« Et tes yeux, Léon, comment qu'ils vont à présent ? qu'elle lui demanda alors.
– Ça va bien mieux. Je voulais rien te dire encore à cause que j'en étais pas sûr, mais je crois bien que de l'œil gauche surtout je commence à pouvoir même compter les bouteilles sur la table… J'en ai bu pas mal, t'as remarqué ? Et il était bon !…
— Le gauche, c'est le côté du cœur », qu'elle nota Madelon joyeuse. Elle était toute contente, ça se comprend, de son mieux de ses yeux à lui.
« Embrasse-moi alors que je t'embrasse ! » qu'elle lui proposa. Je commençais moi à me sentir de trop auprès de leurs effusions. J'avais cependant du mal à m'éloigner, parce que je ne savais plus très bien par où partir. Je me suis donné l'air d'aller faire un besoin derrière l'arbre qui était un peu plus loin et je suis resté là derrière l'arbre en attendant que ça leur passe. C'était tendre ce qu'ils se racontaient. Je les entendais. Des dialogues d'amour les plus plats, c'est toujours tout de même un peu drôle quand on connaît les gens. Et puis je ne leur avais jamais entendu dire des choses comme celles-ci.
« C'est bien vrai que tu m'aimes ? qu'elle lui demandait.
— Autant que mes yeux que je t'aime ! qu'il lui répondait.
— C'est pas rien, ce que tu viens de dire Léon !… Mais tu m'as pas encore vue Léon ?… Peut-être que quand tu m'auras vue avec tes yeux à toi et plus seulement avec les yeux des autres, que tu m'aimeras plus autant ?… À ce moment-là, tu reverras les autres femmes et peut-être que tu te mettras à les aimer toutes ?… Comme les copains ?… »
Cette remarque qu'elle lui faisait, en douce, c'était pour moi. Je ne m'y trompais pas… Elle me croyait loin déjà et que je pouvais pas l'entendre… Alors elle m'en mettait un bon coup… Elle perdait pas son temps… Lui, l'ami, il se mit à protester. « Par exemple !… » qu'il faisait. Et que tout ça c'était tien que des suppositions ! Des calomnies…
« Moi, Madelon, pas du tout ! qu'il se défendait. Je suis pas dans son genre, moi ! Qu'est-ce qui te fait croire que je suis comme lui ?… Après gentille comme t'as été avec moi ?… Je m'attache moi ! Je suis pas un salaud moi ! C'est pour toujours, que je t'ai dit, j'ai qu'une parole ! C'est pour toujours ! T'es jolie, je le sais déjà, mais tu le seras encore bien plus une fois que je t'aurai vue… Là ! Tu es contente à présent ? Tu pleures plus ? Je peux pas t'en dire davantage tout de même !
– Ça c'est mignon, Léon ! » qu'elle lui répondait alors et en se blottissant dans lui. Ils étaient en train de faire des serments, on pouvait plus les arrêter, le ciel était plus assez grand.
« Je voudrais que tu soyes toujours heureuse avec moi… qu'il lui faisait, bien doucement après. Que t'ayes tien à faire et que t'ayes cependant tout ce qu'il te faut…
— Ah ! comme t'es bon mon Léon. T'es meilleur que j'imaginais encore… T'es tendre ! T'es fidèle ! et t'es tout !…
— C'est parce que je t'adore, ma mimine… »
Et ils s'échauffaient encore en plus, en pelotages. Et puis comme pour me tenir éloigné de leur bonheur intense, à moi ils m'en remettaient un sale vieux coup…
Elle d'abord : « Le Docteur, ton ami, il est gentil n'est-ce pas ? » Elle revenait à la charge, comme si je lui étais resté sur l'estomac. « Il est gentil !… Je ne veux rien dire contre lui, puisque c'est un ami à toi… Mais c'est un homme qu'on dirait brutal tout de même avec les femmes… Je veux pas en dire du mal puisque je crois c'est vrai qu'il t'aime bien… Mais enfin ça serait pas mon genre… J'vais te dire… Ça va pas te vexer au moins ? » Non, rien ne le vexait Léon. « Eh bien, il me semble, le Docteur, qu'il les aime comme trop les femmes… Comme les chiens un peu, tu me comprends ?… Tu trouves pas toi ?… C'est comme s'il sautait dessus qu'on dirait toujours ! Il fait du mal et il s'en va… Tu trouves pas toi ? qu'il est comme ça ? »
Il trouvait, le saligaud, il trouvait tout ce qu'elle voulait, il trouvait même que ce qu'elle disait était tout à fait juste et rigolo. Drôle comme tout. Il l'encourageait à continuer et il s'en donnait le hoquet.
