Erik L'Homme - Qadehar Le Sorcier

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Erik L’Homme

Le Livre

des Etoiles

I. Qadehar le Sorcier

FOLIOJUNIOR/GALLIMARD JEUNESSE

Illustrations du carnet par Jean-Philippe Chabot Cartes conçues par Vincent Brunot © Éditions Gallimard Jeunesse, 2001 © Éditions, Gallimard Jeunesse, 2002, pour la présente édition

A JeanPhilippe mon MaîtreSorcier A mes amis restés au Pays dYs 1 B - фото 1

A JeanPhilippe mon MaîtreSorcier A mes amis restés au Pays dYs 1 B - фото 2

A Jean-Philippe, mon Maître-Sorcier A mes amis restés au Pays d’Ys…

1 B OUSCULADES

La sonnerie annonçant la fin des cours n’avait pas encore fini de retentir. Guillemot de Troïl se faufila au milieu des autres élèves qui se pressaient dans les couloirs du collège. C’était le début du mois d’avril, mais il faisait beau déjà, et tout le monde n’avait qu’une envie : rejoindre la plage pour s’amuser, se baigner si l’eau était assez chaude, et se détendre après une trop longue journée d’études.

Guillemot ne se dépêchait pas pour les mêmes raisons… Il était vital pour lui d’atteindre la cour parmi les premiers afin de semer Agathe de Balangru et sa bande dans les ruelles de Dashtikazar !

– Allez, allez, dépêchez-vous, laissez-moi passer, marmonnait le garçon en se frayant un passage à travers la foule bruyante des collégiens.

Derrière lui il entendit quelqu’un hurler :

– Je le vois ! Il est près de la porte !

Inutile de se retourner ; il avait reconnu la voix de Thomas de Kandarisar, le lieutenant d’Agathe. Cela décupla son ardeur. Il approchait enfin de la sortie quand, dans ses efforts pour dépasser tout le monde, il bouscula un grand de troisième.

– Holà, l’avorton ! Tu me cherches ou quoi ?

– Heu… Non, non, bien sûr que non, bafouilla Guillemot. Je veux juste sortir…

Il jeta des regards affolés par-dessus son épaule. Le gaillard le tenait solidement. Il vit Agathe, suivie par ses amis, s’approcher avec une expression triomphante.

C’était une fille grande et maigre, aux cheveux sombres coupés court, dont les yeux noirs brillaient méchamment au-dessus d’une bouche trop large.

– Laisse, Marco, ordonna-t-elle. C’est notre affaire.

Le dénommé Marco hésita, puis lâcha le jeune garçon et s’éloigna en haussant les épaules. La bande d’Agathe, qui suivait comme Guillemot les cours de cinquième, était redoutée dans tout l’établissement, même par les plus grands.

Agathe faisait face au fuyard. Guillemot, le visage empourpré sous une tignasse de cheveux châtains, la défiait du regard.

– Oh, mais notre roquet a l’air en colère, dit-elle d’un ton moqueur qui provoqua le rire de ses acolytes en faction près de la porte.

– Laisse-moi tranquille ! Jamais je ne te donnerai mon médaillon, cria Guillemot en serrant les poings.

– On va voir ça, répliqua froidement Agathe, qui fit un signe explicite à l’un des garçons de sa bande, roux et trapu.

Celui-ci bondit sur Guillemot et, à l’issue d’une courte lutte, l’immobilisa avec une clé de bras.

– Lâche-moi, Thomas, ou tu le regretteras, souffla péniblement Guillemot à l’oreille de son adversaire, qui se contenta de ricaner.

Avec des allures de reine cruelle, Agathe s’approcha, touilla le col de sa victime et trouva un petit soleil en or au bout d’une fine chaîne du même métal.

Elle s’en saisit et le passa autour de son propre cou.

– Tu n’as pas le droit, gémit l’infortuné Guillemot que bloquait toujours le garçon aux cheveux roux. C’est mon père qui me l’a donné.

– Ton père ? Je croyais que tu ne l’avais jamais connu, et même, ajouta-t-elle en approchant son visage du sien, qu’il s’était fait Renonçant à cause de toi !

