Il se remit à arpenter la pièce tout en me regardant comme si j’avais été un brillant psychothérapeute.
« Vous m’avez posé à peine quelques questions et voyez ce qu’il en résulte ! dit-il. Pourquoi m’a-t-il fallu attendre votre visite ? Pourquoi ne me suis-je pas remis moi-même en question il y a des mois ?
— Pourquoi, en effet ? renchéris-je.
Je l’ignore. Je me suis complu dans le ressentiment, préférant croire que Leslie était la cause de tous mes problèmes. Et je me suis apitoyé sur mon sort, pensant combien elle était différente de la femme que j’avais tant aimée. »
Il s’assit sur le lit, se prit la tête entre les mains. Savez-vous à quoi je pensais lorsque vous êtes entré ? » me demanda-t-il. Et sans attendre ma réponse, il ajouta : « Je pensais à ce geste ultime que posent parfois les personnes désespérées … »
Il se leva et se dirigea vers le balcon pour contempler la pluie qui tombait, mais l’expression de son visage aurait pu faire croire que cette dernière avait soudain fait place à un soleil éclatant.
« La solution réside uniquement dans le changement qui s’est opéré en moi, déclara-t-il. De fait, je mériterais de perdre Leslie si je me refusais à changer de comportement. Mais maintenant qu’il m’a été donné de voir la vérité, je sais ce qu’il me faut faire pour la rendre heureuse. Et quand Leslie est heureuse … » Il me regarda en souriant et reprit : « Vous n’avez pas idée de ce que ça peut être lorsque Leslie est heureuse !
— Mais qu’est-ce qui pourrait lui faire croire que vous avez réellement changé ? lui demandai-je. Avouez que ça ne vous arrive pas tous les jours de quitter la maison, insouciant, pour revenir le lendemain, aimant et compatissant comme à vos premiers jours. »
Il réfléchit à cette remarque tandis que la tristesse envahissait son visage.
« Vous avez raison, avoua-t-il. Pourquoi me croirait-elle ? Elle pourrait mettre des jours, voire des mois avant de reconnaître que j’ai changé ; il se pourrait même qu’elle ne s’en aperçoive jamais. » Il réfléchit encore à la question avant d’ajouter : « La vérité, au fond, est qu’il n’en tient qu’à moi de changer et que cela n’a rien à voir avec le fait que Leslie s’en rende compte ou pas.
— Et si elle refuse de vous écouter ? Comment ferez-vous pour lui faire comprendre ce qui s’est passé ?
— Je ne sais pas, fit-il doucement. Mais je trouverai bien un moyen. Qui sait, peut-être le discernera-t-elle dans ma voix … »
Il se dirigea alors vers l’appareil téléphonique, décrocha le combiné et composa un numéro.
À ce moment, j’aurais pu tout aussi bien disparaître sans même qu’il s’en aperçoive, absorbé qu’il était par son appel, imbu d’un avenir qu’il avait été bien près de perdre.
« Salut, chérie, fit-il au bout d’un moment. Je comprendrais si tu raccrochais, mais il m’est arrivé quelque chose et j’ai pensé que tu aimerais peut-être l’apprendre. »
Il écouta attentivement la réponse que lui faisait son épouse.
« Non, au contraire je t’appelle pour te dire que tu as parfaitement raison, reprit-il. J’ai eu tort ; je me suis montré égoïste et injuste à ton égard. Je ne puis te dire à quel point je le regrette. J’admets que c’est moi qui dois changer et en fait, j’ai changé ! » Il écouta encore, puis dit au bout d’un moment : « Chérie, je t’aime de tout mon cœur, plus que jamais en fait, maintenant que je comprends ce qu’il t’a fallu endurer en restant avec moi aussi longtemps. Mais je te jure que je ferai en sorte que tu sois heureuse de l’avoir fait.
Il écouta, ses lèvres esquissant un infime sourire.
