Erik L'Homme - A Comme Association T1 - La pâle lumière des ténèbres
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- Название:A Comme Association T1 - La pâle lumière des ténèbres
- Автор:
- Издательство:Gallimard Jeunesse
- Жанр:
- Год:2010
- ISBN:9782075013666
- Рейтинг книги:3 / 5. Голосов: 1
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Ce n’est pas l’heure de bouter mais je me retourne quand même.
Éclairée par la faible lueur que continue de diffuser mon pentacle mourant, la silhouette de Séverin le vampire se dresse à quelques pas.
Il ne manquait plus que ça…
Je viens d’échapper à une bande de trafiquants de drogue qui voulait ma peau et j’ai renvoyé chez lui un démon qui rêvait de se faire les dents sur moi avant de semer la terreur en ville. J’estime avoir droit à une pause !
Eh bien non, il faut qu’un vampire se pointe et se foute de ma gueule.
– Tu es le premier homme de ma connaissance qui sort vivant d’une confrontation avec un démon, dit Séverin. Et je te garantis que je ne suis pas né de la dernière pluie.
L’admiration perce dans sa voix. Il a l’air sincère. Au temps pour moi.
– Vous voulez quelque chose ? je réponds en essayant péniblement de me relever.
– Oui.
Je m’attendais à un truc du genre : « Tes exploits m’ont assoiffé, sanguin chasseur de démon », ou bien : « Ton sang doit être exceptionnel, je boirais bien un cou ! ».
Aussi ce simple « oui » me surprend-il.
Je pose un regard curieux sur le vampire.
– Je veux que tu répares les dégâts que tu as commis, continue-t-il en réponse à mon interrogation silencieuse.
– Pardon ? je dis éberlué.
– Tu m’as mis dans l’embarras, annonce tranquillement Séverin en inspectant les ongles de sa main droite. Par ta faute, les gens qui travaillaient pour moi sont morts.
– Ouais, je lance crânement, et ils l’ont bien cherché !
– Tu vas les remplacer.
– Comptez là-dessus, je ricane, l’instant de surprise passé.
– Si tu refuses, tu passes du statut de collaborateur grassement rémunéré à celui de témoin embarrassant.
– Et ?
– Couic, répond seulement le vampire en faisant le geste de tordre le cou à un poulet.
Pas très original. Il aurait pu grogner « Arghh » en mordant le vide.
Jamais je ne me suis senti aussi fourbu, même la fois où, en quatrième, on s’est cachés pendant deux longues et interminables heures avec Romu dans un placard exigu du vestiaire des filles. Pourtant, c’est le moment ou jamais de rester lucide.
– Je peux réfléchir deux minutes avant de donner ma réponse ? je demande.
– Je t’en donne une. C’est largement suffisant pour faire le seul choix raisonnable. Et pas de bêtise : je t’ai à l’œil. Je sais ce dont tu es capable.
Génial.
Je résume la situation : je suis debout, flageolant sur mes jambes à cause de la fatigue et de la peur, devant un vampire en pleine forme qui veut faire de moi son homme de main. Pour ne rien arranger, je patauge dans le sang d’un homme zigouillé par un démon et j’entends d’horribles bruits de succion chaque fois que je bouge.
La nuit est bien avancée, l’obscurité gagne en épaisseur au fur et à mesure que s’éteignent, grésillant comme des ampoules en fin de vie, les écorces runiques martyrisées. Même si chacune de mes tentatives a lamentablement foiré, je ne vois pas d’autre moyen de m’en sortir que de m’abriter derrière mon statut d’Agent en mission et d’exhiber ma carte. D’accord, les sorciers m’ont ri au nez. Quant au démon, il est carrément devenu enragé quand je l’ai exhibée. Mais peut-être qu’un vampire, lui, sera impressionné.
– Alors ? lance Séverin.
– Avant de vous donner ma réponse, j’aimerais savoir pourquoi vous fournissez de la drogue à vos copains. J’ai vu hier soir un vampire shooté, c’est pas joli joli !
– Je répondrai à toutes tes questions quand tu auras répondu à la mienne, pas avant. À condition bien sûr, ajoute-t-il sardonique, qu’elle soit celle que j’attends.
