Frédéric Dard - Du plomb dans les tripes

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Du plomb dans les tripes: краткое содержание, описание и аннотация

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Quand j'étais môme et que ma bonne vieille Félicie m'emmenait en vacances à la montagne, dans le Jura, j'adorais fureter du côté de la scierie. J'ai toujours aimé l'odeur du bois fraîchement coupé et le grincement plaintif des scies mécaniques mordant le sapin… Non, ne croyez pas que je cherche à vous pondre de la Haute Littérature, ni que le bucolique (néphrétique) soit à l'ordre du jour, car je vous jure que cette passion de mon enfance, je l'ai perdue… A tout jamais… Car présentement, je me trouve lié sur une de ces scies qui faisaient mon admiration… Et c'est moi qui fais le rondin. La lame se trouve très exactement à 1 mm de mon buste et je ne dispose plus que d'un centième de seconde pour agir… C'est ce qui s'appelle avoir du pain sur la planche !

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— Que charriez-vous, là-dedans ? Vous allez me trouver bien curieux, alors, en ce cas, ne répondez pas.

Je secoue mon sac.

Si je lui dis qu’il contient des tortues, il me prendra pour un cinglé. Il n’y a qu’un type cinglé en effet pour se promener avec un tel chargement dans de semblables conditions.

— Oh, quelques vieilles paires de chaussures que j’amenais en ville pour les faire ressemeler en bois.

— Et elles pissent, vos chaussures ?

— Pardon ?

— Je vous demande si vos chaussures urinent, elles ont pissé dans mon cabinet.

Je regarde le toubib.

— Allez-y, déballez le fond de votre pensée…

— On serait peut-être mieux dans mon salon, avec un verre de quelque chose à la main, non ?

— On serait bigrement mieux, conviens-je.

Il tire d’un placard mural une bouteille culottée dans laquelle on a mis à macérer des plantes.

— C’est un truc contre les refroidissements ? m’informé-je.

— Si on veut, dit-il. C’est de la verveine dans du marc.

— J’en suis.

Il emplit deux verres, m’en tend un. Avant que j’aie eu le temps de porter le mien à mes lèvres il a fait cul-sec avec le sien.

— Compliments, dis-je. C’est à la faculté qu’on vous apprend ces petits tours de société ?

Il sourit.

— Mettons que ce soit un don. Je suis un vieil ivrogne, vous savez. Tout le monde, ici, est au courant. Je suis le dernier toubib à qui on fait appel en pleine nuit, car on sait que je suis schlass. Ma clientèle vient entre huit heures et midi, après il est trop tard. Si je n’étais pas bon médecin, il y a belle lurette que je n’aurais plus personne.

— Chagrin d’amour, comme dans les romans, doc ?

— Juste comme dans les romans, oui.

Il me plaît, ce petit vieux. De le savoir poivrot, ça me met en confiance ; en général les saoulots sont de braves types.

— Vous buvez pour oublier ?

Il se sert un second verre auquel il fait faire le même voyage qu’au premier.

— Mais non, je bois pour me souvenir. Personne ne boit pour oublier. Ce qu’on demande à l’alcool, c’est de vous faire souvenir ; mais de vous faire souvenir gentiment, en Technicolor, quoi, vous voyez ce que je veux dire ?

— Je vois très bien. Alors, pour en revenir à ma question ?

Il s’assied.

— Ah oui… Pour en revenir à vous et à vos chaussures qui font pipi… Pas malin, vous savez. Voulez-vous que nous jouions aux devinettes ?

— Allez-y.

— Vous n’êtes pas de la région. Si mon oreille est fidèle, vous êtes de Bercy ou des environs. Si ma connaissance des visages l’est aussi, vous êtes un homme d’action. Si mes yeux ne m’abusent pas, ce sont des balles qui ont fait ces trous aux pans de votre veste. Si mon sens de la psychologie n’est pas trop déficient, vous ne tenez pas du tout à rencontrer des vert-de-gris et, de plus, vous ne savez pas où aller. Ça vaut combien, sur dix, tout ça ?

— Pas loin de dix, fais-je en riant.

Je n’hésite plus. Le vieux petit barbichu est un type de première ; moi aussi, j’en connais un brin sur la question des bonshommes.

— Ouvrez grandes vos manettes, doc, je vais vous rancarder. Car je pense qu’on peut avoir confiance en vous !

Et je lui déballe toute l’histoire, depuis A jusqu’à Z en passant par la Lorraine. Je ne lui cache rien, ni mon identité, ni les raisons qui m’ont amené ici, ni mes démêlés avec les Gertrude’s gougnafiers, ni ma rencontre avec le pauvre Polak.

