MÉTHODE ÂNTI-CÉLIBAT : Jusqu'en 1920, dans les Pyrénées, les paysans de certains villages résolvaient d'une manière directe les problèmes de couple. Il y avait un soir dans l'année dit la «nuit des mariages». Ce soir-là, on réunissait tous les jeunes gens et toutes les jeunes filles ayant seize ans. On se débrouillait pour qu'il y ait exactement le même nombre de filles et de garçons. Un grand banquet était donné en plein air, à flanc de montagne, et tous les villageois mangeaient et buvaient abondamment.
À une heure donnée, les filles partaient les premières avec une longueur d'avance. Elles couraient se dissimuler dans les taillis. Comme pour une partie de cache-cache, les garçons partaient ensuite à leur chasse. Le premier à avoir découvert une fille se l'appropriait. Les plus jolies étaient, bien sûr, les plus recherchées et elles n'avaient pas le droit de se refuser au premier qui les débusquait. Or, ce n'étaient pas forcément les plus beaux qui étaient les premiers à les découvrir mais toujours les plus rapides, les plus observateurs, les plus malins. Les autres n'avaient plus qu'à se contenter des filles moins séduisantes car aucun garçon n'était autorisé à rentrer au village sans fille. Si un plus lent, ou un moins débrouillard, refusait de se résoudre à se rabattre sur une laide et revenait les mains vides, il était banni du bourg.
Heureusement, plus la nuit s'avançait et plus l'obscurité avantageait les moins belles. Le lendemain, on procédait aux mariages. Inutile de préciser qu'il y avait peu de vieux garçons et de vieilles filles dans ces villages.
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu , tome III.
136. PAR LE FEU ET PAR LA MANDIBULE
La longue cohorte des fourmis révolutionnaires proDoigts rassemble maintenant une masse de trente mille individus.
Ils parviennent devant la ville de Yedi-bei-nakan. La cité refuse de les laisser entrer. Les révolutionnaires proDoigts veulent mettre le feu à cette fourmilière hostile, mais cela s'avère impossible car la cité est recouverte d'un dôme en feuilles vertes non inflammables. Princesse 103e décide alors de tirer parti de l'environnement. Une falaise coiffée d'un gros rocher surplombe la cité. Il n'y a qu'à utiliser un levier pour projeter cette grosse pierre ronde sur la ville.
La pierre se décide enfin à bouger, vacille avant de partir et d'atterrir pile sur le dôme de feuilles molles. C'est la plus grosse et la plus lourde bombe tombée sur une ville de plus de cent mille habitants.
Il ne reste plus qu'à soumettre le nid, ou du moins ce qu'il en reste.
Le soir, dans la cité aplatie, tandis que les révolutionnaires se sustentent, Princesse 103e parle encore des mœurs étranges des Doigts et 10e prend des notes odo-
MORPHOLOGIE
La morphologie des Doigts n 'évolue plus.
Alors que, chez les grenouilles, la vie subaquatique entraîne au bout d'un million d'années l'apparition de palmes à l'extrémité des pattes pour mieux s'adapter à l'eau, chez l'homme, tout est résolu par des prothèses.
Pour s'adapter à l'eau, l'homme fabrique des palmes qu 'il enlève et remet à son gré.
Ainsi, il n 'a aucune raison de s'adapter morphologiquement à l'eau et d'attendre un million d'années pour que lui apparaissent des palmes naturelles.
Pour s'adapter à l'air, il fabrique de même des avions qui imitent les oiseaux.
Pour s'adapter à la chaleur ou au froid, il fabrique des vêtements en guise de fourrure.
Ce qu'une espèce mettait jadis des millions d'années à façonner avec son propre corps, l'homme le fabrique artificiellement en quelques jours, rien qu'en manipulant les matériaux qui l'entourent.
Cette habileté remplace définitivement son évolution morphologique.
