Bérurier, qui m’a rejoint, épineux comme un buisson ardent, mate à son tour. Il tressaille, sa glotte fait roue libre, et son regard lui tombe dans les chaussettes. Il a toutes les peines of the world à le ramener à la surface.
Ce que nous voyons, mes enfants, c’est un appartement de poupée ! Vous lisez bien ? Gulliver à Lilliput, parfaitement.
Supposez que les Galeries Lafayette reconstituent dans la plus vaste de leurs vitrines une maison miniature et vous serez sur les berges du réel. Il y a là plusieurs pièces dont les cloisons s’élèvent à un mètre vingt à peu près. Un homme de taille normale peut donc avoir une vue générale de l’appartement. Une maquette de marchands immobiliers, vous mordez ? Faut tout vous détailler, mes pauvres. Quand on s’obstine à vous faire piger quelque chose, à vous, c’est tout de suite la méthode Assimil et les schémas au tableau noir.
C’est adorable, cet appartement miniature. Il y a là un salon, avec des meubles gros comme des boîtes à biscuits, une salle à bouffer, une cuisine, une salle de bains, des gogues dont la cuvette ressemble à un pot à moutarde. Il y a un jardin japonais avec des ponts, des rocailles, des plantes rares. Il y a un gymnase avec une balançoire pas plus grande que celle d’un écureuil, des barres parallèles et tout…
— On se croirait chez Lili la pute ! chuchote Bérurier, extasié.
Entendez par là qu’il veut parler de Lilliput.
Le type blond se déplace minutieusement dans ce décor ahurissant. Il paraît chercher quelque chose.
— Ça biche, pêcheur ? je lui demande.
Mes aïeux ! Cette volte-face ! On dirait qu’il vient de confondre un câble à haute tension avec des suppositoires habituels. En moins de temps qu’il en faut à Kid Mayehose pour dégainer sa rapière, le voilà qui me braque avec une arquebuse tellement grosse qu’on se demande pourquoi ils ne sont pas deux pour la charrier. C’est un feu à canons doubles superposés. Quand ce machin-là vous regarde dans les yeux on se demande si les Chintocks n’auraient pas mieux fait d’inventer le poil à gratter plutôt que la poudre.
Il s’avance, le pas net, l’œil de marbre. Il a une mâchoire de brochet, des arcades sourcilières proéminentes et tout. Pas plus sympa qu’une feuille d’impôt, ce zig. La silhouette est avantageuse, mais quand on entre dans le détail, on comprend vite qu’il ne vaut pas un coup de cidre.
— Levez les mains ! m’enjoint-il.
Le moyen de lui refuser, je vous le demande, quand c’est demandé si gentiment.
Je cramponne les nuages vite fait.
— Avancez !
Je m’approche de lui. Mais il les connaît toutes dans les coins.
— Assez comme cela ! déclare-t-il lorsque je suis à deux mètres cinquante de sa personne.
Quelque chose sanglote en moi : mon orgueil. Se faire braquer d’emblée c’est pas marle. Mais quelque chose par contre chante en moi : mon espoir. En effet, l’arquebusier n’a pas vu Bérurier que je masquais. Or Béru, réalisant la situation, s’est jeté en arrière et, pour l’instant, fait le mort. Un Béru averti en vaut deux. Que dis-je, il en vaut trente ! Lorsqu’il cesse de se marrer, le Mastar, il devient fumant. Les cas désespérés lui vont bien au teint.
— Qui êtes-vous ? me demande le zig.
Quel est son accent ? Je cherche, c’est léger, mais ce n’est pas l’accent du Berry.
— Un touriste, dis-je.
— Papiers ! demande-t-il.
Je vais pour porter la main à mon veston. Il me stoppe.
— Attendez !
Je me fige.
— Tournez-moi le dos !
C’est un accent d’Europe centrale, décidément.
J’obtempère.
— Maintenant sortez votre portefeuille et lancez-le-moi par-derrière. Si c’est une arme que vous prenez, je vous abats avant que vous ayez eu le temps de vous en servir.
