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Frédéric Dard: Des clientes pour la morgue

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Frédéric Dard Des clientes pour la morgue

Des clientes pour la morgue: краткое содержание, описание и аннотация

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Si je voulais l'envoyer rejoindre Crâne pelé dans la baille, je n'aurais qu'une bourrade à lui administrer. Mais je ne tiens pas à procéder ainsi car ce faisant je perdrais le plus important témoin de mon affaire. Et comme ce témoin est par la même occasion le principal inculpé, vous comprendrez sans qu'on vous l'écrive au néon dans la cervelle que je sois enclin à ne pas me séparer de lui. Un inculpé de cette catégorie, je l'aurai payé le prix !

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Je lis :

« Germaine Fouex. Sans profession. Nationalité française, 12, rue de la Pompe, Paris. »

— Merci, fais-je en lui rendant le bristol. Maintenant je voudrais la chambre contiguë à celle que vous venez de donner à la dame en question.

Il consulte son registre.

— Le 215 ? fait-il.

— Si vous voulez…

Il fait signe à un second groom qui rêvasse, affalé sur une banquette avec l’air de se demander la couleur du cheval blanc d’Henri IV.

— Vous avez des bagages ? questionne le grand tordu de la réception.

— Non.

Il a une lippe qui signifie : « Je m’en doutais » et il se désintéresse de moi, ni plus ni moins que si j’étais une vieille paire de bretelles hors d’usage. C’est un locdu qui ne se passionne pas pour les romans policiers.

Le petit groom est rouquin comme un brasero en activité. Il m’ouvre la lourde de l’ascenseur, prend place dans la cabine et appuie sur le second bouton.

Ensuite il me dirige dans un vaste couloir au tapis moelleux comme du Monbazillac…

— Voici le 215, dit-il.

Et il me tend la main en toute simplicité comme le fait votre mendiant habituel.

J’y laisse choir une pièce de un franc.

— Tu m’excuseras, Kiki, mais je n’ai pas de monnaie suisse.

— Vous voulez que je vous change de l’argent français ?

J’hésite… Après tout, autant être plumé par un petit gars déluré que par un banquier.

— Tiens, change-moi ce billet de cinquante.

Il va pour s’éclipser.

— Vous n’avez besoin de rien ? demande-t-il avec un regard éloquent autour de lui.

Il se dit, en zig plein de jugeote, qu’un type sans bagages doit avoir besoin de tout. Et l’idée de me griffer une commission au passage l’enchante.

— Si, je fais, tu vas m’acheter quelque chose. Quoi, monsieur ?

— Une percerette…

— Une quoi ?

— Une percerette… Tu sais ce que c’est ? Oui, mais…

Et soudain il se marre. Il se dit que je suis un bougre de polisson qui passe son temps à faire le voyeur, ça l’amuse.

— Monsieur est français, dit-il en clignant de l’œil.

Pendant l’absence du groom, je sonde le mur de communication, histoire de trouver un montant en bois au milieu du briquetage. Pour cela j’utilise une épingle. Soudain je pousse un grognement satisfait. J’ai ce qu’il me faut.

Lorsque le petit rouquin revient avec du fric suisse et une superbe percerette, je le gratifie d’un pourliche somptueux puis je ferme ma lourde à clé et je me mets au tapin.

C’est bien un panneau de bois que j’ai découvert. Mon outil rentre là-dedans comme dans un nuage. J’y vais molo et je le retire fréquemment du trou pour le passer sous le jet du lavabo afin qu’il ne produise pas le grignotement de souris habituel. Ce qu’il faut éviter à toute force, c’est qu’en traversant, la pointe de la percerette projette un paxon de sciure de l’autre côté. C’est pourquoi en mouillant la mèche, les particules de bois restent collées après. Je redoute autre chose également, c’est de déboucher derrière un meuble ou une glace car je ne connais rien de l’autre chambre. J’ai choisi mon emplacement en me basant seulement sur la topographie de la mienne. Mais j’ai du vase et j’aperçois bientôt un petit filet de lumière. Alors j’éteins l’électricité dans ma chambre pour ne pas révéler ma présence. Je donne encore deux ou trois tours de mèche et j’ajuste mon œil au petit trou. C’est de première ! Le gars qui se loue un fauteuil de ring ne voit pas mieux que moi le spectacle.

