Grevet Yves - MÉTO Tome 1 La Maison

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Comme prévu, le repas du soir est précédé par la proclamation des mesures répressives. C’est César 1 qui s’en charge :

– Pour leur manque de vigilance, toutes les couleurs participeront ce soir à une double claque tournante. Bien entendu, les victimes des violences seront exclues du cercle de douleur. Juste après, Mamercus et Tibérius iront en chambre froide. Lundi soir, ce sera le tour de Flavius et Caïus, et, mercredi soir, celui de Sextus et Kaeso.

Il s’assied et donne le signal du repas.

Dans les couloirs, je rejoins Mamercus qui me déclare avec calme :

– J’ai déconné après l’inche d’hier, alors je paye. C’est normal.

– Tu veux les conseils d’un vieil habitué ?

– J’ai été mis au parfum par ton ami Marcus. Je te remercie.

– Vous êtes deux. Veillez bien l’un sur l’autre.

Le dortoir est silencieux. César est déjà là. Les Rouges s’approchent pour puiser un numéro. Rares sont ceux qui arborent un regard bravache, la grande majorité des enfants ont pris le masque des martyrs.

Feu !

Chapitre 8

C'est l’heure. Je ne sais pas exactement laquelle, mais il est plus tôt que d’habitude. Claudius m’a réveillé avant les autres. Nous passons voir chacun de nos partisans chez les Rouges et les Violets. Nous sommes treize, les seuls qui agiront au grand jour. Marcus est parmi nous. Son séjour au frigo lui a enlevé ses derniers doutes. Les Bleus ne seront pas impliqués. L’hypothèse d’un échec a été envisagée et il nous a semblé important, dans le cas d’un retour au mode de vie habituel, que les plus jeunes ne soient pas punis.

Nous sommes à présent trois autour du lit de chaque traître. Un s’occupe de le bâillonner pendant que les deux autres le maintiennent. Claudius est dans l’équipe qui s’occupe de Paulus. Ce dernier, la surprise passée, lance des regards haineux à son ancien copain. Crassus adopte, vis-à-vis de moi, un air suppliant. Les quatre garçons sont conduits dans la salle des douches. Trois enfants sont désignés comme geôliers. Nous laissons les Bleus dormir. Mamercus reste sur place pour les surveiller.

Claudius a trouvé une clef sous son oreiller, ce matin, signal que le grand jour était arrivé. Nous l’utilisons pour ouvrir les portes qui conduisent au couloir central. Nous allons ensuite dans le bureau, où nous surprenons deux César en plein travail.

– Méto ! Claudius ! Mais qui vous a permis ?

Nous fondons sur eux sans leur répondre. Ils savent qu’ils ne peuvent résister physiquement face à des garçons surentraînés. César 1 se lance dans un discours qui se veut menaçant :

– Vous paierez pour cet affront ! Si vous persistez dans cette action absurde, vous le regretterez ! Vous verserez des larmes de sang !

Le regard amusé que lui renvoie Titus le coupe dans son élan. Il comprend que sa harangue est inutile et il baisse la tête.

Sans un mot, quatre enfants les entraînent auprès des traîtres. Je me précipite sur la boîte à clefs. Ils ont modifié la combinaison depuis mon dernier passage. Je compose le nouveau code en tremblant. Et s’ils avaient changé leur système ? Non, ça marche. Je découvre un trousseau impressionnant. Je l’évalue à trente ou trente-cinq clefs. Claudius me pousse vers la sortie.

– Porte 204. Vite !

– Allons d’abord au frigo ! Il y a Sextus et Kaeso là-bas.

– Non. Je ne les oublie pas, mais suivons l’ordre qui a été décidé.

Les clefs ne sont pas numérotées. Je ne sais par où commencer. Ce n’est qu’au dix-huitième essai que je réussis à faire tourner le barillet de la porte 204. Nous entrons. Il fait froid. Nous tâtonnons dans la pénombre à la recherche d’un interrupteur. On entend des bruits de respiration et le cliquetis de lourdes pièces métalliques. Une voix nous interpelle :

– C’est à gauche de la porte, à cinquante centimètres, et à un mètre quarante de hauteur.