Bon, raté. Il arrive souvent que le méchant, certain de sa victoire, se livre à des confidences dont le gentil se sert plus tard, après avoir survécu.
Pas grave, je vais déjà m’efforcer de survivre.
Ce qui n’est pas gagné, vu ce que je compte lui dire.
– J’ai deux mauvaises nouvelles, je lâche donc avec l’aplomb que confère souvent une extrême fatigue. Je commence par laquelle ?
– La mauvaise, dit Séverin d’un air mauvais.
– Je refuse votre proposition.
– Et la mauvaise ?
Qui a jamais prétendu qu’un vampire n’était pas capable d’humour ?
Je sors de ma poche, pour la troisième fois de la soirée, la carte de l’Association, qui clame aux yeux éblouis du monde que je suis un de ses Agents (stagiaires). Et toc !
Il tique, ce qui est plutôt normal pour un suceur de sang.
– Considérez-vous à présent en état d’arrestation, j’annonce au vampire qui, lui non plus, ne semble pas aussi ému qu’il aurait dû l’être.
Séverin éclate d’un rire tonitruant. Tant pis pour l’espoir. Décidément, je n’ai pas de chance. Ou alors un camarade facétieux a camouflé dans le rectangle de plastique un sort de franche rigolade qui pousse ceux qui le regardent à bien se marrer.
– En plus d’être doué, tu es drôle ! J’aurais vraiment adoré t’avoir à mon service.
Qu’est-ce qu’ils croient, ces affreux ? Que je suis un bouffon ?
– À vos sévices, vous voulez dire, je fais en reculant lentement.
Petite précision : tout en parlant, le vampire avance dans ma direction.
L’air semble se troubler. Séverin était à quelques mètres de moi il y a deux secondes à peine et maintenant il est là, juste devant. Je ne l’ai pas vu bouger. Autant dire que je ne vois pas davantage la baffe partir.
Je me retrouve par terre le temps de dire « Aïe ! ».
C’est très humiliant d’être giflé quand on est (presque) un homme. Encore plus quand on l’est par quelqu’un qui peut vous tuer avec cette même main (couic !).
Piqué au vif, je me remets sur mes jambes et adopte la position d’attaque préconisée lors du dernier stage de combat rapproché. Stage qui m’a permis, un, de découvrir que je suis une vraie bille dès qu’il s’agit d’aller au contact (« de l’enthousiasme mais une inefficacité proprement désarmante », a dit l’instructeur), deux, d’avoir la confirmation que je possède une nature peu charitable puisque j’ai ricané quand l’instructeur s’est fait démolir par Ombe.
– Yaaaaaah !
Ça c’est moi, enfin mon cri de guerre.
– Aaaaaah !
C’est encore moi.
Assis par terre, l’épaule déboîtée (enfin je crois, parce que ça fait un mal de chien).
– Ça ne serait pas prudent de te laisser tes armes, dit Séverin , qui a l’air de beaucoup s’amuser, brandissant la sacoche qu’il vient de m’arracher.
Mes armes. La magie. Je n’y avais même pas pensé. Je me sens brusquement nu sans ma besace et son poids rassurant.
Il a de la chance qu’Ombe ne soit pas là. Elle lui aurait mis la raclée de sa vie, tout vampire qu’il soit ! Penser à Ombe déclenche en moi une décharge d’adrénaline. Quand Séverin se penche pour me relever, une moue dégoûtée sur le visage, je pousse un cri de rage et me jette en avant. Je réussis à empoigner la sacoche.
Je pense que Séverin n’attendait pas cette réaction de ma part, c’est pour ça qu’il se laisse surprendre, comme le démon avant lui.
Nous luttons un court instant (très court, il est honnête de l’avouer). Puis il m’envoie voler à deux mètres. Comme je n’ai pas lâché mon attirail, celui-ci se répand sur le sol.
– Tu es courageux, dit le vampire. Peu efficace mais courageux. Quelle équipe nous aurions faite ensemble !
Pas efficace. Il va voir, le visage pâle, si je ne suis pas efficace !
Je roule sur le côté, étouffe un gémissement en écrasant mon épaule malmenée et me redresse en brandissant l’aérosol relevé au jus d’ail spécialement concocté par le Sphinx à l’usage des méchants vampires.
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