Ma vieille dame est dans une tenue assez bizarre, c’est-à-dire qu’elle est toujours fringuée en gonzesse, mais elle a posé sa perruque, ce qui fait que le gars a un air de ne pas en avoir deux, je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire.

Il est assis dans un fauteuil, de trois quarts par rapport à moi, et il semble plongé jusqu’au trognon dans de profondes méditations.

S’il est venu en Suisse pour se reposer, ça promet !

Je reste un long moment à l’observer. Je suis certain de n’avoir jamais vu, fût-ce aux dossiers, la figure de ce pégreleux.

Enfin, je quitte mon poste d’observation parce que c’est un petit jeu à choper un orgelet.

Je traîne un fauteuil à proximité du trou, je prends une pose de sentinelle italienne, et j’attends en regrettant fortement de ne pas m’être fait monter un flacon d’alcool.

Une demi-heure passe. De temps à autre je vérifie que mon gnace ne bronche pas. Il ne paraît pas décidé à entreprendre quoi que ce soit pour le moment.

Entre nous et le Palais d’Hiver, je peux vous avouer que je trouve mon aventure un tantinet saumâtre. Je me fais l’effet du type qui, dans un grand élan, a offert une tournée de champagne générale et qui examine son portelazagne le lendemain, au réveil.

En somme, je surprends un homme qui se déguise en femme. Je le suis sans m’occuper de rien. Je débarque à Genève dans un somptueux palace dont les prix ne doivent pas être en rapport avec mes moyens d’existence ; et je m’écroule dans un fauteuil… C’est mimi comme histoire ! Le jour où je raconterai ça à mes potes, ils se marreront tellement qu’on sera obligé de les descendre à coups de revolver pour les calmer.

Enfin, puisque je suis embarqué sur le radeau, pas la peine de se cailler le sang…

Attendons…

Je ne sais pas où je vais, mais j’y vais quand même ! On fait des bêtises à tout âge ! Enfin vaut mieux ça que d’entretenir une danseuse.

Soudain j’entends un petit déclic dans la pièce voisine.

Je bondis à mon trou et je vois que mon personnage bi-sex décroche l’écouteur téléphonique. Il murmure deux ou trois mots à voix basse, suivant le petit truc qu’il a mis au point, puis il raccroche et retourne s’asseoir.

Je bondis à mon appareil.

— La réception ?

— Non, le standard…

— Le 214 vient d’appeler, que voulait-il ? Ici, police, on vous le confirmera à la réception.

— Une seconde, dit la voix de la standardiste.

Je comprends qu’avant de me refiler le tuyau que je sollicite, elle va se rencarder à la direction. Les Suisses ne s’emballent pas !

Deux minutes s’écoulent. Puis la souris du bigophone me dit :

— Le 214 désirait savoir si personne n’avait demandé Mme Fouex…

— Et personne ne l’a demandée ?

— Non…

— Très bien ! Si on la demande, prévenez-moi avant de la prévenir, elle.

— Parfaitement, monsieur.

Je jette un coup d’œil… Mon type est retourné s’asseoir. L’attente va peut-être se prolonger.

Je retourne au téléphone.

— Allô !

— Oui, monsieur ?

— Faites-moi monter un sandwich et une bouteille de vin.

— Bien, monsieur.

Je repose l’appareil sur sa fourche. Aussitôt, la sonnerie grésille. Est-ce que le correspondant tant attendu par ma dame d’un certain âge se manifesterait déjà ?

— Allô ! je lance.

J’ai le cœur gonflé d’espoir.

La standardiste me demande :

— Quelle sorte de vin voulez-vous ?

— Du blanc, très sec…

— Bien, monsieur.

Je colle avec humeur l’écouteur à son crochet.

Nouvelle sonnerie.

— A quoi, le sandwich ? me demande cette tourmenteuse.

— A la baleine ! je beugle.

Elle, sans se démonter me dit :

— Nous n’en avons pas… Voulez-vous un « Club » : rosbif, tomate et laitue ?

— C’est ça !

J’espère que je vais être peinard.

Deux heures plus tard, c’est-à-dire à minuit, je suis toujours calfeutré dans la piaule. J’ai morfilé mon sandwich et vidé ma bouteille d’Alsace… Je bâille comme le docteur Bombard sur son radeau.

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