Gustave Aimard - L'éclaireur

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– Trêve de réflexions, interrompit le sergent.

– Elle me donna le papier, reprit l'evangelista; et, ainsi que cela est convenu entre vous et moi, je pris une feuille de papier que je plaçai sur une autre préparée d'avance et noircie d'un côté, si bien que les mots que j'écrivais sur mon papier étaient reproduits par la feuille noire sur une autre, sans que la pauvre niña s'en doutât le moins du monde; après cela, la lettre n'était pas longue, elle avait tout au plus deux ou trois lignes; seulement je veux être damné, ajouta-t-il en se signant pieusement, si j'ai compris un seul mot à cet affreux grimoire que j'ai copié; ce doit être sans nul doute du morisque.

– Après?

– Après j'ai plié le papier en forme de lettre, et j'y ai mis une adresse.

– Ah! Ah! fit le soldat avec intérêt, c'est la première fois.

– Oui, mais ce renseignement ne vous avancera guère.

– Peut-être. Quelle est cette adresse?

– Z. p. V. 2, calle S. P. Z.

– Hum! fit le soldat d'un air pensif, en effet c'est un peu vague; ensuite?

– Ensuite elle est partie en me donnant une once d'or.

– Elle est généreuse.

– Pobre niña, fit l'evangelista en posant ses doigts crochus sur ses yeux secs d'un air attendri.

– Assez de momeries auxquelles je ne crois pas; voilà tout ce qu'elle vous a dit?

– A peu près, fit l'autre en hésitant.

Le sergent le regarda.

– Il y a donc autre chose? dit-il en lui jetant quelques pièces d'or que Tío Leporello fit disparaître incontinent.

– Presque rien.

– Dites toujours, Tío Leporello, vous qui êtes evangelista, vous savez que c'est ordinairement dans le post-scriptum des lettres que se trouve la raison qui les a fait écrire.

– En quittant mon oficina, la señorita fit signe à une providencia 2 2 Nom des voitures de place à Mexico. qui passait; la voiture s'arrêta, et bien que la niña parlât bien bas, je l'entendis dire au cocher: Au couvent des Bernardines.

Le sergent tressaillit imperceptiblement.

– Hum! fit-il d'un air indifférent parfaitement joué, cette adresse ne signifie pas grand-chose; maintenant donnez-moi le papier.

L'evangelista fouilla dans son tiroir et en tira une feuille de papier blanc sur laquelle quelques mots étaient tracés en noir d'une façon presque illisible.

Dès que le soldat eut le papier entre les mains, il le parcourut des yeux; il paraît que ce qu'il lut avait pour lui un grand intérêt, car il pâlit visiblement, et un tremblement convulsif agita tout son corps, mais se remettant presque aussitôt:

– C'est bien, dit-il en déchirant le papier en parcelles imperceptibles, voilà pour vous!

Et il jeta sur la table une nouvelle poignée d'onces.

– Merci, caballero, s'écria Tío Leporello en se précipitant avidement sur le précieux métal.

Un sourire ironique plissa les lèvres du soldat, et profitant de la position du vieillard, qui était penché sur la table pour ramasser l'or il leva son couteau et le lui enfonça jusqu'au manche entre les deux épaules. Le coup fut si bien assené, porté d'une main si ferme, que le vieillard tomba comme une masse sans pousser un soupir, sans proférer une plainte. Le soldat le regarda un instant impassible et froid; puis rassuré par l'immobilité de sa victime, qu'il crut morte:

– Allons, murmura-t-il, cela vaut mieux; au moins de cette façon il ne parlera pas!

Après cette philosophique oraison funèbre, l'assassin essuya tranquillement son couteau, ramassa son or, éteignit le candil, ouvrit la porte de l'échoppe, la referma avec soin derrière lui, et s'éloigna de ce pas assuré, bien qu'un peu pressé, d'un promeneur attardé qui se hâte de regagner son logis.

La plaza Mayor était déserte.

VII.

