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Frédéric Dard: Bas les pattes !

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Frédéric Dard Bas les pattes !

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Vous me croirez si vous voudrez, comme dit mon éternel Bérurier, mais à Chicago, un flic français en mission officielle a beaucoup plus de problèmes avec la police locale qu'avec les gangsters ! Nulle part au monde, les poulets n'aiment qu'on vienne marcher sur leurs plates-bandes, mais aux États-Unis, c'est pire qu'ailleurs… Peut-être qu'ils craignent qu'on leur pique leur « enveloppe » au passage ! Halte-là !.. Pas touche !.. Bas les pattes !.. C'est notre affaire… BAS LES PATTES ! ils disent, les poulagas, et les durs répliquent « hands up ! », ce qui prouve que ce pays est bien celui des contradictions. Il n'y a que les gonzesses qui soient comme chez nous… Surtout les taxi-girls à qui j'ai eu affaire tout au cours de ma mission… Leur devise, à elles, ce serait plutôt « legs up », « jambes en l'air » si vous préférez.

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Nous pénétrons dans un couloir bas de plafond. Au bout, il y a l’éternelle porte Private. Ce sont ces portes-là qu’un flic aime le mieux franchir.

Le Noir frappe. Un grognement lui répond. Ce grognement doit vouloir dire « entrez », car, sans hésiter, il ouvre.

J’aperçois un grand type brun et maigre derrière un bureau. Tout le monde vit derrière un burlingue, dans cette contrée.

Comme sale gueule, il faut aller loin pour trouver pire ! Il est bistre, il a le regard fuyant, les pommettes saillantes et un air faux-cul vaporisé sur toute la physionomie !

Il bondit et repousse un tiroir.

— Hello ! Fais-je. Je parie le dentier de votre vieille aïeule contre une douzaine de roses rouges que vous parlez français.

Il me toise d’un air inquiet.

— Oui, admet-il. Perqué ?

— Parce que vous êtes italien aussi et que vous avez vécu à Pigalle avant de venir aux U.S.A.

Je continue :

— Vous vous appelez Seruti. J’ai bien connu M. votre frère ! J’étais là lorsque les flics l’ont seringué à la Villette, dans la cahute où il s’était planqué avec Mario-Grosse-Tête !

Il en est baba, le frère !..

— Yé m’appelle Seruti, admet-il, drôlement soufflé.

— J’ai une mémoire visuelle extraordinaire, affirmé-je avec modestie. J’ai vu ta gueule aux dossiers, à Paris. Alors, comme ça, tu t’es rangé ?

— Oui, dit-il, jé faite ma situationne à Chicago.

Je m’assieds en face de lui.

— Le monde est petit, dis-je.

Il est mal à l’aise. Il me regarde en se demandant qui je suis.

— Police ? Questionne-t-il prudemment.

Je lui présente ma carte.

— Commissaire San-Antonio.

Il se dresse.

— Non, chez nous, t’es à jour. A moins que tu aies une ardoise secrète ?

Il fait un grand signe de dénégation.

— Bon, te fais pas péter une articulation, il n’est pas question de boulot.

Il me dédie alors son plus chaleureux sourire.

Bene, j’aimé mieux ça. On prend oun drink ?

— D’accord.

Il me regarde en riant et répète ma phrase initiale :

— Lé monde est pétite !

Puis, réalisant que ça n’était pas seulement pour pouvoir parler de Pantruche que je suis venu :

— Vous avez bésoin dé moi ?

— Qui sait, fais-je en trempant mon pique-bise dans le verre de rye qu’il vient de me verser.

Du coup, son bel optimisme s’évapore instantanément.

— C’est dans ta taule, icigo, qu’une môme a été scrafée ?

— Oui, mais…

— Il y en a d’autres, je sais. Une épidémie…

— Oui.

— Seulement, la tienne, elle est cannée d’une façon poilante. Dans une cabine… Etranglée, la pauvre chérie. A proximité d’un tas de gens qui n’ont rien vu, rien entendu.

— Yé n’y souis pour rien.

— Ben, voyons ! Simplement, tu pourrais me dire à quel endroit elle est morte, la pauvrette.

— Mais…

— Ah ! Non. Te mets pas à bêler, ça fait couenne !

— Yé vous assoure, commissaire, yé né connais dé l’affaire qué cé qué les journaux en ont dit…

— Passe la main ! Tu es le boss de cette boîte, oui ou non ?

— Oui, mais…

Je lui allonge un parpin qui lui arrive illico à la pointe du menton. Il a un geste rapide vers sa seringue, mais j’ai sorti la mienne avant.