Sur le coup, Guillemot faillit fondre en larmes, mais sa fierté l’en empêcha et il baissa la tête. Ce fut le moment que choisit le directeur pour faire son apparition. Son bureau n’était pas loin et il avait entendu des éclats de voix, inhabituels pour l’heure.

– Allons, les enfants, que se passe-t-il ? demanda de sa voix bourrue l’homme que l’embonpoint avait gagné avec l’âge.

– Mais… rien du tout, monsieur le directeur, répondit Agathe qui arborait à présent un grand sourire. Guillemot de Troïl nous racontait une histoire… une histoire passionnante ! Pas vrai ?

Les autres acquiescèrent bruyamment. Le directeur se tourna vers Guillemot.

– Une histoire, mon garçon, une histoire… dit-il d’un air songeur. Eh bien ce n’est ni le lieu ni le moment, ajouta-t-il avec brusquerie. Allez, tous, filez ! Que je ne vous revoie plus avant demain matin ! Non, pas toi Guillemot, reste.

La bande d’Agathe quitta le couloir en lançant au garçon des regards lourds de menaces.

– Alors, mon petit, tu as des ennuis ? Y a-t-il quelque chose que tu voudrais me dire ?

– Non, rien du tout, monsieur le directeur. Je vous assure ! Est-ce que je peux partir, maintenant, moi aussi ?

L’homme observa un moment le garçon qui tremblait légèrement, les yeux embués, puis haussa, lui aussi, les épaules.

– Oui, allez, file !

Guillemot se précipita hors du collège, s’engouffra dans la rue et ne s’arrêta de courir qu’après avoir atteint les premières collines qui dominaient la ville. Il jeta son sac au pied d’un menhir fendu par la foudre, s’assit par terre et, fixant l’océan qui scintillait plus bas, laissa libre cours à son chagrin.

Guillemot avait eu douze ans à l’équinoxe d’automne. C’était un garçon solide et résistant, malgré une apparence chétive. Il n’était pas très grand pour son âge, et cela l’ennuyait surtout parce qu’il ne pouvait pas se défendre comme il l’aurait voulu contre ceux qui prenaient un malin plaisir à le tourmenter. Ses problèmes avec Agathe avaient commencé dès la rentrée. Non pas parce qu’il était bon élève (la cible préférée des cancres fiers-à-bras), ses résultats scolaires restant volontiers dans la moyenne ; mais parce qu’il avait commis l’imprudence de venir au secours d’un petit de sixième que la bande d’Agathe terrorisait. Depuis, il était devenu leur souffre-douleur favori. C’était plus fort que lui : il se fourrait toujours dans des situations désagréables ! Arriverait-il, un jour, à maîtriser ce réflexe idiot qui, malgré sa timidité, le poussait à se mêler de ce qui ne le regardait pas ?

Guillemot repoussa la mèche qui lui tombait sur le front. Ses cheveux toujours en bataille cachaient en partie ses oreilles un peu décollées, et mangeaient son visage fin et rêveur, éclairé par des yeux verts lumineux, et par une bouche qui aimait sourire. Enfin, d’ordinaire, car en ce moment précis Guillemot n’avait pas du tout envie de sourire…

Il ramassa un caillou et, de rage, le lança sur la route.

Est-ce que c’était sa faute si son père avait décidé, peu avant sa naissance, de quitter le Pays d’Ys pour vivre en

France, devenant ainsi un Renonçant et le condamnant à ne jamais le connaître ? Et Agathe, qui venait de lui prendre le précieux pendentif, l’unique héritage que cet homme avait laissé pour lui à sa mère !

« Que les Korrigans l’enlèvent et la fassent danser jusqu’à la fin des temps ! » jura Guillemot.

Il respira profondément l’odeur d’iode qu’un petit vent apportait de la mer ; parce qu’il avait un tempérament volontaire, et surtout parce que Agathe aurait été trop contente de le savoir malheureux, il s’efforça d’oublier ses ennuis.

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