Michael Smith - Une pluie sans fin

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ENTRE
ET
: LE NOUVEAU CHEF-D'ŒUVRE POST-APOCALYPTIQUE.
L'ouragan Katrina n'était qu'un signe avant-coureur ; après des années de catastrophes écologiques, le sud des États-Unis, de l'Alabama au Texas, s'apparente désormais à un véritable no man's land. Plutôt que de reconstruire sans cesse, le gouvernement a tracé une frontière et ordonné l'évacuation de la zone. Le sud de la Limite est devenu une terre de non-droit ravagée en permanence par les tempêtes et les orages diluviens — un royaume sans électricité, sans ressources et sans lois.
Cohen fait partie de ceux qui, envers et contre tout, ont choisi de rester. Terrassé par la mort de sa femme et de l’enfant quelle portait, il s’efforce de panser ses blessures, seul avec son chien et son cheval.
Mais nul ne peut vivre éternellement dans les brumes du passé. Bientôt forcé de sortir de chez lui, il découvre une colonie de survivants menée par Aggie, un prêcheur fanatique hanté de visions mystiques. L'homme retenant contre leur gré des femmes et des enfants, Cohen les libère, et se met en tête de leur faire franchir la Limite. Commence alors, à travers un paysage dévasté, un étrange et terrible périple avec, pour horizon principal, l'espoir d’une humanité peut-être retrouvée.
Comparé par une critique américaine dithyrambique à
de McCarthy et aux âpres chefs-d'œuvre de Faulkner,
orchestre avec une étourdissante maestria les noces du conte métaphysique et de l'épopée funèbre, porté par une langue incantatoire.
Michael Farris Smith vit à Columbus, Mississippi.
est son premier roman.
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Michelle Charrier « De temps à autre apparaît un auteur amoureux de soir art du langage écrit […] et des grands mystères gui résident de l'autre côté du monde physique. Il y avait William Faulkner Cormac McCarthy ou Annie Proulx. Vous pouvez maintenant ajouter Michael Farris Smith à la liste. » James Lee Burke

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Ils s’arrêtèrent une fois pour changer le bébé, une autre parce que Kris avait envie de pisser, mais ils ne tardèrent pas à atteindre l’océan. Une vision quasi inconnue de Kris et Nadine, qui n’avaient jamais quitté le campement depuis leur capture. Les pans de plage emportés par les flots. La houle à l’emplacement des maisons d’autrefois. Les devantures déformées et les arbres centenaires déracinés. Elles avaient presque oublié.

Contrairement à Mariposa. Cette vision et celle de la foudre éveillaient juste ses souvenirs du monde d’antan ; elle examinait le paysage, les oreilles bourdonnantes des avertissements que sa grand-mère adressait à qui voulait bien l’écouter. Faites vos valises et partez — elle l’avait dit dès le début. Il faut faire nos valises et tirer un trait sur ce qu’on a ici. Ce n’est que le tout début. La folie va se déchaîner. Le vent va décupler, et la pluie. Personne ne l’écoutait. Ni le père de Mariposa. Ni sa mère. Ni ses tantes, ses cousines, ses voisins. Personne ne l’écoutait, jusqu’au jour où des types en uniforme, le fusil en bandoulière, avaient entrepris de fourrer tout le monde dans des cars. Et même là, personne n’arrivait à y croire. C’était trop. Trop fou. Une aberration — la garde nationale entourant Jackson Square, l’ultime évacuation, les gens entassés dans des cars comme des animaux, alors qu’ils s’installaient autrefois dans des voitures à chevaux ; femmes et enfants, jeunes et vieux se bousculant frénétiquement sous les tirs des cinglés cachés dans les ruelles, derrière les voitures, sur les toits, sous un ciel gris dévoré par la foudre. La guerre contre soi-même. Pire que l’hystérie. Les cars bondés avaient fini par se mettre en branle, escortés de chars, pendant que les gardes ripostaient aux cinglés par les vitres. La tempête à venir allait laver les corps abandonnés dans leur sillage.

Jamais Mariposa n’avait revu sa famille. On l’avait poussée dans un véhicule où elle ne connaissait personne et dont les passagers avaient été débarqués cinq heures plus tard, dans le gymnase d’un lycée. La responsable lui avait bien dit qu’on aurait des nouvelles de ses proches, même si ça prenait un peu de temps, mais il était évident à sa voix qu’elle avait trop souvent entendu la question.

Mariposa revivait cette impression. Elle entendait les hurlements, les coups de feu, le rugissement d’une foule égarée, désespérée.

Cohen se pencha sur le volant, interrompant le cours de ses pensées.

« Oui, quoi ? s’enquit-elle.

— Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée de se lancer à la recherche de Charlie, avec la pluie et le ciel qu’on a là. »

Ils progressaient prudemment le long des lotissements en ruine, contournant les poteaux téléphoniques, les pans de toit et les débris dispersés sur la quatre-voies parallèle au littoral. Enfin, le parking du Grand Casino apparut. Cohen pila devant le spectacle qui les y attendait puis demanda à Mariposa de descendre pour aller dire aux autres de reculer.

