Paul Féval - Le Bossu Volume 4

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Paul Féval

Le Bossu Volume 4 Aventures de cape et d'épée

LE PALAIS-ROYAL.

(SUITE.)

II

– Entretien particulier. —

La silhouette de Philippe d'Orléans et celle de son bossu ne se montrèrent plus aux rideaux du cabinet. Le prince venait de se rasseoir; le bossu restait debout devant lui, dans une attitude respectueuse, mais ferme.

Le cabinet du régent avait quatre fenêtres, deux sur le jardin, deux sur la cour des Fontaines.

On y arrivait par trois entrées, dont l'une était publique; la grande antichambre, les deux autres dérobées. Mais c'était là le secret de la comédie. Après l'opéra, ces demoiselles, bien qu'elles n'eussent à traverser que la cour aux Ris, arrivaient à la porte du duc d'Orléans, précédées de lanternes à manche et faisaient battre la porte à toute volée! Cossé, Brissac, Gonzague, la Fare et le marquis de Bonnivet, ce bâtard de Gouffier que la duchesse de Berry avait pris à son service «pour avoir un outil à couper les oreilles,» venaient frapper à l'autre porte en plein jour.

L'une de ces issues s'ouvrait sur la cour aux Ris, l'autre sur la cour des Fontaines, déjà dessinée en partie par la maison du financier Maret de Fonbonne et le pavillon Riault. La première avait pour concierge une brave vieille, ancienne chanteuse de l'Opéra, la seconde était gardée par le Bréant, ex-palefrenier de Monsieur. C'étaient de bonnes places. Le Bréant était en outre l'un des surveillants du jardin, où il avait une loge, derrière le rond-point de Diane.

C'est la voix de le Bréant que nous avons entendue, au fond du corridor noir, quand le bossu entra par la cour des Fontaines.

On l'attendait en effet. Le régent était seul. Le régent était soucieux.

Le régent avait encore sa robe de chambre, bien que la fête fût commencée depuis longtemps; ses cheveux, qu'il avait très-beaux, étaient en papillotes, et il portait de ces gants préparés pour entretenir la blancheur des mains. Sa mère, dans ses Mémoires, dit que ce goût excessif pour le soin de sa personne lui venait de Monsieur. Monsieur, en effet, jusqu'aux derniers jours de sa vie, fut autant et plus coquet qu'une femme.

Le régent avait dépassé sa quarante-cinquième année. On lui eût donné quelque peu davantage, à cause de la fatigue extrême qui jetait comme un voile sur ses traits. Il était beau néanmoins; son visage avait de la noblesse et du charme; ses yeux, d'une douceur toute féminine, peignaient la bonté poussée jusqu'à la faiblesse.

Sa taille se voûtait légèrement quand il ne représentait point. Ses lèvres et surtout ses joues avaient cette mollesse, cet affaissement qui est comme un héritage dans la maison d'Orléans.

La princesse palatine sa mère lui avait donné quelque chose de sa bonhomie allemande et de son esprit argent comptant; – mais elle avait gardé la meilleure part. – Si l'on en croit ce que cette excellente femme dit d'elle-même dans ses Souvenirs, chef-d'œuvre de rondeur et d'originalité, elle n'avait eu garde de lui donner la beauté qu'elle n'avait point.

Sur certains tempéraments d'élite, la débauche laisse peu de traces: il y a des hommes de fer. Philippe d'Orléans n'était point de ceux-là. Son visage et toute l'habitude de son corps disaient énergiquement quelle fatigue lui laissait l'orgie. – On pouvait pronostiquer déjà que cette vie, prodiguée, usait ses dernières ressources, et que la mort guettait là quelque part, au fond d'un flacon de Champagne ou dans la ruelle de l'alcôve.

Le bossu trouva au seuil du cabinet un seul valet de chambre qui l'introduisit.

– C'est vous qui m'avez écrit d'Espagne? demanda le régent, qui le toisa d'un coup d'œil.

– Non, monseigneur, répondit le bossu respectueusement.

– Et de Bruxelles?

– Non plus de Bruxelles.

– Et de Paris?

– Pas davantage.

Le régent lui jeta un second coup d'œil.

– Il m'étonnait que vous fussiez à Lagardère… murmura-t-il.

