Et le vieux croûton chiale. Julia doit se faire tartir. Je ne sais pas s’il lui refile beaucoup d’auber, en tout cas ça vaut du fric, une comédie comme celle qu’elle lui joue… Ça n’a même pas de prix ! Faut se le farcir, le Bitakis. Et pas qu’à la dorme ! Dans le civil, il est plus affligeant encore qu’en pyjama !
Ces débris de luxe, ça exige qu’on les écoute et ça aime se raconter.
— Tu sais ce que tu vas faire, gros minou ? gazouille ma donzelle.
— Non, fait le Grec en français.
— Tu vas rentrer chez toi et prendre deux cachets pour dormir. Quand tu te réveilleras, demain matin, il fera soleil et tout rentrera dans l’ordre. Ton Edith a dû rencontrer un beau gosse sur la plage… Au fait, avait-elle l’habitude d’aller se baigner d’aussi bonne heure ?
— Jamais !
— Eh bien ! lapin bleu, tu ne trouves pas que ça sent le rendez-vous d’amour, ça ? Je te parie qu’elle n’a même pas fait trempette et qu’elle est allée rejoindre un polisson quelconque…
— Ah ! si tu pouvais dire ça… Tout plutôt que…
— Mais oui, bien sûr.
Pour le faire taire, elle y va d’un nouveau patin façon Manon Lescaut et, comme on ne parle pas la bouche pleine, le fossile arrête ses jérémiades. Deux minutes plus tard elle est parvenue à le refouler out et je peux sortir de ma planque.
J’ai les cheveux pleins de « moutons », ce qui est un comble pour un policier.
Je regarde Julia en rigolant sauvagement. Elle semble amère. Il y a de quoi. Des séances comme celle à laquelle je viens d’assister sont désespérantes lorsqu’elles se déroulent devant témoin. Franchement, elle n’est pas fière d’elle !
Attendrissant, votre mironton ! fais-je… Il est très bien en papa anxieux… Et vous, en consolatrice, vous pulvérisez Edwige Feuillère dans la Dame aux Camélias… J’ai jamais ouï des « lapins bleus » et autres « gros matous » prononcés avec autant de conviction…
— Ne vous fichez pas de moi. Si vous croyez que c’est drôle !
— Personne ne vous oblige à vous farcir ce déchet nautique.
— Si, fait-elle : la vie.
Mince ! On se lance dans le cours de philo ! C’est inévitable. Faut toujours que les gens se mettent à tartiner sur leur sort avec vue sur le comment et le pourquoi des choses…
Naturlich, mademoiselle m’expose son curriculum.
Enfance malheureuse. Vendeuse dans un magasin avec le patron libidineux. Essai au cinéma qui se termine par un court métrage consacré aux nouilles Benito… Et puis la rencontre du tas d’or… Les toilettes, les voitures, les vacances, le compte en banque… Bref, ce qu’on a toujours cru réservé à d’autres. Je pige tout. Elle conclut :
— D’ailleurs, il n’est pas très désagréable, Nikos. Tout ce qu’il demande, c’est un peu de tendresse… Quelques cajoleries…
— Si vous avez du rabe, soupiré-je, je suis preneur.
Et nous reprenons la conversation là où nous l’avons laissée lorsque l’Hellène est arrivé.
Ça se passe bien. La météo nous est favorable. Il y a un vent debout qui n’est pas piqué des vers et une zone dépressionnaire sur laquelle je fais pression.
A noter un anticyclone dans la région centre-ouest, mais sans gravité.
Bref, sur le coup de cinq plombes, le gars San-A. quitte le Bel-Azur en tapis noir, sans rencontrer âme qui vive.
Je monte dans ma calèche et rallie mon hôtel, avec la satisfaction dont à laquelle au sujet de quoi vous vous doutez ! La vie est potable. La mer est bleue, l’aurore aux doigts d’or caresse l’horizon. Des écharpes de brume flottent au vent du large, comme les caleçons d’un facteur sur un fil d’étendage.
CHAPITRE IV
ÇA SE CORSE SUR LA CÔTE !
