y a des mots magiques. Des mots qui vous vont droit à la moelle épinière.

Et le mot ambassade en est un !

— Son appartement est vide ? je demande.

— Oui.

— Depuis quand ?

— Ben… Depuis la semaine dernière.

Ouais ! Il est vide depuis huit jours, seulement, hier, une gonzesse y téléphonait !

Vous parlez d’un embrouillamini ! C’est un gentil rébus que j’ai à résoudre.

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