Halter,Marek - Marie
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- Название:Marie
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- Издательство:Alexandriz
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- Год:2006
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Ému et balbutiant, Joachim considéra les visages rudes et joyeux qui l’entouraient.
— Vous le croirez si vous voudrez, dit-il, mais pendant que je dormais, Miryem était à mon côté. Je m’en souviens très bien. Elle était là, debout, pas très loin de moi. Et moi, je me voyais aussi. C’était une vilaine histoire, car j’étais tombé de la croix et m’étais cassé en morceaux. Un bras par-ci, l’autre par-là. Les jambes hors d’atteinte. Seuls ma tête et mon cœur fonctionnaient comme ils le devaient. Et il me fallait sans cesse tenir mes morceaux afin de les empêcher de s’éloigner. Mais j’étais si épuisé que je n’avais qu’une envie : fermer les paupières et laisser mes bras et mes jambes partir à leur guise. Sauf que Miryem était là, dans mon dos, m’empêchant de céder à cette tentation.
Joachim reprit son souffle, tandis que les autres l’écoutaient, bouche bée. Il cligna une paupière et poursuivit :
— Elle disait : « Allons, allons, père ! Garde les yeux bien ouverts. » Vous savez, avec ce ton pas commode qu’elle peut prendre, sacrement autoritaire et assuré pour une fille de son âge.
Chacun éclata de rire, Barabbas approuvant bien fort et Miryem rougissant jusqu’à la racine des cheveux.
— Oui, elle n’a pas cessé de me houspiller, ajouta Joachim, la voix tremblante de tendresse. « Allons, père, un effort ! Ne fais pas ce plaisir aux percepteurs ! Tu dois retrouver tes bras et tes jambes pour rentrer à Nazareth. Allons, allons ! Je t’attends ! » Et maintenant, me voilà avec vous pour vous remercier.
*
* *
Le lendemain à l’aube, quand Joachim se réveilla après une courte nuit de sommeil, il trouva Barabbas et Abdias à son côté. Miryem dormait dans la pièce des femmes.
— On croirait qu’elle va roupiller pendant un an, gloussa Abdias.
Joachim approuva d’une inclination de la tête tout en considérant le curieux visage du garçon.
— Es-tu celui qui m’a décroché de la croix ? Il me semble me souvenir, mais il faisait bien noir.
— C’est moi.
— Pour te dire la vérité, quand je t’ai vu, j’ai cru qu’un démon venait m’emporter en enfer.
— Tu ne me reconnais pas parce que les femmes d’ici ont voulu me laver et me donner des vêtements propres, grommela Abdias en haussant les épaules.
Barabbas rit de bon cœur.
— C’est la plus grande humiliation qu’Abdias ait subie jusqu’à ce jour. Sa crasse lui manque. Il va lui falloir des semaines et des mois pour se ressembler de nouveau.
Joachim déclara doucement :
— La propreté ne te va pas si mal, mon garçon. Tu pourrais t’en satisfaire.
— C’est ce que Miryem dit aussi, grimaça Abdias. Mais vous ne savez pas de quoi vous parlez. Dans les villes, si on est comme les autres garçons, les gens n’ont ni peur ni pitié. Demain, avant de partir à Tarichée, je remettrai mes frusques d’am-ha-aretz, c’est sûr.
Joachim fronça les sourcils.
— À Tarichée ? Que veux-tu aller faire là-bas ?
— Savoir ce que manigancent les mercenaires d’Hérode…
— Mais c’est bien trop tôt !
— Non, intervint Barabbas. Six jours se sont écoulés. Je veux savoir ce qui se trame à Tarichée. Abdias ira traîner l’oreille en ville. Il sait s’y prendre pour ce genre de choses. Il partira demain avec un pêcheur.
Joachim se retint de protester. La peur lui tenait encore les entrailles. La violence et la haine des mercenaires demeuraient ancrées dans son esprit autant qu’elles marquaient son corps. Mais Barabbas avait raison. Lui-même aurait donné beaucoup pour avoir des nouvelles d’Hannah, son épouse. Il aurait aussi voulu savoir si les percepteurs, pour se venger de sa fuite, avaient infligé à Nazareth la souffrance à laquelle il venait d’échapper.
