Gustave Aimard - L'éclaireur

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La porte de la cellule s'ouvrit doucement: une jeune fille, revêtu du costume de novice, s'avança timidement en effleurant à peine le parquet de son pas léger et craintif.

Cette jeune fille alla se placer devant le fauteuil et attendit silencieusement que l'abbesse levât les yeux sur elle.

– Ah! Vous voici, mon enfant, dit enfin la supérieure en s'apercevant de la présence de la novice, approchez!

Celle-ci s'avança de quelques pas encore.

– Pourquoi êtes-vous sortie ce matin sans m'en avoir demandé la permission?

En entendant cette parole à laquelle cependant la jeune fille devait s'attendre, elle se troubla, pâlit et balbutia quelques mots inintelligibles.

L'abbesse reprit d'une voix sévère:

– Prenez garde, niña, quoique vous ne soyez encore que novice et que ne vous ne deviez prendre le voile que dans quelques mois, comme toutes vos compagnes, vous ne dépendez que de moi, de moi seule.

Ces mots furent prononcés avec un accent et une intonation qui firent frémir la jeune fille.

– Ma sainte mère! murmura-t-elle.

– Vous étiez l'amie intime, presque la sœur de cette jeune folle que sa résistance contre notre volonté souveraine a brisée comme un faible roseau et qui est morte ce matin.

– Croyez-vous donc qu'elle soit morte, ma mère? répondit la jeune fille timidement et d'une voix entrecoupée par la douleur.

– Qui en doute? s'écria l'abbesse avec éclat, en se levant à demi sur son fauteuil et en fixant un regard de vipère sur la pauvre enfant.

– Personne! Madame, personne! s'écria-t-elle en se reculant avec terreur.

– N'avez-vous pas, comme les autres membres de la communauté, continua l'abbesse avec un accent terrible, assisté à son convoi? N'avez-vous pas entendu les prières prononcées sur son cercueil?

– C'est vrai, ma mère.

– N'avez-vous pas vu descendre son corps dans les caveaux du couvent et sceller au-dessus la pierre tumulaire que l'ange de la justice divine doit seul soulever au jugement dernier? Dites, n'avez-vous pas assisté à cette cérémonie triste et terrible! Oseriez-vous soutenir que tout ne s'est pas passé ainsi et qu'elle est vivante, encore, cette misérable créature que Dieu a subitement frappée dans sa colère, pour qu'elle servît d'exemple à ceux que Satan pousse à la révolte.

– Pardon, ma sainte mère, pardon! J'ai vu ce que vous dites, j'ai assisté à l'enterrement de doña Laura; hélas! Le doute n'est point possible, elle est bien morte.

En prononçant ces dernières paroles, la jeune fille ne put retenir ses larmes, qui coulèrent abondamment.

L'abbesse la regarda d'un air soupçonneux:

– C'est bien, reprit-elle, retirez-vous; mais, je vous le répète, prenez garde; je sais que, vous aussi, un esprit de révolte s'est emparé de votre cœur, je vous surveillerai. La jeune fille salua humblement la supérieure et fit un mouvement pour obéir à l'ordre qu'elle avait reçu.

Tout à coup un bruit terrible se fit entendre; des cris d'effroi, des menaces résonnèrent dans les corridors et on entendit se rapprocher rapidement les pas pressés d'une foule en tumulte.

– Qu'est-ce que cela signifie? s'écria l'abbesse avec, effroi, quelle est cette rumeur?

Elle se leva avec agitation et se dirigea d'un pas incertain vers la porte de la cellule contre laquelle on frappait en ce moment à coups répétés.

– Mon Dieu! Mon Dieu! murmura la novice en jetant un regard suppliant à la statue de la Vierge dont le doux visage sembla lui sourire, sont-ce enfin des libérateurs!

Nous retournerons auprès de don Toribio, que nous avons laissé marchant avec ses compagnons dans la direction du couvent.

Ainsi que cela avait été convenu entre lui et ses complices, don Toribio trouva toute la troupe réunie sous les murs du couvent.

