Enfin, tout ce qu'elles disent toutes les dames dans ces cas-là. Fallait s'y attendre. Du paravent. Le principal pour moi, c'était qu'elle ait bien écouté mes conseils et qu'elle en ait retenu l'essentiel. Le reste n'avait aucune importance. M'ayant bien entendu, ce qui lui faisait triste au fond, c'était de penser qu'on pouvait attraper tout ce que je lui racontais rien que par la tendresse et du plaisir. Ç'avait beau être la nature, elle me trouvait aussi dégoûtant que la nature et ça l'insultait. Je n'insistai plus, sauf pour lui parler un peu encore des capotes si commodes. Enfin, pour faire psychologues, nous essayâmes d'analyser un peu le caractère de Robinson. « Il n'est pas jaloux précisément, qu'elle me dit alors, mais il a des moments difficiles.
– Ça va ! ça va !… » que j'ai répondu et je me suis lancé dans une définition de son caractère à Robinson, comme si je le connaissais, moi son caractère, mais je me suis aperçu tout de suite que je ne connaissais guère Robinson sauf par quelques grossières évidences de son tempérament. Rien de plus.
C'est étonnant ce qu'on a du mal à s'imaginer ce qui peut rendre un être plus ou moins agréable aux autres… On veut le servir pourtant, lui être favorable, et on bafouille… C'est pitoyable, dès les premiers mots… On nage.
De nos jours, faire le « La Bruyère » c'est pas commode. Tout l'inconscient se débine devant vous dès qu'on s'approche.
Au moment où j'allais pour prendre mon billet, il m'ont retenu encore, pour une semaine de plus fut-il convenu. Histoire de me montrer les environs de Toulouse, les bords du fleuve bien frais, dont on m'avait beaucoup parlé, et de me faire visiter surtout ces jolis vignobles des environs, dont tout le monde en ville semblait fier et content, comme si tout le monde était déjà propriétaire. Il ne fallait pas que je m'en aille ainsi, ayant seulement visité les cadavres à la mère Henrouille. Cela ne se pouvait pas ! Enfin, des manières…
J'étais mou devant tant d'amabilité. Je n'osais pas beaucoup insister pour rester à cause de mon intimité avec la Madelon, intimité qui devenait un peu dangereuse. La vieille commençait à se douter de quelque chose entre nous. Une gêne.
Mais elle ne devait pas nous accompagner la vieille dans cette promenade. D'abord, elle ne voulait pas le fermer son caveau, même pour un seul jour. J'acceptai donc de rester, et nous voilà partis par un beau dimanche matin pour la campagne. Lui, Robinson, nous le tenions par le bras entre nous deux. À la gare, on a pris des secondes. Ça sentait fort le saucisson quand même dans le compartiment tout comme en troisième. À un pays qui s'appelait Saint-Jean nous descendîmes. Madelon avait l'air de s'y retrouver dans la région et d'ailleurs elle rencontra tout de suite des connaissances venues d'un peu partout. Une belle journée d'été s'annonçait, on pouvait le dire. Tout en nous promenant, fallait raconter tout ce qu'on voyait à Robinson. « Ici c'est un jardin… Là voilà un pont et dessus un pêcheur à la ligne… Il n'attrape rien le pêcheur… Attention au cycliste… » Par exemple l'odeur des frites le guidait bien. C'est même lui qui nous entraîna vers le débit où on les faisait les frites pour dix sous à la fois. Je l'avais toujours connu moi Robinson aimant les frites, comme moi d'ailleurs. C'est parisien le goût des frites. Madelon préférait le vermouth, elle, sec et tout seul.
Les rivières ne sont pas à leur aise dans le Midi. Elles souffrent qu'on dirait, elles sont toujours en train de sécher. Collines, soleil, pêcheurs, poissons, bateaux, petits fossés, lavoirs, raisins, saules pleureurs, tout le monde en veut, tout en réclame. De l'eau on leur en demande beaucoup trop, alors il en reste pas beaucoup dans le lit du fleuve. On dirait par endroits un chemin mal inondé plutôt qu'une vraie rivière. Puisqu'on était venus pour le plaisir fallait se dépêcher d'en trouver. Aussitôt finies les frites, nous décidâmes qu'un petit tour en bateau, avant le déjeuner, ça nous distrairait, moi ramant bien entendu, et eux deux me faisant face, la main dans la main, Robinson et Madelon.
