Tomás garda le silence.
— Vous avez compris ? vociféra l’autre encore plus fort, la bouche collée à l’oreille droite de Tomás.
— Oui, murmura le détenu, d’une voix à peine audible.
— Très bien, s’exclama le colonel Kazemi. Alors faites-moi le plaisir de répondre à présent à mes questions. Il fit une pause pour reprendre haleine et continua son interrogatoire sur un ton plus calme. Que faisiez-vous au ministère de la Science et de la Technologie à une heure du matin ?
— Je ne répondrai qu’après avoir parlé avec un…
Un violent coup sur la nuque fit presque tomber Tomás au sol.
— Mauvaise réponse ! beugla l’officier du VEVAK. Je répète ma question. Que faisiez-vous au ministère de la Science et de la Technologie à une heure du matin ?
Le détenu resta silencieux.
Un nouveau coup, cette fois sur le côté droit de la tête, un coup de poing d’une telle violence que Tomás valdingua sur la gauche dans un gémissement étouffé et s’étala de tout son long sur le sol, les poignets toujours liés derrière le dos.
— Je… vous… bredouilla-t-il, sonné, une moitié de son visage meurtrie par l’impact, l’autre moitié plaquée contre la dalle froide. Vous n’avez pas le droit de me faire ça. Je protesterai. Je porterai plainte, vous entendez ?
Le colonel éclata de rire.
— Vous allez porter plainte ? demanda-t-il, visiblement amusé. Vous allez porter plainte auprès de qui ? Hein ? De votre maman ?
— Vous n’avez pas le droit de faire ça. J’ai le droit de contacter un diplomate européen.
Des mains brutales attrapèrent Tomás et le jetèrent de nouveau sur le siège du pupitre.
— Vous n’avez aucun droit, je vous l’ai déjà dit, vociféra le colonel. Votre seul droit ici est de dire la vérité, vous comprenez ? La vérité ! La vérité vous libérera ! Le salut par la vérité. Telle est notre devise, telle est la devise du VEVAK. Dites-nous la vérité ; ce sera pris en compte à l’heure du jugement. Aidez-nous à trouver les ennemis de la République islamique et vous serez récompensé. Mieux encore, vous serez sauvé. Le salut par la vérité. Mais, si vous persistez à vous taire, vous le regretterez amèrement. Il baissa le ton, prenant une voix presque suave, enjôleuse. Écoutez-moi. Vous avez commis une erreur, c’est certain. Mais il est encore temps de la réparer. Je vous le garantis. Tout bien considéré, nous commettons tous des erreurs, n’est-ce pas ? Ce qui est grave, c’est de persister dans notre erreur. Voilà ce qui est grave… vous comprenez ? Il adoucit encore davantage sa voix, devenant presque intime. Écoutez, concluons un accord. Vous me racontez tout et je ferai un rapport très positif sur votre compte. Vous savez, nous n’avons rien contre vous. Pourquoi irions-nous vous faire du mal ? Nous voulons seulement que vous nous aidiez à détecter nos ennemis. Vous voyez comme c’est simple ? Vous nous aidez, nous vous aidons. Hein ? Qu’en dites-vous ?
— Je vous aiderais avec plaisir, dit Tomás, prêt à encaisser un autre coup à tout moment. Mais comprenez que je dois d’abord parler avec un diplomate de l’Union européenne. J’ai besoin de savoir quels sont mes droits, quelle est l’accusation retenue contre moi, et j’aimerais transmettre un message à ma famille. En outre, il me faut un avocat. Comme vous le voyez, je ne demande pas grand chose.
Le colonel fit une pause, comme s’il considérait la demande.
— Laissez-moi récapituler, dit l’officier du VEVAK. Si nous vous permettons de contacter un diplomate européen, vous nous direz tout, c’est ça ?
Tomás hésita.
— Oui, bien sûr… je vous dirai tout en fonction… des conseils du diplomate et de ce que dira mon avocat, bien entendu.
Le colonel Kazemi garda le silence. Le détenu entendit le bruit d’une allumette qu’on grattait et sentit, l’instant d’après, l’odeur âcre de la fumée d’une cigarette.