— Laisse l’artillerie à ta gauche, chéri… Et pardonne un mouvement d’humeur. L’humeur, c’est mon défaut mignon.

Il met ses pognes à plat sur la table.

— Bon, bien sage… Je sais que la fille n’a pas été étranglée dans la cabine. Elle l’a été ailleurs, mais, par la suite, on a transporté sa carcasse dans le taxiphone. Ne proteste pas, je te dis que je sais cela. J’en déduis que la fille a été tuée dans ce coquet établissement, mais dans un autre endroit où tu n’aurais pas aimé qu’on la trouve. Alors, après la fermeture, toi et tes pieds nickelés, vous l’avez mise là-bas. Une cabine, c’est une chouette idée ; c’est le petit coin d’ombre accessible pour tout le monde.

Il se lève.

— Commissaire, dit-il, jé né sais pas dé quoi vous parlez. J’ai déjà répondou à la police, jé n’ai plou rien à dire. Rien !

Cette fois, il est sûr de lui. Il a fait son petit numéro mental, il a réalisé qu’ici je suis un double zéro, un résidu de lavasse.

La police de Chicago n’a pas l’air de bien impressionner les truands en place.

— Bon ! Dis-je. Nous parlerons de ça un de ces quatre. Mais crois bien que j’en sais long, plus long encore que tu ne le supposes. Cette nuit, j’ai passé une heure charmante en compagnie d’une souris de la taule voisine. Elle a eu une conversation très édifiante.

Je me lève.

Bye-bye, Seruti.

Et je m’en vais en refilant un dollar au Noir qui manie l’aspirateur.

Je viens de foutre un paveton dans la mare. M’est avis, les gars, que l’eau ne va pas tarder à se troubler.

Vous trouvez peut-être que j’agis d’une façon un peu incohérente ; seulement, ma seule arme, ici, c’est le pifomètre.

Faut bien que je m’en serve. Non ?

Une fois dans la rue, je perçois un bruit pareil au grondement du métro. Je comprends que c’est mon estomac vide qui fait ce raffut.

Alors, j’entre dans un bar et je commande un sandwich-club.

Une fois colmatée la brèche de mon estomac, je décide d’aller serrer la cuillère à Grane.

Vu que c’est lui qui m’a relancé jusqu’à Paname, il est plus que normal que je le tienne au courant de mes investigations, comme ils disent ici !

Je m’annonce donc dans le building maison — ou plutôt « grande maison » — et j’adresse un petit salut déjà protecteur au flic qui monte le pet devant la lourde. Seulement, cet enfoiré ne me remet pas, car il est nouveau. C’est fou comme les gens qui ne vous ont jamais vu vous remettent péniblement !

La tendre Cecilia fait fumer une machine à écrire à force de lui cogner dessus.

En m’apercevant, une légère coloration inonde son beau visage.

Elle s’arrête de malmener son clavier et se lève.

— Oh ! Vous, murmure-t-elle.

Yes, me ! Fais-je.

Elle reste immobile. Je m’approche d’elle et je lui roule un léger patin.

— C’est de la folie, balbutie-t-elle, après me l’avoir rendu.

Elle a les châsses qui jouent à l’appareil à sous.

Vite, elle se recharge les baveuses. Puis elle renouche à droite et à gauche, mais il n’y a personne.

— N’oubliez pas que vous m’offrez le café ce soir, dis-je gentiment.

— Vous pourriez venir dîner, murmure-telle en baissant chastement les mirettes.

— Pourquoi pas ?

— Vous aimez le soja ?

Je réprime la grimace qui s’apprêtait à me contacter la physionomie.

— Pourquoi pas, fais-je, lorsqu’il est servi par vous ?

Je coupe court à ce flirt un peu poussé. Les jeunes filles en flirt ne boulonnent plus et celle-ci est sur le tas en ce moment.

— Grane est laga ?

— Il est quoi ?

— Laguche ?

Elle rit.

— Je suppose que c’est de l’argot ? fait-elle.

— C’en est, je suis doué pour les langues. Vous verrez ce soir.

Là-dessus, comme elle estime également que nous venons de débloquer suffisamment, elle va m’annoncer.

Grane me reçoit presto. Il ressemble plus qu’hier et bien moins que demain à un clown démaquillé. Ça vient de sa peau lisse et rosâtre. M’est avis qu’il s’est attardé dans un incendie, ce citoyen.

Hello ! murmure-t-il en souriant. Du nouveau ?

— Peut-être…

Sa patate prend un air ahuri.

— Vous parlez sérieusement ?

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