Une ténébreuse histoire (suite)

L'ancien Mexico était traversé par des canaux comme Venise, ou pour être plus vrai comme les villes de Hollande, car généralement dans toutes les rues il y avait un chemin latéral entre le canal et les maisons. Aujourd'hui que toutes les rues sont pavées, et qu'excepté dans un quartier de la ville les canaux ont disparu, on a peine à comprendre comment Cervantes, dans une de ses Nouvelles, a pu comparer Venise à Mexico; cependant si les canaux ne sont plus visibles, ils existent toujours sous le sol, et dans certains bas quartiers où on les a transformé en égouts, ils se révèlent par l'odeur fétide qu'ils exhalent ou bien encore par des amas d'ordures et des eaux stagnantes et croupissantes.

Le sergent, après avoir si lestement réglé ses comptes avec le malheureux evangelista, avait traversé la place dans toute sa largeur et s'était enfoncé dans la calle de la Monterilla.

Il marcha assez longtemps dans les rues, du même pas tranquille qu'il avait adopté en sortant de l'échoppe de l'evangelista. Enfin, après une course de vingt minutes environ à travers des carrefours déserts et des ruelles sombres dont l'apparence misérable devenait à chaque pas plus menaçante, il s'arrêta devant une maison d'apparence plus que suspecte, au-dessus de la porte de laquelle, derrière un retablo de las Ánimas Benditas brûlait un candil fumeux; les fenêtres de cette maison étaient éclairées et sur l'azotea des chiens de garde hurlaient lugubrement à la lune. Le sergent frappa deux coups à la porte de cette sinistre demeure avec le cep de vigne qu'il tenait à la main.

On fut assez longtemps à lui répondre; les cris et les chants cessèrent subitement dans l'intérieur; enfin le soldat entendit un pas lourd qui se rapprochait: la porte fut entr'ouverte, car, ainsi que cela se pratique partout à Mexico, une chaîne de fer soutenait les vantaux, et une voix avinée dit d'un ton bourru:

– ¿ Quién es ? – Qui est-ce?

Gente de paz , répondit le sergent.

– Hum! Il est bien tard pour courir la tuna et entrer au velorio! reprit l'autre, qui semblait se consulter.

– Je ne veux pas entrer.

– Que diable demandez-vous alors?

¡Pan y sal! Por los cabelleros errantes 3 3 Mot à mot: Pain et sel pour les cavaliers errants. , répondit le soldat d'un ton de commandement, en se plaçant de façon à ce que les rayons de la lune tombassent sur son visage.

L'homme se recula en poussant une exclamation de surprise.

– ¡Válgame Dios! señor don Toribio, s'écria-t-il avec l'accent d'un profond respect, qui aurait reconnu votre seigneurie sous ce misérable accoutrement? Entrez, entrez, ils vous attendent avec impatience.

Et cet homme, devenu aussi obséquieux qu'il était insolent quelques minutes auparavant, se hâtait de détacher la chaîne afin d'ouvrir la porte toute grande.

– C'est inutile. Pepito, reprit le soldat; je te répète que je n'entrerai pas: combien sont-ils?

– Vingt, seigneurie.

– Armés?

– Complètement.

– Qu'ils descendent à l'instant, je les attends ici; va, mon fils, le temps presse.

– Et vous, seigneurie?

– Moi, tu m'apporteras un chapeau, une esclavina, mon épée et mes pistolets; allons, dépêche.

Pepito ne se fit pas répéter cet ordre; laissant la porte ouverte, il s'éloigna en courant.

Quelques minutes plus tard, une vingtaine de bandits armés jusqu'aux dents firent irruption dans la rue en se bousculant les uns les autres. Arrivés auprès du soldat, ils le saluèrent respectueusement, et, sur un signe de lui, ils demeurèrent immobiles et silencieux.

Pepe avait apporté les objets demandés par celui que l'evangelista avait nommé don Aníbal, que lui appelait don Toribio et qui, probablement, portait encore d'autres noms, mais auquel nous conserverons provisoirement le dernier.

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