Nous aussi, fourmis, n 'évoluons plus depuis longtemps car nous parvenons à résoudre nos problèmes autrement que par l'évolution morphologique.
Notre forme extérieure est la même depuis cent millions d'années, preuve de notre réussite.
Nous sommes un animal abouti.
Alors que toutes les autres espèces vivantes sont soumises à des sélections naturelles: prédateurs, climat, maladies, seuls l'homme et la fourmi sont écartés de cette pression.
Grâce à nos systèmes sociaux, nous avons tous deux réussi.
La quasi-totalité de nos nouveau-nés parviennent à l'âge adulte et notre espérance de vie s'allonge.
Cependant, l'homme et la fourmi se retrouvent confrontés au même problème: ayant cessé de s'adapter à l'environnement, il ne leur reste plus qu 'à forcer l'environnement à s'adapter à eux.
Ils doivent imaginer le monde le plus confortable pour eux. Il ne s'agit plus dès lors d'un problème de biologie mais d'un problème de culture.
Plus loin, les ingénieurs du feu reprennent leurs expériences.
5e essaie de marcher sur deux pattes en s'aidant de brindilles fourchues comme de béquilles. 7e poursuit sa fresque figurant l'odyssée de 103e et sa découverte des Doigts. 8e essaie de fabriquer des leviers à contrepoids de graviers à l'aide de brindilles et de plateaux de feuilles tressées.
Après avoir si longuement parlé des Doigts, Princesse 103e se sent lasse. Elle pense à nouveau à la saga que voulait écrire 24e: Les Doigts . Maintenant que le prince a péri dans l'incendie, c'en est fini des chances de voir naître un jour ce premier roman fourmi.
5e vient rejoindre 103e après être encore une fois tombée à terre en tentant de marcher sur deux pattes. Elle signale que le problème avec l'art, c'est qu'il est fragile et difficile à transporter. L'œuf que 24e avait entrepris de remplir de son roman n'était de toute façon pas transportable sur de longues distances.
On aurait dû le mettre sur un escargot , émet 103e.
5e rappelle que les escargots mangent parfois les œufs de fourmi. D'après elle, il faut inventer un art romanesque myrmécéen léger, transportable et, de préférence, non comestible pour les gastéropodes.
7e s'empare d'une feuille pour entamer un nouvel élément de sa fresque.
Ça non plus ça ne pourra jamais être transporté , lui dit 5e qui a découvert les problèmes d'encombrement de l'art.
Les deux fourmis se consultent et, soudain, 7e a une idée: la scarification. Pourquoi ne pas dessiner, avec la pointe de la nandibule, des motifs directement sur la carapace des gens?
L'idée plaît à 103e. Elle sait, en effet, que les Doigts ont aussi un art ce ce genre qu'ils nomment «tatouage». Comme leur épiederme est mou, ils sont obligés d'y introduire un colorant alors que, pour une fourmi, rien n'est plus simple que de rayer la chitine de la pointe de la mandibule comme s'il s'agissait d'un morceau d'ambre.
7e a aussitôt envie de scarifier la carapace de 103e mais, avant d'être jeune princesse, la fourmi rousse était une vieille exploratrice et sa cuirasse est déjà rayée de tant de zébrures qu'on aura beaucoup de mal à y distinguer quoi que ce soit.
Elles décident donc de convoquer 16e, la plus jeune fourmi de la troupe, du moins celle à la cuirasse impeccable. Alors, avec application, du bout de sa mandibule droite utilisée comme stylet, 7e entreprend de l'inciser de motifs qui lui passent par la tête. Sa première idée est de représenter une fourmilière en flammes. Elle la dessine sur l'abdomen de la jeune Belokanienne. Les rayures forment des arabesques et des volutes assez longues qui se combinent comme des fils. Les fourmis, qui perçoivent essentiellement le mouvement, sont plus intéressées par les trajectoires que par les détails des formes des flammes.
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