Le bossu salua en souriant.

– Monsieur, dit le régent avec douceur et gravité, je n'ai point voulu faire allusion à ce que vous pensez… je n'ai jamais vu ce Lagardère.

– Monseigneur, repartit le bossu qui souriait toujours, on l'appelait le beau Lagardère, quand il était chevau-léger de votre royal oncle… je n'ai jamais pu être ni beau ni chevau-léger.

Il ne plaisait point au duc d'Orléans d'appuyer sur ce sujet.

– Comment vous nommez-vous? demanda-t-il.

– Maître Louis, monseigneur, dans ma maison… Au dehors, les gens comme moi n'ont d'autre nom que le sobriquet qu'on leur donne…

– Où demeurez-vous?

– Très-loin.

– C'est un refus de me dire votre demeure.

– Oui, monseigneur.

Philippe d'Orléans releva sur lui son œil sévère et prononça tout bas:

– J'ai une police, monsieur… Elle passe pour être habile… Je puis aisément savoir…

– Du moment que Votre Altesse semble y tenir, interrompit le bossu, je fais taire ma répugnance… je demeure en l'hôtel de M. le prince de Gonzague.

– A l'hôtel de Gonzague! répéta le régent étonné.

Le bossu salua et dit froidement:

– Les loyers y sont chers.

Le régent semblait réfléchir.

– Il y a longtemps, fit-il, bien longtemps que j'entendis parler pour la première fois de ce Lagardère… C'était autrefois un spadassin effronté…

– Il a fait de son mieux depuis lors pour expier ses folies.

– Que lui êtes-vous?

– Rien… et tout… il n'a point d'amis.

– Pourquoi n'est-il pas venu lui-même?

– Parce qu'il m'avait sous la main.

– Si je voulais le voir… où le trouverais-je?

– Je ne puis répondre à cette question, monseigneur.

– Cependant…

– Vous avez une police… Elle passe pour habile… Essayez!

– Est-ce un défi, monsieur?

– Est-ce une menace, monseigneur?.. Dans une heure d'ici, Henri de Lagardère peut être à l'abri de vos recherches… Et la démarche qu'il a faite pour l'acquit de sa conscience, jamais il ne la renouvellera.

– Il l'a donc faite à contre-cœur, cette démarche? demanda Philippe d'Orléans.

– A contre-cœur… c'est le mot, repartit le bossu.

– Pourquoi?

– Parce que le bonheur entier de son existence est l'enjeu de cette partie, qu'il aurait pu ne pas jouer…

– Et qui l'a forcé à la jouer, cette partie?

– Un serment.

– Fait à qui?

– A un homme qui allait mourir.

– Et cet homme s'appelait?

– Vous le savez bien, monseigneur… Cet homme s'appelait Philippe de Lorraine, duc de Nevers.

Le régent laissa tomber sa tête sur sa poitrine.

– Voilà vingt ans de cela!.. murmura-t-il d'une voix véritablement altérée; je n'ai rien oublié… rien!.. Je l'aimais, mon pauvre Philippe… il m'aimait!.. Depuis qu'on me l'a tué, je ne sais pas si j'ai touché la main d'un ami sincère!..

Le bossu le dévorait du regard. Une émotion puissante était sur ses traits. – Un instant, il ouvrit la bouche pour parler, mais il se contint par un violent effort. Son visage redevint impassible.

Philippe d'Orléans se redressa et dit avec lenteur:

– J'étais le plus proche parent de M. le duc de Nevers… Ma sœur a épousé son cousin, M. le duc de Lorraine… Comme prince et comme allié, je dois protection à sa veuve qui, du reste, est la femme d'un de mes plus chers amis… Si sa fille existe, je promets qu'elle sera une riche héritière, et qu'elle épousera un prince si elle veut… Quant au meurtre de mon pauvre Philippe, on dit que je n'ai qu'une vertu, c'est l'oubli de l'injure… Et cela est vrai: la pensée de la vengeance naît et meurt en moi à la même minute… Mais moi aussi, je fis un serment, quand on vint me dire: Philippe est mort… A l'heure qu'il est, je conduis l'État… Punir l'assassin de Nevers ne sera plus vengeance, mais justice!

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