Il baisse le son en nous voyant débouler dans sa tirelire de faux bois, sous la houlette de sa dame (une moustachue en peignoir de pilou) qui se coltine un fibrome de quinze livres déjà !
Présentation de Latuile, agrémentée d’excuses pour l’heure induse.
Grantognon est un solide quadragénaire musclé, du genre moniteur de tout ce que tu voudras ; force et souplesse, champion de pantalelon ou de l’écartemelon, ou de je sais pas quelles autres conneries qui font passer le temps à ceux qui pensent avec une louche à potage pleine de vermicelle en guise de cervelle.
— Heureux de faire votre connaissance, commissaire. J’ai été douze ans gendarme dans la gendarmerie nationale.
Je le félicite de ce qu’il ne l’ait point été ailleurs.
— Monsieur le chef de la sécurité, le titré-je, car un con est toujours amadoué par les distinctions que d’autres lui conférèrent, j’aimerais que vous m’expliquiez très succinctement en quoi consistent vos fonctions ici.
Mon « succinctement » le rembrunit quelque peu, puis il se décide :
— Je dirige l’équipe de surveillance, commissaire.
— Qui surveille quoi ?
— Les lieux.
— Urbi et orbi ?
Là encore, sa comprenette a un spasme cardio-vasculaire ; mais il est l’homme d’action type, celui qui ne se laisse pas entraver par des incompréhensions de termes, comme dit ma concierge.
— Mes hommes surveillent l’intérieur du camp et ses abords, plus les environs et les alentours, naturellement. Nous disposons en outrance de quatre bergers allemands dressés qui participent aux rondes.
— Lesquelles ont lieu combien de fois par jour ?
— Plusieurs. C’est selon. On opère des rotations surprises, que des fois on en exécute deux coup surcouf.
— Vous conduisent-elles loin de la centrale ?
— Les celles dont on accomplit à l’extérieur ont lieu en jeep. Disons que nous les faisons dans un périphémètre de dix kilomètres. On parcourt la campagne, les chemins creux, les bois, les z’hameaux. Croyez bien, commissaire, sans vouloir me vanter, que c’est du travail sérieux. Faut que je vais vous faire un navet, je veux dire, un n’aveu : après gendarme, j’ai fait mercenaire en Afrique au Houlaksécho. Un patelin féroce, en pleine guérilla. Là-bas, çui qu’ouvrait pas l’œil se faisait zinguer comme un pigeon d’argile. J’en ai plus appris dans la brousse qu’à la gendarmerie.
— Parfait, parfait, cher ami, je vois que j’ai affaire à un pro pur fruit.
— Ça, vous pouvez y compter. Vous voulez une démonstration juste pour rigoler, commissaire ?
Il a une demi-plongée inenregistrable à l’œil nu et mon pote Latuile se trouve allongé sur le beau tapis en fibre de coco imitation Chiraz, les bras tordus dans le dos. Non content, ce dingue de Grantognon dégaine un couteau à manche plombé qu’il portait à sa ceinture et le lance à travers la pièce dans l’œil du chanteur noir au chapeau de feutre zorresque.
Il va pour continuer ses exhibitions, mais sa bobonne qui a déjà vu le numéro le supplie d’en rester là, pas mettre à sac leur nid d’endouillets et il se calme.
— Monsieur le chef suprême de la haute sécurité, le tartiné-je sans laisser un seul trou dans la mie, je suppose que vous avez maintenant une connaissance parfaite des lieux et des êtres de cette contrée ?
— Simple : je connais tout le monde : hommes et femmes !
Il me cligne des yeux et, dans le dos de son épouse, s’attrape les bourses à pleine main, histoire de m’indiquer qu’il consacre particulièrement sa surveillance à la gent féminine.
— Fort bien, alors écoutez attentivement car ma question est d’une importance aussi capitale que la peine du même nom fort heureusement supprimée par l’excellent M. Badinter.
— Je suis tout à ouïe, déclare solennellement ce robuste con.