Les événements de la nuit, auxquels ont succédé différents exercices de culture extrêmement physique, m’ont délicieusement anéanti, aussi dors-je jusqu’à dix heures quatorze minutes vingt secondes deux dixièmes (dont un de la Loterie Nationale).
Un soleil impétueux ruisselle dans ma chambre. Je sonne la larbinerie en demandant un pot de café fort et un croissant. Pendant que le personnel s’affaire, je prends une douche froide, manière de me cloquer les idées en place.
Tout va bien. J’ai le muscle qui répond, la tête à l’aplomb et la viande reposée. Je suis d’attaque pour m’occuper de l’affaire Gueulasse.
J’enfile un futal de lin, une chemise sans manches, des espadrilles de corde et une cigarette entre mes lèvres. Puis, à pince, je gagne le commissariat.
Je suis réceptionné par un poulardin au physique perturbé. Il a un nez cassé, une manette en chou-fleur, une arcade qui vous fait sourciller et une cicatrice à la pommette droite, bref, un séducteur !
— Le commissaire Pistouflet, please ? lui demandé-je.
Il plante sa plume sergent-major dans un encrier boueux et se suce les doigts afin de les nettoyer.
— Pas là ! répond le laconique personnage…
— J’avais rendez-vous…
— Eh ben, vous ferez comme si que vous aviez pas rendez-vous, voilà tout, affirme ce spirituel représentant de l’autorité.
Je pense, non sans une certaine tristesse, qu’on a brisé des manches de pioches sur la tête de gars qui en avaient dit moins que ça et me convoque pour une conférence au sommet afin de décider si je lui amoche l’oreille valide ou si je pulvérise sa dernière molaire. La raison étant sage conseillère, je lui dis simplement qui je suis. Du coup, changement à vue. Pistouflet a dû le rencarder à mon sujet car le poulet se met à glousser.
— Oh ! ben alors, vous m’excuserez, je vous prenais pour le public !
Je m’abstiens de tout commentaire sur la façon dont il reçoit la clientèle et je lui dis qu’il me serait agréable de visionner Alonzo Gogueno.
Il prend acte de ce désir et me conduit dans l’arrière-boutique. Là se trouve une cellotte en grillage dans laquelle il ferait bon élever des pigeons ramiers et où, pour l’heure, croupit le serveur espago. Il est toujours en smoking fripé, convenons-en, car il a fait dodo avec… Sa barbouze a poussé et il donne dans le genre homme des bois. Un beau cliché pour Détective. De quoi flanquer les flubes aux vieilles daronnes en mal de sensations fortes.
Le flic au nez cassé ouvre la porte de la volière.
— Viens un peu par ici, Alonzo ! dis-je…
Il sort d’un pas engourdi.
— T’as eu à briffer, ce matin ?
— Non !
— On va aller te chercher un sandwich… Assieds-toi là.
Il prend place sur le banc de bois, à mes côtés.
Je l’observe du coin de l’œil. Il a l’air de trouver l’existence sans intérêt, ce matin. Rien de tel qu’une nuit au quart pour vous détruire le moral.
— Alors, tu as réfléchi au petit problème qui nous occupe ?
Je ne sais pas s’il a réfléchi au meurtre de Gueulasse, en tout cas il a beaucoup pensé à la vie et ses conclusions ne sont guère optimistes. J’éprouve une vague pitié pour ce type… S’il n’est pas coupable, il doit en avoir sec. Il a un hochement de tête pensif, un soupir…
— Je ne suis pour rien dans cette affaire… Peut-être que le poison, il était dans la bouteille de vin blanc ?
— En ce cas, il y aurait eu d’autres décès…
Il comprend. Il ne s’accroche pas à sa suggestion. C’est une simple suggestion.
Il veut m’aider, parce que je représente à la fois son péril et son salut. Pourquoi, soudain, impétueusement la certitude de son innocence me pénètre-t-elle l’entendement ?
Hier il a eu un argument majeur. Il a dit :
« Je ne suis pas assez bête pour mettre du poison dans un verre que je sers moi-même ! »
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