« Merci, répliqua-t-il à la réponse manifestement favorable de sa femme. En ce cas, je me demande si tu aurais du temps à consacrer à ton mari avant que tu ne prennes la décision de ne plus jamais le revoir … »
Pendant qu’il conversait encore avec son épouse, je m’esquivai silencieusement par les portes qui donnaient sur le balcon et allai rejoindre Leslie, qui m’avait patiemment attendu pendant tout ce temps. Je l’embrassai tendrement et nous demeurâmes enlacés un moment, heureux d’être ensemble, heureux d’être nous.
« Crois-tu qu’ils resteront ensemble ? demandai-je enfin à Leslie. Et est-il possible, à ton avis, qu’une personne se transforme de la sorte en si peu de temps ?
— Je souhaiterais qu’ils ne se séparent pas, me répondit Leslie. Quant à lui, je considère qu’il n’a pas tenté de se chercher des excuses et que son désir de changer est sincère.
— Tu sais, dis-je alors, songeur, j’ai toujours pensé que les âmes sœurs s’aimaient d’un amour inconditionnel et que rien ne pouvait les séparer.
— Inconditionnel ? répéta Leslie qui ajouta aussitôt : Si je devais me montrer soudainement cruelle et détestable sans raison aucune, et que je ne tenais aucun compte de tes sentiments, m’aimerais-tu alors éternellement ? Si je te battais, te laissais sans nouvelles pendant plusieurs semaines, couchais avec tous les hommes que je rencontre, perdais toutes nos économies dans des jeux de hasard et rentrais enfin saoule à la maison, me chérirais-tu encore ?
— Peut-être pas, lui répondis-je. Car vues sous cet angle, les choses paraissent bien différentes.
Et en moi-même, je pensai : Plus nous nous sentons menacés, moins nous sommes capables d’aimer.
Puis, à voix haute, je dis encore : « Je trouve curieux que l’amour inconditionnel qu’on voue à une personne, consiste à ne se soucier aucunement de cette dernière, non plus que de ce qu’elle fait ! En dernière analyse, j’ai bien peur que l’amour inconditionnel ne soit synonyme d’indifférence pure et simple !
— C’est aussi mon avis, renchérit Leslie en hochant la tête.
— Dans ce cas, lui dis-je, puis-je te demander de m’aimer d’un amour conditionnel, s’il te plaît ? De m’aimer quand je suis à mon meilleur, et de te tenir à distance quand je me montre étourdi et raseur ?
— D’accord, dit Leslie en riant. Et tu feras de même pour moi, bien sûr. »
Sur ce, nous regardâmes subrepticement à l’intérieur de la chambre et échangeâmes un sourire en voyant que mon moi parallèle était toujours occupé à parler au téléphone.
« Pourquoi n’essaierais-tu pas de décoller, cette fois ? me suggéra Leslie. Il faudrait bien que tu saches enfin que tu en es capable avant que nous retournions à la maison ! »
Je la regardai un moment, puis tendis la main vers la manette des gaz de notre hydravion invisible, imaginant que je poussais celle-ci.
Mais il ne se passa rien. L’hôtel, les montagnes, les arbres, le monde, tout demeura intact.
« Oh, Richie ! C’est si facile, pourtant. Tu n’as qu’à ajuster le foyer de ton imagination.
Mais avant même que je puisse me livrer à un second essai, je ressentis le tremblement maintenant familier tandis que l’univers s’embrouillait pour verser dans un autre espace-temps. Leslie avait poussé la manette des gaz.
« Leslie, laisse-moi essayer à mon tour, dis-je.
— D’accord, chéri. Je ramène la manette à sa position originale. Et rappelle-toi : tout est dans la focalisation ! »
Mais à peine eut-elle prononcé cette dernière parole que nous nous retrouvions dans les airs, survolant le plan. Leslie tira immédiatement la manette vers elle et le moteur pétarada ; le Seabird tangua un moment, puis piqua tout droit vers l’étendue d’eau.
Je sus, sans l’ombre d’un doute, que l’atterrissage serait extrêmement difficile. Mais je ne m’attendais nullement au choc brutal qui s’ensuivit, aussi violent que si une bombe avait explosé dans l’habitacle.
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