— Et vous avez perdu votre casquette dans votre fuite…
— Je ne m'en suis pas rendu compte tout de suite. C'est seulement le lendemain que j'ai réalisé.
— Vous êtes rentré à Paris avec votre voiture ?
— Bien sûr.
Annick Hatouva croise les bras sur son bureau.
— Vous aviez bu, ce soir-là ?
— Oui.
— Beaucoup ?
— Trop pour échapper à un contrôle d'alcoolémie, mais pas au point de perdre la raison.
— Vous aviez fumé ?
— Du tabac, uniquement.
— Pas de pilules, pas de coke ?
Antoine remonte ses manches pour dévoiler ses veines sans aucune trace de piqûre.
— Et pas d'héroïne non plus. Je ne me drogue pas, madame la juge, les tests sanguins le prouveront.
— Nous les ferons pratiquer.
Un long silence plane, juste troublé par la greffière qui achève de consigner l'interrogatoire sur son ordinateur.
— Quelque chose vous gêne dans le témoignage d'Antoine, madame la juge ? questionne Roykeau. Il est le fils d'un policier de haut rang et policier lui-même, depuis peu de temps, je vous l'accorde. Mais enfin… rien ne nous permet de douter de sa bonne foi. D'autant qu'il n'a aucun antécédent judiciaire.
Le juge feuillette un dossier et hoche la tête à plusieurs reprises.
— En effet. Pas d'antécédent.
Je lui sais gré de ne faire aucune allusion aux parents biologiques d'Antoine.
— Des tests génétiques sont en cours ? hasardé-je, manière de relancer l'ambiance.
Roykeau opine de son ondulante toison grisonnante qui tant fait ruisseler les muqueuses australes des Chartraines.
— Le légiste a déterminé trois spermes différents sur la victime.
In petto, je me dis que cette Mélanie était un véritable shaker à foutre. Trois fourrettes et un bon coup de techno là-dessus, bonjour le cocktail !
— Nous allons les comparer aux marqueurs ADN des cheveux trouvés dans le bonnet inca, précise le commissaire, et… dans la casquette.
Antoine ne peut s'empêcher de réagir, se dressant d'un bond.
— Ne perdez pas votre temps à analyser mes cheveux ! Je n'ai pas couché avec Mélanie, ce soir-là. Et si je l'avais fait, j'aurais utilisé ça !
Il balance un préservatif sur la table de la jugeasse [15] La rime est riche avec pétasse.
.
— Mélanie me faisait bander, poursuit mon garnement, s'exaltant quelque trop, mais je ne suis pas débile au point de sauter une fille à risques, comme elle, sans protection !
Le couillon ! Il est en train de se piéger comme un bleu.
— Et vous pensez que ce fait peut servir votre défense ?
— Eh bien…
— Au contraire, enchaîne la jugeonne [16] La rime est riche avec conne.
, ça vous accable !
Mon Antoine se liquéfie comme une glace à la vanille en vacances chez Kadhafi.
— Je ne vois pas en quoi…
— Réfléchissez. Votre égérie copule avec trois hommes au cours de la soirée…
Egérie, copule… Ce sont vraiment des mots de vieille fille branleuse. Il va falloir qu'on la rééduque, cette jugeoune [17] La rime est riche avec foufoune.
.
En attendant, elle n'est pas décidée à lâcher mon fiston d'une semelle.
— Lorsque vous la retrouvez, continue-t-elle, Mélanie se refuse à vous. L'affront est insupportable…
Cette fois, je décide d'intervenir.
— Alors Antoine, pour se venger, tue la fille, lui arrache utérus et ovaires et taillade les seins. Il est vraiment susceptible ! Mais enfin, madame la juge, regardez-le ! Ce garçon vous paraît-il capable d'une telle monstruosité ? Alors qu'il vient de sortir major de l'école de Police ?
Annick Hatouva demeure imperturbable, tendance butée. Le commissaire Roykeau essaie à son tour de nous venir en aide.