« Tu as vu quelque chose ? s’étonna-t-elle.

— On n’y va pas. Préviens-les. »

Elle obéit avant de reprendre sa place. Les deux pick-up firent marche arrière jusqu’à ce que Cohen les arrête d’un signe de la main, s’arrête lui aussi, descende de voiture et appelle Evan.

« Qu’est-ce qui se passe ? interrogea l’adolescent.

— Ton frère n’a pas besoin de voir ça. Personne n’a besoin de voir ça. Empêche-les d’y aller.

— Pourquoi ? Qu’est-ce que c’est ?

— Des corps.

— Oh, merde. Frais ?

— On dirait, de loin. Dis-leur de ne pas sortir. »

Evan regagna les pick-up, Cohen tira un des pistolets de son manteau puis se dirigea à pied vers le parking. Mariposa le rejoignit.

« Reste avec les autres, ordonna-t-il.

— Je ne veux pas.

— Je ne crois pas que tu veuilles m’accompagner non plus.

— Je veux voir. »

Renonçant à discuter, il continua son chemin. Ils traversèrent la pelouse de façade du Grand Casino, creusée çà et là de trous énormes, flanqués de tas de boue imposants. Un des palmiers tenait toujours, alors que les autres étaient tombés. Le gros câble noir d’une ligne électrique, abandonné dans l’herbe, évoquait un serpent endormi. L’allée circulaire, où les limousines déposaient autrefois les clients bien habillés, mena les visiteurs sur le parking, où gisaient les corps, figés dans des positions bizarres. On aurait dit des poupées naufragées.

Ç’avait été un vrai massacre. L’asphalte était jonché de cadavres. Ne bouge pas, dit Cohen à Mariposa, qui laissait échapper une exclamation étouffée. Il entreprit ensuite d’examiner les morts. Certains avaient fait partie de la clientèle de Charlie. Le gros aux jetons de poker. Le vieux à la pancarte, à présent éclaboussée de rouge sombre. Il y en avait une vingtaine en tout, qui les paupières closes, qui fixant le ciel de ses yeux pleins d’eau. Le sang délayé par la pluie dessinait sur le parking de grands cercles de peinture délavée et des motifs abstraits quasi artistiques. Les torses, les bras, les têtes étaient percés de trous. La stupeur inscrite sur quelques visages donnait l’impression que ces gens avaient posé pour une mort soudaine. Un peu plus loin se trouvaient deux des videurs de Charlie, des colosses en chemise et pantalon noirs dont les bras puissants et les cuisses épaisses ne trahissaient plus la force. Leurs armes avaient disparu, ainsi que leurs grosses bottines à lacets. Cohen s’en approcha. Leur tourna autour.

Il s’arrêta, le temps de parcourir la route du regard. La grisaille s’assombrissait. La pluie l’empêchait de distinguer clairement les environs.

Le tonnerre roulait sur l’eau agitée du golfe, la foudre se déchaînait, le vent gonflait les vagues. Il parcourut à nouveau le parking du regard. L’œuvre de types très décidés, très compétents. Qui ne devaient pas être bien loin. Qui l’espionnaient peut-être en cet instant même. Qui prendraient n’importe quoi à n’importe qui. Tout le monde en avait déjà assez de ce genre de choses.

« Tu les connais ? demanda Mariposa.

— J’en ai déjà vu la plupart. Les deux en noir, là-bas, c’étaient des employés de Charlie. Certains des autres faisaient partie de ses clients.

— Avec la pluie, on dirait qu’ils saignent toujours. C’est vrai ?

— Non. » Il secouait la tête. « Ça, c’est fini.

— On ferait mieux d’y aller. » Elle avait l’air nerveuse. « Je n’aime pas ça du tout.

— Je sais. »

Ils n’avaient pas assez d’essence pour gagner la Limite. Ils n’en avaient peut-être même pas assez pour arriver à mi-chemin. Tout dépendrait des routes et des ponts praticables. De l’autre côté de la voie rapide se dessinaient une, deux carcasses de stations-service. Cohen se tourna dans la direction de la plantation abandonnée. Combien de kilomètres avaient-ils perdus en incendiant les mobil-homes ?

Nadine et Evan approchaient.

« J’ai dit à Kris de rester avec Brisco et le bébé, expliqua la première. Ça la fait un peu flipper, cette merde.

— Moi aussi, plaça Evan.

— Y en a combien ?

— Beaucoup, répondit Mariposa. À votre place, je n’irais pas.

— J’ai pas l’intention d’y aller, je vois bien assez d’ici, assura Nadine. J’ai jamais vu de morts de près, à part Aggie et Ava, et j’ai la ferme intention d’en rester là. »

Le tonnerre gronda, la foudre scintilla. Ils se recroquevillèrent sous leurs capuches, les épaules voûtées, en échangeant des regards en coin. Une portière claqua, puis Kris les rejoignit.

« Où est le bébé ? demanda Nadine.

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