Nous voilà donc partis au fil des eaux, comme on dit, raclant le fond par-ci par-là, elle avec des petits cris, lui pas très rassuré non plus. Des mouches et encore des mouches. Des libellules qui surveillent la rivière avec leurs gros yeux partout et des menus coups de queue craintifs. Une chaleur étonnante, à faire fumer toutes les surfaces. On glisse dessus, depuis les longs remous plats là-bas jusqu'aux branches mortes… Au ras des rives brûlantes qu'on passe, à la recherche de bouffées d'ombre qu'on attrape comme on peut au revers de quelques arbres pas trop criblés par le soleil. Parler donne plus chaud encore si possible. On n'ose pas dire non plus qu'on est mal.
Robinson, c'était naturel, en eut assez le premier de la navigation. Je proposai alors qu'on aille s'aborder devant un restaurant. Nous n'étions pas les seuls à avoir eu la même petite idée. Tous les pêcheurs du bief en vérité y étaient installés déjà au bistrot, avant nous, jaloux d'apéritifs, et retranchés derrière leurs siphons. Robinson n'osait pas me demander s'il était cher ce café que j'avais choisi mais je lui épargnai tout de suite ce souci en l'assurant que tous les prix étaient affichés et tous fort raisonnables. C'était vrai. À sa Madelon, il ne lâchait plus la main.
Je peux dire à présent qu'on a payé dans ce restaurant comme si on avait mangé, mais on n'avait qu'essayé de bouffer seulement. Mieux vaut ne pas parler des plats qu'on nous a servis. Ils y sont encore.
Pour passer l'après-midi ensuite, organiser une séance de pêche avec Robinson, c'était trop compliqué et on lui aurait fait du chagrin puisqu'il aurait même pas pu voir son bouchon. Mais moi, d'autre part, de la rame, j'en étais déjà malade, rien qu'après l'épreuve du matin. Ça suffisait. Je n'avais plus l'entraînement des rivières d'Afrique. J'avais vieilli en ça comme pour tout.
Pour changer quand même d'exercice j'affirmai alors qu'une petite promenade à pied, tout simplement, le long de la berge, nous ferait joliment du bien, au moins jusqu'à ces herbes hautes qu'on apercevait à moins d'un kilomètre de distance, près d'un rideau de peupliers.
Nous voilà avec Robinson, encore repartis bras dessus bras dessous, Madelon elle, nous précédait de quelques pas. C'était plus commode pour avancer dans les herbes. À un détour de la rivière nous entendîmes de l'accordéon. D'une péniche ça venait le son, une belle péniche amarrée à cet endroit du fleuve. La musique le retint Robinson. C'était bien compréhensible dans son cas et puis il avait toujours eu un faible pour la musique. Alors contents nous, d'avoir trouvé quelque chose qui l'amusait, nous campâmes sur ce gazon même, moins poussiéreux que celui de la berge en pente à côté. On voyait que ça n'était pas une péniche ordinaire. Bien propre et fignolée qu'elle était, une péniche pour habiter seulement, pas pour le cargo, avec tout plein de fleurs dessus et même une petite niche bien pimpante pour le chien. Nous lui décrivîmes la péniche à Robinson. Il voulait tout savoir.
« Je voudrais bien, moi aussi, demeurer dans un bateau bien propre comme celui-là, qu'il a dit alors, et toi ? qu'il demandait à Madelon…
— Je t'ai bien compris va ! qu'elle a répondu. Mais c'est une idée qui revient cher que tu as Léon ! Ça vaut encore bien plus cher, je suis sûre, qu'une maison de rapport ! »
On s'est mis là-dessus, tous les trois, à réfléchir sur le prix qu'elle pouvait bien coûter une péniche ainsi faite et nous n'en sortions pas de nos estimations… Chacun tenait à son chiffre. L'habitude qu'on avait, nous autres, de compter tout haut à propos de tout… La musique de l'accordéon nous parvenait bien câline pendant ces temps, et même les paroles d'une chanson d'accompagnement… Finalement nous tombâmes d'accord qu'elle devait coûter telle quelle au moins dans les cent mille francs la péniche. À faire rêver…
Читать дальше