Pas mal combiné. C’est un professionnel, ce mec-là. Il a sa licence depuis longtemps, sa technique me le prouve. Je fais ce qu’il m’a demandé, d’assez mauvaise grâce je le reconnais.
Une petite astuce san-antoniesque pourtant : au lieu de balancer mon larfouillet loin de moi, je le laisse choir à cinquante centimètres de mes talons. De la sorte, lorsque mon archer se baissera pour le ramasser, il aura droit à une dégustation de semelle magnifique.
— Enfantin, murmure-t-il. Voulez-vous avancer de deux pas, je vous prie.
Qui c’est qui l’a dans le Laos, mes trognons jolis ? C’est votre petit San-A. ! Je fais deux pas en avant. Le gnace s’approche, ramasse mon portefeuille et l’examine.
— Commissaire San-Antonio ! dit-il. Je vous connais de réputation.
— C’est un honneur que je n’ai pas en ce qui vous concerne, riposté-je, vous êtes monsieur ?…
— M. Machin, fait-il en riant. Qu’êtes-vous venu faire ici, commissaire ?
— La même chose que vous, bluffé-je, essayant de prêcher le faux pour apprendre le vrai.
— Eh bien, tout comme moi, vous aurez fait chou blanc ! conclut-il amèrement. Comment se fait-il que vous soyez sur l’affaire ? Il y a eu des fuites ?
— Il faut croire, évasivé-je.
— Dommage, termine l’enfoiré. Allez vous mettre au fond de la pièce, voulez-vous ?
Je me dis que c’est sans doute ici que les Athéniens s’atteignirent. Dans ce genre de rencontres, c’est la prise de congé, l’instant périlleux. Comment l’entend-il ? That is the question.
— Vous partez ? je demande.
— Oui.
Je me demande très fort s’il va m’assaisonner avant de filer. Laisser derrière soi un témoin de ma trempe peut être dangereux pour sa santé. Ce type doit être diaboliquement malin car, depuis le début de nos relations, il devine mes pensées sans que j’aie à les formuler.
— Non, dit-il, je ne vous abattrai pas, commissaire. A condition toutefois que vous me facilitiez les choses, naturellement. Gardez les mains levées pendant que je referme la porte. La serrure est vicieuse, j’aurai une marge suffisante. Comme je quitte votre beau pays dans les heures qui viennent, il est inutile que je commette un gros délit !
Il rit.
— D’accord ?
— D’accord !
Et votre San-A., mes chéries chéries, très mortifié de se trouver dans une aussi ridicule position, continue de jouer « Je vous ai compris » avec ses beaux bras levés en forme de « V ».
Le zig recule jusqu’à la lourde. A la qualité du bruit, je sais qu’il est maintenant sur le seuil. Je perçois un choc qui, pour être sourd, n’en est pas moins violent.
— Descendez, on vous demande ! lance l’organe plantureux de mon cher petit camarade Béru.
Je me retourne. Le Gravos est là, une bouteille à la main. J’aperçois les pieds en flèche de mon agresseur.
— Tu peux stopper ta gymnastique, San-A., ricane l’Abomination des abominations, remarque que c’est pas mauvais pour la circulation du raisin !
J’abaisse les brandillons et je m’approche du seuil. Le zigoto à l’imper gît dans le soleil ; sa pétoire est tombée à ses côtés. Il ne bouge plus.
— C’est bien la Providence qu’a placé cette boutanche à portée de pogne ! fait le Gravos en me montrant sa massue improvisée. Juste à côté de la porte qu’elle était ; bien sage à m’attendre. J’ai z’eu qu’à la choper par le cou.
Je palpe le matraqué.
— Mais dis donc, Béru, bredouillé-je, tu l’as défoncé, ce cher homme.
Ma main a beau explorer sa poitrine sous l’imper, on joue « le Monde du silence » dans sa caisse d’horloge.
— T’es sûr qu’il est viande froide ? s’étonne le Mahousse.
— Certain. Tu lui as administré une dose pour mammouth !
Béru brandit sa bouteille.
— Je m’ai pas méfié, dit-il, mais ces champenoises ont un c… comme çui de Berthe. J’ai cru qu’elle allait faire des petits.
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