« Oui, c'est bien vrai ce que t'as remarqué à son sujet Madelon, c'est un homme qu'est pas mauvais Ferdinand, mais pour la délicatesse, c'est pas son fort, on peut le dire, et puis pour la fidélité non plus d'ailleurs !… Ça j'en suis sûr !…
— T'as dû lui en connaître toi des maîtresses, hein dis Léon ? »
Elle se tuyautait la vache.
« Autant comme autant ! qu'il lui a répondu fermement, mais tu sais… Lui d'abord… Il est pas difficile !… »
Il fallait tirer une conclusion de ces propos, Madelon s'en chargea.
« Les médecins, c'est bien connu, c'est tous des cochons… la plupart du temps… Mais lui, alors, je crois qu'il est fadé dans son genre !…
— T'as jamais si bien dit », qu'il l'a approuvée, mon bon, mon heureux ami, et il a continué : « C'est à ce point que j'ai souvent cru, tellement qu'il était porté là-dessus, qu'il prenait des drogues… Et puis alors, il possède un de ces machins ! Si tu voyais ça cette grosseur ! C'est pas naturel !…
— Ah ! ah ! fit Madelon perplexe du coup et qu'essayait de se souvenir de mon machin. Tu crois alors qu'il aurait des maladies, toi dis ? » Elle était bien inquiète, navrée soudain par ces informations intimes.
« Ça, j'en sais rien, fut-il obligé de convenir, à regret, je peux rien assurer… Mais y a des chances avec la vie qu'il mène.
— Tout de même t'as raison, il doit prendre des drogues… Ça doit être pour ça qu'il est quelquefois si bizarre… »
Et sa petite tête elle travaillait, à Madelon, du coup. Elle ajouta : « À l'avenir il faudra qu'on se méfie de lui un peu…
— T'en as pas peur quand même ? qu'il lui a demandé. Il est rien pour toi, au moins ?… Il t'a jamais fait d'avances ?
— Ah ça non alors, j'aurais pas voulu ! Mais on ne sait jamais ce qui peut lui passer par la tête… Suppose par exemple qu'il fasse une crise… Ça fait des crises ces gens-là, avec les drogues !… Toujours est-il que c'est pas moi qui me ferais soigner par lui !…
— Moi non plus, maintenant qu'on en a parlé ! » qu'il a approuvé Robinson. Et par là-dessus, encore tendresse et caresses…
« Câlin !… Câlin !… qu'elle le berçait.
— Minon !… Minon !… » qu'il lui répondait. Et puis des silences entre avec des rages de baisers dedans.
« Dis-moi vite que tu m'aimes autant de fois que tu pourras, pendant que je t'embrasse jusqu'à l'épaule… »
Ça commençait au cou le petit jeu.
« Que je suis rouge, moi ! qu'elle s'exclamait en soufflant… J'étouffe !… Donne-moi de l'air ! » Mais il la laissait pas souffler. Il recommençait. Moi dans l'herbe à côté, j'essayais de voir ce qui allait se passer. Il lui prenait les bouts des seins entre les lèvres et il s'amusait avec. Enfin, des petits jeux. J'en étais tout rouge aussi moi et d'un tas de sentiments et tout émerveillé en plus par mon indiscrétion.
« Nous deux on sera bien heureux, hein dis-moi Léon ? Dis-moi que t'en es bien sûr qu'on sera heureux ? »
C'était l'entracte. Et puis encore des projets d'avenir à n'en plus finir comme pour refaire un monde entier, mais un monde rien que pour eux deux par exemple ! Moi surtout pas dedans du tout. On aurait dit qu'ils n'en avaient jamais fini de se débarrasser de moi, de déblayer leur intimité de ma sale évocation.
« Y a longtemps hein, que vous êtes des amis ensemble avec Ferdinand ? »
Ça la tracassait ce truc-là…
« Des années, oui… Par ici… Par là… qu'il a répondu. On s'est rencontrés d'abord au hasard, dans les voyages… Lui c'est un type qui aime à voir des pays… Moi aussi, dans un sens, alors c'est comme si on avait fait route ensemble depuis longtemps… Tu comprends ?… » Il ramenait ainsi notre vie à de moindres banalités.
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