— Vous devez nous prendre pour des idiots, commenta Kazemi entre deux bouffées de tabac. Pourquoi irions-nous informer l’Union européenne de votre situation sans avoir la garantie de recevoir quelque chose en échange ? Personne au monde ne sait où vous êtes et nous n’avons aucun intérêt à le communiquer. À moins que vous me donniez une raison valable, bien entendu.
— Quelle raison ?
— Par exemple, en me racontant tout. Tenez, vous pourriez commencer par m’ôter un doute concernant l’individu qui vous accompagnait. Qui était-ce exactement ?
Cette question porta Tomás à conclure que Bagheri était probablement mort. D’un côté, si le colonel ignorait l’identité de Bagheri, c’est parce que l’homme de la CIA s’était tu, peut-être pour toujours ; et, de l’autre, l’officier avait employé l’imparfait pour faire référence à Bagheri, ce qui lui semblait révélateur.
L’historien résolut de tester l’homme qui l’interrogeait.
— Pourquoi ne le lui demandez-vous pas directement ?
Kazemi sembla un instant déconcerté par la question, ce qui, en soi, constituait une forme de réponse.
— Heu… parce que… balbutia-t-il, avant de se reprendre. Écoutez, ici, c’est moi qui pose les questions, vous entendez ? Il dut répéter. Vous entendez ?
— Oui.
Le colonel aspira une nouvelle bouffée de fumée.
— Vous êtes de la CIA.
Tomás comprit que l’officier avait changé de tactique, pour le surprendre, et qu’il ne pourrait pas hésiter sur ce point crucial.
— C’est une question ou une affirmation ?
— C’est une affirmation. Vous êtes de la CIA.
— Absurde !
— Nous avons des preuves.
— Comment ça ?
— Votre ami a parlé…
— Il a parlé, dites-vous ? Et il a dit que j’étais de la CIA ?
— Oui. Il nous a tout raconté sur vous.
Tomás se força à sourire.
— S’il vous a tout raconté sur moi, alors me voilà rassuré. Je n’ai rien à voir avec la politique, je ne suis qu’un universitaire et vous le savez très bien.
— Vous êtes un espion ! Vous êtes un espion qui est venu en Iran pour nous voler le secret de la bombe atomique.
Kazemi tendait ici un nouveau piège, mais il manqua d’habileté.
— Le secret de la bombe atomique ? demanda Tomás d’un air étonné. Ma parole, ça confine au délire ! Personne ne m’a jamais parlé d’aucune bombe atomique ! Il y a là sans doute une erreur. Je ne suis pas venu ici pour voler quoi que ce soit. J’ai été invité, vous comprenez ? Je suis venu pour aider l’Iran à déchiffrer un document scientifique, rien d’autre. D’où sortez-vous cette histoire de bombe atomique ?
— Ne faites pas l’ignorant, rétorqua le colonel. Vous savez très bien de quoi je parle.
— Non, je ne sais pas. Je n’ai jamais entendu parler d’une telle chose. Mon travail se limite au décryptage d’un document scientifique, rien de plus. C’est à cette fin que j’ai été engagé. Jamais personne ne m’a parlé de bombes atomiques. D’ailleurs, si on m’en avait parlé, je n’aurais pas accepté ce travail !
— Vous êtes venu ici pour déchiffrer un document scientifique, c’est bien ça ? Alors pour quelle raison êtes-vous allé en cachette au ministère prendre ce document dans le coffre, hein ? Pour quelle raison ?
— Ce n’est pas un document militaire, je vous l’ai dit. C’est un document scientifique. Demandez au ministre de la Science, il vous le confirmera. Vous échafaudez et voyez des conspirations là où il n’y en a pas.
— Le ministre nous a dit que, étant donné la nature du document en question, vous ne pouviez être qu’un espion.
— Moi ? Un espion ? C’est ridicule ! J’admets que j’avais la curiosité de voir ce document scientifique, c’est vrai. Mais ce n’était que de la curiosité scientifique, rien d’autre. Je suis un homme de science et il est bien naturel que je veuille voir une relique scientifique, vous ne pensez pas ?
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