– Ton truc de coopération-réciprocité-pardon, ça t'est venu comment?
– En rêve.
– Ouais, eh bien, je crois que ce n'était pas une très bonne idée. J'ai discuté avec un ami critique qui m'a dit que ça donnait un côté prêchi-prêcha qui énerve. Un rat qui prône le pardon, ça casse la crédibilité de tout ton travail d'éthologie sur les vrais comportements des rats. Un rat, ça ne pardonne pas.
– J'ai essayé d'imaginer comment les rats pourraient évoluer s'ils avaient plus de conscience. Bon, bref, on s'est cassé la figure?
– Hmmm… En effet, c'est raté pour la France, admet Charbonnier, mais contre toute attente, Les Rats sont un très grand succès en Russie. Là-bas, nous en sommes déjà à trois cent mille volumes vendus en un mois.
Voilà autre chose.
– Comment expliquez-vous ça?
– En Russie, la télévision est tellement médiocre que, proportionnellement, la population lit beaucoup plus qu'en France.
Moi qui voulais la gloire, je l'ai mais… pas dans ma langue. Certes, nul n'est prophète en son pays, mais la prochaine fois que je ferai une prière, je préciserai: «Pourvu que ça marche… en France.»
Grâce à mon succès russe, Charbonnier est d'accord pour accepter un autre livre. Ai-je un projet en vue?
– Euh oui… La découverte du Paradis.
J'ignore ce qui m'a pris. Les mots ont jailli tout seuls.
– Et pourquoi ça?
– Encore à cause d'un rêve. Il y avait des gens qui volaient dans le ciel à la recherche d'un paradis dans l'espace. Ça me semble une bonne histoire.
L'éditeur n'est pas d'accord. Les gens ne sont pas mûrs pour entendre parler du Paradis d'une façon laïque. Tous les livres qui évoquent le Paradis ont été rédigés pour «donner la foi». Le sujet est sacré.
Je réponds que justement, ça m'amuserait de désacraliser tout ça car, selon moi, il ne faut pas abandonner aux religions et aux sectes l'exclusivité de parler de la Mort et du Paradis.
Un temps de réflexion au bout du fil et Charbonnier décide de me faire confiance. Quelques jours plus tard, à la devanture d'une librairie poussiéreuse, mon regard est attiré par la couverture d'un livre soldé: Les Thanatonautes . Sur la couverture, une spirale bleue sur fond noir et un nom: Michael Pinson. Lui aussi parle du Paradis, mais son titre, trop tiré par les cheveux, a dû jouer contre lui. Et puis même pour ceux qui comprennent le sens de ce néologisme, «thanatonaute», l'idée de la mort est rédhibitoire. Qui aurait envie d'acheter un livre sur la mort?
Moi. J'achète et je lis. Je m'amuse à chercher la solution à l'énigme qui court tout au long de l'ouvrage: «Comment tracer un cercle et son point central sans lever le stylo?» La solution consiste à plier un coin de la feuille de papier (donc à changer de dimension) puis à tracer une spirale qui déborde sur les deux pans de feuille… Je me suis creusé les méninges avant de découvrir que c'était précisément le motif.de la couverture.
Je me mets en chantier. Je débranche le téléphone. Je choisis pour musique adéquate la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak. Puis je laisse courir mes pensées.
Inventer un Paradis. Pas simple. Même si beaucoup de mythologies en parlent, l'endroit reste flou. Comment visualiser un paradis crédible? Une planète? Trop facile. Un cube? Trop géométrique. Un champ d'astéroïdes? Trop éparpillé. Une fois de plus, mon chat m'indique la solution. Mona Lisa Il joue avec le robinet de la baignoire. L'eau coule. Connaissant mes habitudes, Mona Lisa Il fait basculer mon flacon de bain moussant. Mais la bonde n'étant pas fermée, l'eau mousseuse disparaît au fur et à mesure au fond de la baignoire.