Si tel était le cas, il lui faudrait se rendre et retourner dans les geôles de Tarichée. Une pensée et une décision qu’il ne pouvait confier à Barabbas, encore moins à Miryem.
— Reviens, murmura-t-il en serrant les petites mains d’Abdias. Je crois t’avoir promis quelque chose pendant que tu me tirais du champ des supplices. Je déteste ne pas tenir mes promesses.
*
* *
Cinq jours plus tard, appuyé sur l’épaule de Miryem, Joachim s’essayait à l’usage de ses jambes quand Abdias apparut. Il bondit hors de la barque avant qu’elle touche la plage, le visage transfiguré d’excitation.
— On ne parle que de nous ! affirma-t-il avant même de prendre le temps de boire un gobelet de jus de raisin. Les gens n’ont que ça à la bouche : « Barabbas a délivré des suppliciés que les Romains venaient de pendre. » « Barabbas a humilié les mercenaires d’Hérode. » « Barabbas s’est moqué des Romains… » Hé ! on croirait que tu es devenu le Messie !
Le rire d’Abdias contenait plus d’amitié que de moquerie, mais Barabbas n’abandonna pas son sérieux.
— Et les pêcheurs ? Ont-ils eu des ennuis ?
— Tout le contraire. Ils ont fait comme ils avaient dit. Ils sont arrivés à Tarichée avec des bateaux si pleins que le vent les poussait avec peine. Une vraie pêche miraculeuse. Ils ont braillé très fort contre nous, qui avions brûlé leurs barques et leur marché. Les gens de Tarichée aussi. Tout le monde a protesté qu’on était des vauriens, des destructeurs, la honte de la Galilée… Rien que des douceurs de ce genre. Si bien que les mercenaires et les Romains ont cru pour de bon qu’on a fait le coup tout seuls. Aujourd’hui, les gens rigolent en douce. Tout le monde est trop content de les avoir bernés.
Cette fois, Barabbas se détendit et Miryem caressa la tignasse emmêlée d’Abdias.
— Et, bien sûr, tu as su te retenir ? Tu as clamé partout que tu étais le meilleur ami du grand Barabbas ? se moqua-t-elle gentiment.
— C’était pas la peine, gloussa fièrement Abdias. Ils ont tout deviné. Jamais on m’a autant donné de tout ce que je voulais. J’aurais pu rapporter une barque pleine.
— Et te faire dénoncer ! grommela Joachim.
— T’inquiète, père Joachim ! Les faux nez, je les repère vite. Personne ne savait où je dormais ni quand on me verrait. Mais tu sais que toi aussi, tu es célèbre ? Tout le monde connaît ton histoire. Joachim de Nazareth, celui qui a osé enfoncer une lance dans le ventre d’un percepteur et qui s’est sauvé d’une croix…
— Ce n’était pas le ventre, mais l’épaule, marmonna Joachim avec humeur. Et ce n’est pas une si bonne chose que l’on fasse tant de bruit autour de mon nom. Des nouvelles de Nazareth, tu en as ?
Abdias secoua la tête.
— Ça, non. J’avais pas le temps d’y aller…
Joachim croisa le regard de Barabbas, puis celui de Miryem.
— Je suis inquiet pour eux, murmura-t-il. Les mercenaires ne savent où nous trouver, mais ils savent où porter le malheur.
— Je pourrais y aller, voir au moins notre mère, la rassurer, fit Miryem.
— Non, pas toi, protesta Abdias. Moi. J’y vais quand tu veux.
— À moins que nous n’y allions tous ensemble, suggéra Barabbas, songeur. Maintenant que Joachim marche, on peut se déplacer comme bon nous semble.
Tous le dévisagèrent, stupéfaits.
— N’y a-t-il pas une maison sûre dans le village ? demanda-t-il à Joachim et à Miryem.
Joachim secoua la tête.
— Non, non, ce serait de la folie…
— Mais si, père ! s’exclama Miryem. Yossef et Halva nous ouvriront leur porte sans hésiter !
— Tu ne te rends pas compte du danger, ma fille.
— Je suis certaine que Yossef sera fier de t’aider. Il sait tout ce qu’il te doit et il t’aime. Leur maison est loin du village, tout au bout de la vallée. On ne peut nous y prendre par surprise.
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