Je cherche un instant puis j’allume la lampe. Le spectacle qui s’offre à nos yeux nous laisse bouche bée. Ils sont vingt-cinq ou trente serviteurs allongés sur une paillasse grisâtre. L’endroit est si exigu qu’ils ne peuvent dormir que sur le côté et collés les uns aux autres. Ils sont enchaînés ensemble au niveau des mollets, des poignets et de l’anneau de leur oreille droite. Les extrémités des trois chaînes sont reliées par deux gros cadenas à d’épaisses boucles métalliques scellées dans le sol. Je reconnais Numérius. C’est lui qui a parlé. Son visage s’illumine :

– Je t’avais dit, Claudius, qu’on se reverrait tous les deux. Méto, montre-moi le trousseau, je vais te désigner la bonne clef. C’est la petite jaune très usée. Oui, celle-là !

J’actionne le mécanisme et je libère les serviteurs. J’en vois certains cogner sur deux d’entre eux. J’imagine que ce sont leurs espions. Puis tous se mettent debout. Les traîtres ont les bras maintenus dans le dos et la tête baissée par la pression qu’on imprime sur leur nuque.

Désignant deux serviteurs qui portent les numéros 126 et 94, Numérius ordonne :

– Conduisez ces deux salauds aux douches.

J’interpelle l’ami de Claudius :

– Numérius, il faudrait vider le frigo.

– Je veux savoir d’abord de combien de temps nous disposons.

– Deux heures avant le réveil programmé, précise Claudius.

– Alors, OK pour le frigo. Méto, tu y vas avec Optimus. Il connaît les clefs, tu gagneras du temps. Dès que vous avez fini, revenez immédiatement. On aura besoin de vous.

Je suis pressé et je pars en courant. Celui qui m’accompagne a du mal à me suivre. Il est plus grand que moi mais dans un très mauvais état physique. Maigre, pâle, il semble courbé sous le poids d’une immense fatigue. Je ralentis. Il se force à sourire :

– C’est bien que vous soyez venus. Je n’en pouvais plus.

– On y est. Tu me montres la clef ?

– C’est celle-là !

Sextus et Kaeso semblaient nous attendre derrière la porte.

– C’est toi ? On croyait que c’était la bouffe, dit Sextus.

– Je ne comprends pas comment tu as pu résister quatre jours, ajoute l’autre.

– Je te raconterai une autre fois.

– C’est qui, le grand ?

– Je suis Optimus, répond celui-ci avec douceur.

– Alors, ça y est ? On est les maîtres de la Maison ?

– Pas encore tout à fait. Regagnez le dortoir. On va venir vous informer.

– Méto, on a faim !

– Ce n’est pas le moment. Allez finir votre nuit et soyez très discrets. On s’occupera de la bouffe plus tard.

Je repars vers la chambre-cellule des serviteurs. La discussion est très animée. Tous se retournent avec un air impatient quand nous arrivons.

– Ce n’est pas trop tôt ! déclare Numérius. On doit mettre la main sur les trois César qui manquent.

– Et tu sais où les trouver ?

– On sait où dorment les César. Avec un peu de chance, ils ne seront pas encore levés.

– Et Jove ? interroge Claudius.

– Jove, reprend Numérius, on sait qu’il existe car beaucoup d’entre nous ont senti son odeur vinaigrée, un jour ou l’autre. Quant à savoir où il se cache, nous n’avons aucun indice.

– De qui parlez-vous ? demande Titus.

– Jove est le grand maître de la Maison, le créateur de tout ça, précise Claudius.

Nous partons dans les étages en courant. Un serviteur nous désigne la porte 404. Nous l’ouvrons avec prudence. Elle débouche sur un couloir au fond duquel il y a une autre porte. Numérius nous fait signe de nous taire. Je mets la clef dans la serrure avec le maximum de précaution. Ça tourne. Je pousse doucement la porte. Trois serviteurs m’écartent et pénètrent dans la chambre plongée dans la pénombre. Ils se dirigent lentement vers des points qu’ils connaissent par cœur. J’entends le bruit de quelqu’un qui se débat. Claudius allume la lumière. Deux César sont plaqués sur leur lit. Bâillonnés et mains liées, ils vont sous escorte rejoindre les autres.

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