— Je vous rappelle, madame, que mon collègue San-Antonio a recueilli les aveux d'un certain Paco Rodriguez, trafiquant de drogue notoire, qui se trouvait sur les lieux la nuit du crime, et qui a reconnu avoir assassiné Mélanie Godemiche parce qu'elle refusait de lui payer son dû.
La jugeope [18] La rime est riche avec salope.
fait non de la tête.
— Ces aveux ne figurent pas sur le rapport du commissario Manao !
— Parce que c'est à moi que Paco s'est confié.
— Vous pensez vraiment que je vais croire cette fable, commissaire ?
— Non. Mais c'est dommage pour la suite de votre enquête.
Pas impressionnée, Annick Hatouva frappe son bureau du plat de la main pour attirer l'attention de sa greffière broutassière.
— Je décide la mise en examen et l'incarcération immédiate de M. Antoine San-Antonio.
— Junior, précise mon fils, San-Antonio Junior !
* * *
— Tu ne veux pas me laisser le volant ? demande Roykeau, plus blanc qu'un navet javellisé égaré sur un lit de Chantilly. Tu as l'air nerveux.
J'attaque un virage en épingle à cheveux à plus de cent trente à l'heure. Deux roues de ma bombe se soulèvent et les deux autres mordent le talus.
— Non. Ça me détend, de conduire.
Je contrebraque, enraye un tête-à-queue et évite de justesse une bétaillère qui tient la moitié de la chaussée. Nouveau virage serré et je lève le pied car nous arrivons aux abords du château de la Vieille-Nave. Mon collègue prend le temps de pisser un coup, sa grand-mère lui ayant expliqué qu'il fallait toujours uriner après une grande émotion.
Nicolas Godemiche nous ouvre. Le jeune homme ne paraît pas spécialement joyce de me voir. Et pas davantage de se trouver en présence de Roykeau. De notre précédente rencontre, il conserve un sparadrap sur le tarbouif.
— Bonjour messieurs ?
— Inutile de faire les présentations, tu connais mon confrère de Chartres.
— Vous jouez de malchance, mon père est à Paris pour toute la journée.
— Ça tombe bien, c'est justement toi qu'on vient voir.
Il s'efface comme un tag représentant une grosse bite velue sur le mur d'un couvent de Bénédictines.
— Bon, ben… entrez. Vous voulez boire quelque chose ? dit-il du bout des lèvres.
— C'est plus spontané quand c'est ton vieux qui offre. Merci quand même, on n'a pas soif. En fait, c'est ta cagnotte qui nous intéresse.
La gueule du môme se décompose comme une fillette en vacances chez Troudu, célèbre pédophilosophe belge à qui l'on doit le fameux traité intitulé « Le bonheur est dans le préau ».
— Quelle cagnotte ? Je ne vois pas de quoi vous parlez.
Je me tourne vers Roykeau.
— Qu'est-ce que tu fais, Bernard, quand un de tes subalternes avoine un prévenu ?
— Je lui décerne un blâme.
Je pivote sur mes talons et balance une tarte aussi soudaine que sonore sur la joue gauche de Nicolas.
— Et quand c'est un supérieur ?
— Je trouve ça farce, se marre Roykeau.
— Vous n'avez pas le droit ! rouscaille le fils Godemiche. Je vais porter plainte.
— T'as raison, ricané-je-te-je, on va appeler la police, commissaire Roykeau, siouplaît ?
— C'est à quel sujet ? demande mon collègue en cloquant une mandale de même magnitude à Nicolas, mais sur la joue droite, question de symétrie.
Le type se laisse tomber en geignant sur un fauteuil.
— Je ne comprends pas du tout ce que vous me voulez…
— Combien t'a rapporté la rave-party de l'autre nuit, Nico ? questionné-je, le ton radouci. Sûrement plus de 500.000 pions, puisque c'est la somme que tu as payée cash à Paco pour lui acheter la came.
Cette fois, il vient de piger à qui il a affaire et il me regarde avec autant d'admiration que de crainte. Il hésite encore à parler. Je l'encourage d'une voix plus sucrée qu'une pâtisserie libanaise.
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