Je songe que les âmes sont peut-être semblables à ces bulles de savon. Je les imagine aspirées comme elles par un vortex qui serait celui du Paradis. Les bulles sont emportées par le tourbillon dans des canalisations d'où elles émergeront ailleurs, dans un monde si complexe qu'elles ne peuvent l'imaginer. Comment une bulle subodorerait-elle d'où elle vient et où elle va? Comment une bulle concevrait-elle une baignoire, des humains, une canalisation, une ville, un pays, la Terre? Au mieux, elle perçoit l'eau et la masse tiède de la baignoire… Et puis elle doit être effrayée par ce trou qui l'expédie vers l'inconnu…
Donc voilà ce que me propose Mona Lisa II: un cône inversé, un vortex, une spirale qui aspire tout jusqu'à son tréfonds.
Il me semble que cela fait des mois que nous volons tout droit. J'ai l'impression de nager dans un océan. Heureusement que nous n'avons ni faim, ni soif, ni sommeil. En chemin, Freddy nous raconte des blagues pour nous distraire. Il finit par les raconter plusieurs fois. Nous faisons semblant de ne pas nous en apercevoir.
Nous volons longtemps dans l'univers. Et puis un jour…
– Galaxie à l'horizon! hurle Raoul telle une vigie d'antan.
Une lueur, qui n'est pas une étoile, rayonne au loin. Enfin Andromède! Elle n'est pas en forme de spirale, elle est lenticulaire. Nous sommes sûrement les premiers Terriens, plutôt les premiers «Voie-lactiens», à la voir de si près.
Andromède est une galaxie plus récente que la nôtre, avec des étoiles plus jaunes que celles de la Voie lactée.
– Cette fois, on y est.
Marilyn Monroe pointe son doigt vers le centre de cette galaxie. Elle a repéré quelque chose. Il y a là aussi un trou noir. Serait-ce une règle commune à toutes les galaxies: un trou noir qui sert d'axe et fait tourner la masse des étoiles qui l'étoffe?
Nous piquons vers ce vortex. Nous côtoyons des étoiles, des planètes, des météorites qui sont aspirées par cet orifice céleste! Nous restons à les contempler et, soudain, nous observons une âme filer. Après le premier instant de surprise nous essayons de la poursuivre mais elle fonce trop vite.
Nous nous arrêtons en essayant de comprendre la portée de notre observation. C'était une âme. Donc il y a de la conscience. Donc il y a de la vie intelligente. Voilà qui ouvre d'immenses possibilités…
– Est-ce un dieu ou une âme extraterrestre que nous avons vue fuser? questionne Raoul toujours per suadé de découvrir le royaume des dieux.
Pour notre part, Freddy, Marilyn et moi nous contenterions de rencontrer des extraterrestres…
D'autres ectoplasmes passent. Nous essayons d'en intercepter plusieurs, chaque fois ils filent. Si ce sont des morts, je n'ai jamais vu des âmes aussi pressées d'être jugées.
– Nom d'un chien de nom d'un chien de nom d'un chien! répète Raoul, qui n'en revient toujours pas.
Quelqu'un nous fait enfin signe.
– Qui êtes-vous?
C'est un ectoplasme, mais il rayonne différemment de nous. Notre aura est de tonalité bleutée, la sienne plutôt rosée.
– Des anges de la Terre.
L'allure de cet ange extraterrestre est banale. C'est un maigrichon avec des allures de chef de gare de province. Il paraît aussi interloqué que nous.
– De la «Terre»? Pourquoi cela s'appelle la Terre?
– Parce que c'est le matériau qui forme sa surface. Du sable, de la terre.
– Mmm… et c'est où la Terre?…
– Heu… par là, répond Marilyn Monroe en désignant la direction d'où nous venons.
Heureusement que nous communiquons par la pensée, nul besoin d'un interprète.
– Michael Pinson pour vous servir, dis-je.
Il consent à se présenter:
– Mon nom est Zoz. Zoz tout court.
– Enchanté, Zoz.
Nous lui expliquons que nous venons de la galaxie Voie lactée. Zoz digère lentement l'information. Au début, il ne veut pas y croire puis, quand nous lui expliquons les raisons de notre périple, il commence à nous accorder un certain crédit. Il nous avoue même qu'à bien y réfléchir, lui aussi avait repéré des trous dans les curriculum vitae karmiques de ses clients et il s'était déjà demandé si des humains ne se réincarnaient pas ailleurs. Mais il ne s'attendait quand même pas à ce qu'ils émigrent sur une autre galaxie.
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