Il m’écoute, calmement, en essayant d’arracher sa barbichette. Mais la barbichette tient bon et elle n’a pas perdu un seul poil lorsque j’ai terminé mon exposé.

— Voilà qui vaut tous les fades romans d’aventures, assure le docteur. Montrez un peu ces tortues…

J’ouvre le sac et le retourne. Les braves bestioles tombent lourdement sur le tapis, où elles se mettent à remuer avec des mines pataudes.

Le médecin en cramponne une et l’approche de l’abat-jour.

— Ce sont des tortues normales, non ? dis-je en m’approchant.

— Tout ce qu’il y a de normales, admet-il.

— Alors pourquoi les auscultez-vous ? Elles ont de la température ?

— Une idée, comme ça…

Il me regarde, son œil rit.

— Les animaux évoquent toujours des êtres humains pour moi. Une habitude que je tiens de ma jeunesse… Par exemple l’éléphant me fait penser à un gros type dont le pantalon pend. Le hérisson à un clochard hirsute. La tortue… Eh bien, la tortue, mon cher commissaire, me fait songer à un homme-sandwich avec ses deux panneaux qui l’emboîtent…

Je sursaute.

— Bon Dieu, je saisis… Vous croyez que…

— Nous allons voir.

Il s’éclipse un court moment et revient, armé d’une forte loupe.

Il commence à examiner le dos de notre pensionnaire.

— Rien, fait-il. Tout est régulier…

Il la retourne. La pauvre bête se met à remuer désespérément ses pattes grotesques en tirant son cou vipérin.

— Montre ton bide, Nelly ! ordonne le docteur.

Elle ne peut pas faire le contraire vu qu’une tortue à la renverse est aussi privée de moyens qu’un centenaire impotent.

Il la regarde attentivement.

— Regardez, me dit-il soudain.

Il me passe sa loupe. J’examine la carapace de dessous.

Celle-ci, comme toutes les carapaces de tortues, est striée de fines rainures qui dessinent des motifs assez réguliers. Grosso modo, on peut considérer l’ensemble de ces motifs comme un quadrillage. Or, à l’intérieur de chaque case, se trouve un autre petit motif qui paraît naturel à première vue et qui se confond avec l’ensemble ; mais il s’agit de signes exécutés au moyen d’un poinçon dans la corne. Et chacun de ces signes a la forme d’une lettre de l’alphabet polonais.

— Beau travail, dit le docteur avec un petit sifflement admiratif. Et quelle idée magnifique ! Qui soupçonnerait ces innocentes tortues de véhiculer des messages…

— Vous avez un crayon et une feuille de papier, doc ?

Il va à son bureau et en ramène un bloc et un stylo. Je me mets à reproduire les lettres gravées dans la carapace des tortues. Lorsque ce travail est terminé, j’ai deux feuillets couverts de signes auxquels je suis incapable de donner la moindre signification.

— Vous comprenez le polak, toubib ?

— Non, fait-il, mais la bonne de mes voisins est Polonaise, demain je pourrai lui faire déchiffrer ce message. Enfin, j’espère qu’elle sait lire.

— Ce n’est pas un peu risqué ? je demande. Ça doit être bigrement confidentiel pour qu’on ait choisi un système de correspondance aussi bizarre.

— Ne vous tracassez pas, sourit le médecin, Frania est aussi intelligente que cette bouteille de marc. Ma seule crainte, je vous dis, est qu’elle ne sache pas lire…

Il se lève.

— Vous avez grandement besoin de repos, commissaire. Je vais vous faire une petite piqûre calmante et vous irez dormir dans la chambre d’amis. Je continue à l’appeler ainsi, bien que je n’aie plus d’amis depuis belle lurette…

Il saisit les tortues et les emmène à la cuisine.

— Elles ont bien mérité une feuille de salade, dit-il.

* * *

Il fait un soleil à tout casser lorsque j’ouvre mes châsses. La lumière est tellement vive que je me démerde de baisser mes stores. Mais tout de même le soleil est un machin drôlement fameux lorsqu’on a failli laisser ses os dans un tas de sciure. Je rouvre mes paupières. Il me faut plusieurs secondes avant de réaliser où je me trouve. Puis la mémoire me revient. Les tortues-sandwichs, le brave poivrot de toubib… Qu’est-ce qu’il maquille, le vieux barbichu ?

Je me mets sur mon séant. Le lit est moelleux comme les fesses d’une couturière et il a une façon muette de vous dire « t’en va pas, petit gars »… Mais un pucier n’est pas compatible avec le beau soleil qui passe à travers les rideaux.

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