CÉSARINE
Parce qu'il en a peur.
MONTJOIE
Et des questions d'argent…
CÉSARINE
Parce qu'il est riche. Rassurez-vous. L'important est de savoir au juste ce que pense Édith. Envoyez-la-moi. Je vais l'interroger.
MONTJOIE
Merci. Vous me direz toute la vérité? J'ai du courage. Si elle ne m'aime pas…
CÉSARINE
Allez la chercher dans le jardin.
MONTJOIE
Tout de suite. (Il se dirige vers le perron. – S'arrêtant.) Je n'aurai pas été bien loin: la voici.
Édith paraît
Les Mêmes, ÉDITH
ÉDITH
Au secours, monsieur de Montjoie, au secours!
CÉSARINE
Bon Dieu! qu'y a-t-il?
MONTJOIE
Vous n'avez pas l'air bien effrayée.
ÉDITH
Mon père et M. Bonchamp vont se dévorer. J'ai compté sur vous pour séparer ces deux ennemis qui s'adorent.
MONTJOIE
C'est beaucoup d'honneur que vous me faites. Mais si j'échoue?
ÉDITH
Oh! vous réussirez. Ma tante prétend que vous êtes un homme… irrésistible.
MONTJOIE, à part
Elle me raille. (Saluant.) Mademoiselle. (A Césarine.) Je tremble comme un collégien. Je reviendrai ce soir pour connaître mon sort.
CÉSARINE
Nous comptons sur vous pour dîner.
Il sort
ÉDITH, CÉSARINE
CÉSARINE
Et maintenant, à nous deux, ma belle… Viens t'asseoir là, sur mes genoux. Comment trouves-tu M. de Montjoie?
ÉDITH, souriant
Je ne le trouve pas.
CÉSARINE
Tu l'as vu souvent, cependant!
ÉDITH
Oui, mais je ne l'ai jamais regardé.
CÉSARINE
Cette petite a des réponses qui me confondent. Mais il est très bien; et puis si romanesque! Je t'ai fait lire Ipsiboë . Tu ne trouves pas qu'il ressemble à Almaric?
ÉDITH
Ma chère tante, tu es la meilleure femme du monde, mais ton idéal n'est pas le mien. Je me suis promis de n'épouser jamais qu'un homme que j'aimerais… et je ne l'aime pas.
CÉSARINE
Ah! le pauvre homme! Et moi qui le protège!
ÉDITH, embrassant sa tante
Tu ne le protégeras plus, voilà tout.
CÉSARINE
Comme tu vas! comme tu vas! Tu changeras peut-être d'idée.
ÉDITH
Cela m'étonnerait.
CÉSARINE
Voyons, prends-moi pour confidente. Pour ne pas aimer M. de Montjoie, il faut que tu en aimes un autre.
ÉDITH
Oui.
CÉSARINE, se frappant le front
Le capitaine Daniel!
ÉDITH
Oui.
CÉSARINE
Et je ne le savais pas!
ÉDITH
Tu ne me l'as jamais demandé.
CÉSARINE
Pouvais-je me douter d'une telle aberration! Un homme froid, hautain, qui n'a rien de romanesque? Ah! ce n'est pas celui-là qui a eu la moindre aventure!
ÉDITH
Tant mieux, si je suis la première de sa vie.
CÉSARINE
Et puis, c'est un artilleur. Que feras-tu d'un pareil homme?
ÉDITH
J'en ferai mon bonheur.
CÉSARINE
Compare-le seulement à son rival!
ÉDITH
Oh! je ne compare pas Daniel… je le sépare.
CÉSARINE
Toi que j'avais si bien élevée! Je vois que je m'étais méprise sur ton caractère. Je ne te connaissais pas.
ÉDITH
C'est bien possible, je ne me connaissais pas moi-même.
CÉSARINE
Un homme que tu as vu pour la première fois il y a deux mois!
ÉDITH, l'embrassant
Alors, tu ne me parleras plus de M. de Montjoie?
CÉSARINE
Soit, mais je ne m'engage pas à soutenir l'artilleur.
ÉDITH
Je ne te demande que la neutralité.
CÉSARINE, dramatiquement
Malheureuse enfant! (Curieusement.) T'a-t-il dit qu'il t'aimait?
ÉDITH
Jamais!
CÉSARINE
Tu vois bien!
ÉDITH
Mais je suis sûre qu'il m'aime.
CÉSARINE
Pourquoi?
ÉDITH
Précisément parce qu'il ne me l'a pas dit.
CÉSARINE
Tu es folle!
ÉDITH, souriant
Tu crois?
CÉSARINE
On ne l'a pas vu depuis huit jours.
ÉDITH
Je sais pourquoi.
CÉSARINE
Comment le sais-tu?
ÉDITH
Je l'ai deviné. Écoute bien. Il est allé chez sa tante, madame Dubois, qui habite le bourg de Vic-sur-Cère, dans le Cantal. Il y a passé la semaine. Tu comprends qu'il ne pouvait pas lui-même demander ma main. C'est la raison de son voyage. Il ne m'a pas écrit une seule fois, mais je suis certaine qu'il reviendra aujourd'hui ou demain avec sa tante, et aussitôt il priera mon père de lui fixer un rendez-vous.
CÉSARINE
De quelle façon t'y es-tu prise pour deviner cela?
ÉDITH
Je me suis demandé ce que j'aurais fait, si j'avais été à sa place.
CÉSARINE
Imaginations!
ÉDITH
Nous verrons bien!
Godefroy paraît à gauche, accompagné de Bonchamp, et suivi d'un soldat
Les Mêmes, GODEFROY, BONCHAMP, UN SOLDAT
GODEFROY, très animé, tient une lettre à la main. A Bonchamp
Tiens, laisse-moi tranquille, tu m'exaspères. (Au soldat.) C'est M. Daniel qui vous a remis cette lettre?
LE SOLDAT
Oui, monsieur.
GODEFROY, lisant tout haut
«Monsieur, je viens de passer la semaine chez ma tante, Mme Dubois, qui habite le bourg de Vic-sur-Cère, dans le Cantal. Me voici de retour avec elle. Je vous serais reconnaissant de vouloir bien m'accorder un rendez-vous…»
ÉDITH, bas à sa tante
Me suis-je trompée de beaucoup?
CÉSARINE
Tu es sorcière.
GODEFROY, au soldat
Dites au capitaine qu'il peut venir. Je l'attends. (Le soldat sort. Il se frotte les mains.) Il sera bientôt ici, puisqu'il demeure en face.
BONCHAMP
Pourquoi te frottes-tu les mains?
GODEFROY
Parce que je suis content.
BONCHAMP
Évidemment. Mais pourquoi es-tu content?
GODEFROY
Parce que… (A Édith.) Mon enfant, tu devrais aller faire un bout de toilette, un rien. Nous aurons probablement ce soir du monde à dîner, et…
ÉDITH
Je comprends.
Elle sort
Les Mêmes, moins ÉDITH
GODEFROY
Je ne suis pas fâché d'avoir éloigné Édith. Mes chers amis, sachez que je suis au comble de mes vœux.
BONCHAMP
Bah!
GODEFROY
Cela ne vous étonne pas de voir que le capitaine sollicite gravement un rendez-vous au lieu de venir comme d'habitude?
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