— Monsieur Grantognon Lucien, vous est-il arrivé d’apercevoir dans les parages deux énormes Japonais, un beau Noir athlétique, un gros bonhomme dégueulasse, une vieille damoche chichiteuse et fanée et une pinupe asiatique belle à faire se dresser des bites sur la tête d’un chauve ? Réfléchissez profondément, sans fissurer votre matière grise et répondez-moi.
Mais avant la fin de cette belle phrase ourlée, que ne désavouerait pas M meMarguerite Duras pour rédiger sa déclaration sur le revenu, il branle déjà le chef et c’est négativement, hélas !
— Rien aperçu de pareillement semblable, commissaire. Pas de Japonais dans le circuit. Pas de négro, juste quelques ouvriers malgrébiens. Comme gros dégueulasse, y a le facteur du pays. Vieille peau, on pourrait dire la patronne de l’auberge, en tout cas, zéro pour la pinupe asiatique ! Ceci dit, y en a d’autres !
Il recligne de l’œil et se rechope le sac à pruneaux, l’élégance du geste lui tenant lieu de superlatifs.
— Pourrait-on poser la question à vos hommes ? soupiré-je.
— Ce serait inutile et superflu, commissaire. Chaque soir, au cours d’un brifinge, mon équipe me rapporte tous les faits en saillie de la journée. Pas un tourisse, pas un enfoiré de joumalisse (tu m’escuseras, Latuile) qui puisse se pointer sans qu’aussitôt ils soyent cadrés par mes bougres qu’auxquels rien ne leur échappe.
Cette nouvelle déception me fait chauffer la bile au bain-marie.
Nous approchons de minuit. Il va être demain. Et je suis au point zéro, zéro, virgule zéro ! Je tends ma main accablée à mon hôte.
— Un grand merci pour votre coopération, Granculdail !
— Grantognon, rectifie-t-il ; j’espère vous avoir été utile, commissaire ?
— Terriblement, assuré-je, depuis la sage-femme qui a accouché maman, personne n’avait fait davantage pour moi !
Après cette formidable déconvenue, tu comporterais comment, tézigue ?
Oui, hein ?
Ben moi aussi !
Alors, c’est la salle bruyante de l’auberge en compagnie d’une bande de gonziers dont je me fous comme de ta première vérole !
Latuile reprend le cours impétueux de ses whisky-Coca ; je l’escorte plus modérément au Risling. Un tordu beurré acharne le jus de boxe et fait flamber à toute vibure de la musique champêtre pour brasserie munichose, là qu’une embardouflée de tordus pleins de bibine se tiennent par le bras et dodelinent comme des métronomes.
On se cause plus. On s’asphyxie le portrait à l’alcool, doucettement. Je rêvasse à mes deux potes. Y a de la larmouille en baguenaude dans ma pauvre âme. Sensible. J’aurais dû faire jouvencelle au lieu d’homme d’action, mégnace.
C’est cinglant, la life ! Je me sens pathétique comme un regard de mouche engloutie dans de la crème Chantilly. Me voici à la dérive du côté d’Empogne, pour y faire la foire. Des moments, ta dernière force, c’est la soumission. Couler à pic est une démarche philosophique.
Je me mets à tremper dans du flou : la fumaga ambiante des futurs cancéreux pulmonaires qui me cernent ; et puis les vapes alcoolisées (ah ! le Colisée !).
Mais que vois-je tout à coup surgir au cœur de ce vaporeux au relent de dégueuli en instance ? Mathias ! L’avais oublié, le Rouquemoute forniqueur. Rayé de ma présenterie. C’est un phénomène infréquent (puisque phénomène) mais quand il s’opère, il te désarçonne. Pourquoi, à force de tremper le biscuit avec sa Ritale effrénée, s’était-il retiré de ma garce de vie sur la pointe des pieds et du cœur. Je le regarde déboucher au tournant de l’escadrin, le futiau mal boutonné, un coin de liquette sortant de la braguette, la chemise déboutonnée jusqu’au pubis, ainsi de mon inoubliable Hossein dans la Marquise des Faiseuses d’Anges. Rescator, pas mort ! Hardi ! Hardi ! Suce l’ennemi !
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