Sur leur chemin, les bandits, afin de ne pas être dérangés par les serenos, les avaient garrottés, bâillonnés et menés avec eux au fur et à mesure qu'ils les rencontraient disséminés dans les rues qu'ils parcouraient. Grâce à cette habile manœuvre, ils étaient arrivés sans encombre au but de leur course. Douze serenos avaient été capturés pendant le trajet.

Une fois parvenu au couvent, don Toribio fit poser les serenos à terre et donna l'ordre de les coucher les uns sur les autres, au pied même de la muraille.

Puis, sortant un loup de velours de l'une de ses poches, il s'en couvrit le visage, précaution imitée par ses compagnons, et s'approchant d'une misérable masure, qui s'élevait à peu de distance, il enfonça la porte d'un coup d'épaule. Le maître de la bicoque arriva effaré et à moitié vêtu pour s'informer de ce que signifiait cette manière insolite de frapper à sa porte; le pauvre diable recula avec un cri de terreur en apercevant les hommes masqués qui étaient groupés à l'entrée de la maison.

Don Toribio était pressé, il entama la conversation en allant de suite droit au but;

– Buenas noches, Tío Salado; je suis charmé de vous voir en bonne santé, lui dit-il.

L'autre répondit sans trop savoir ce qu'il disait:

– Je vous remercie, caballero, vous êtes trop bon.

– Allons, dépêchez-vous, prenez votre manteau et venez avez nous.

– Moi! fit Salado avec un geste d'effroi.

– Vous-même.

– Mais en quoi puis-je vous être utile?

– Je vais vous le dire: je sais que vous êtes fort considéré au couvent des Bernardines, comme pulquero d'abord et ensuite comme hombre de bien y religioso .

– Oh! Oh! Jusqu'à un certain point, répondit évasivement le pulquero.

– Pas de fausse modestie, je sais que vous avez le pouvoir de vous faire ouvrir les portes de cette maison quand bon vous semble; c'est pour cette raison que je vous invite à nous accompagner.

– ¡Jesús María! Y pensez-vous, caballero? s'écria le pauvre diable avec effroi.

– Pas d'observations, dépêchons, ou de par Nuestra señora del Carmen, je brûle votre bicoque!

Un sourd gémissement sortit de la poitrine de Salado, qui après avoir jeté un regard désespéré sur les masques noirs qui l'entouraient, se mit en devoir d'obéir.

De la maison du pulquero au couvent il n'y avait que quelques pas; ils furent bientôt franchis: don Toribio se tourna vers son prisonnier plus mort que vif:

– Ah ça, compadre, lui dit-il nettement, nous voici arrivés, à vous maintenant de nous ouvrir les portes.

– Mais, au nom du Ciel, s'écria le pulquero, en faisant un dernier effort pour résister; comment voulez-vous que je m'y prenne? Vous ne songez donc pas que je n'ai aucun moyen de…

– Ecoutez! fit impérieusement don Toribio, vous comprenez que je n'ai pas le loisir de discuter avec vous: ou vous nous introduisez dans le couvent, et cette bourse qui contient cinquante onces est à vous, ou vous refusez, et alors, ajouta-t-il froidement en sortant un pistolet de sa ceinture, je vous brûle la cervelle avec ceci!

Une sueur froide baigna les tempes du pulquero; il connaissait trop bien les bandits de son pays pour leur faire l'injure de douter de leurs paroles.

– Eh bien! lui demanda l'autre en armant le pistolet, avez-vous réfléchi?

– ¡Cáspita! caballero, ne jouez pas avec cela, je vais essayer.

– Pour mieux réussir, voici la bourse, fit don Toribio.

Le pulquero s'en empara avec un mouvement de joie dont il est impossible de donner une idée; puis, il se dirigea lentement vers la porte du couvent, tout en cherchant dans sa tête comment il pourrait s'y prendre pour gagner honnêtement la forte somme qu'il venait de recevoir sans courir le moindre risque, problème, nous l'avouons, dont la solution n'était pas facile à trouver.

VIII.

Une ténébreuse histoire (fin)

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