La jeune fille fit comprendre par gestes qu'il n'y avait pas d'autre choix que de renoncer.
– C'est rien, c'est le trac, dit Francine se voulant rassurante.
– C'est le trac, renchérit le directeur. C'est normal, ça arrive systématiquement avant d'entrer en scène pour les spectacles importants. Mais j’ai le remède.
Il disparut et revint tout essoufflé en brandissant un pot de miel.
Julie avala plusieurs cuillerées, déglutit, ferma les yeux et émit enfin un: «AAA.»
Il y eut un soulagement général. Tous avaient eu très peur.
– Heureusement que les insectes ont veillé à concocter ce médicament universel, s'exclama le directeur du centre culturel. Ma femme soigne même sa grippe avec de la gelée royale.
Paul regarda pensivement le pot de miel. «Cet aliment produit des effets vraiment spectaculaires», pensa-t-il. Julie, tout heureuse, n'en finissait pas d'étrenner sa voix retrouvée en essayant toutes sortes de sons sur toutes les gammes.
– Bon, alors, vous êtes prêts?
DEUX BOUCHES : Le Talmud affirme que l'homme possède deux bouches: celle d'en haut et celle d'en bas. Celle d'en haut permet, par la parole, de dénouer les problèmes du corps. La parole ne fait pas que transmettre des informations, elle sert aussi à guérir. Au moyen du langage de la bouche d'en haut, on se situe dans l'espace, on se situe par rapport aux autres. Le Talmud conseille d'ailleurs d'éviter de prendre trop de médicaments pour se soigner, ceux-ci effectuant un trajet inverse de celui de la parole. Il ne faut pas empêcher le mot de sortir, sinon il se transforme en maladie.
La deuxième bouche, c'est le sexe. Par le sexe, on dénoue les problèmes du corps dans le temps. Par le sexe, et donc le plaisir et la reproduction, l'homme se crée un espace de liberté. Il se définit par rapport à ses parents et à ses enfants. Le sexe, la «bouche du bas», sert à frayer un nouveau chemin, différent de celui de la lignée familiale. Chaque homme jouit du pouvoir de faire incarner par ses enfants d'autres valeurs que celles de ses parents. La bouche du haut agit sur celle du bas. C'est par la parole qu'on séduira l'autre et qu'on fera fonctionner son sexe. La bouche du bas agit sur la bouche du haut, c'est par le sexe qu'on trouvera son identité et son langage.
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu , tome III.
92. PREMIERE TENTATIVE D'OUVERTURE
– Nous sommes prêts.
Maximilien examina les différentes charges d'explosif qui avaient été disposées sur les flancs de la pyramide.
Cette bâtisse ne le narguerait pas indéfiniment.
Les artificiers déployèrent le long fil électrique reliant les charges de plastic au détonateur et se replièrent à une certaine distance de la pyramide.
Le commissaire fit un signe. L'artificier en chef remonta le détonateur et égrena:
– Cinq… quatre… trois… deux…
Bzzzz…
Subitement, l'homme tomba en avant. Endormi. Il portait une marque au cou.
La guêpe gardienne de la pyramide.
Maximilien Linart ordonna à tous ses hommes de bien protéger leurs zones de peau non couvertes par leurs vêtements. Le policier rentra pour sa part son cou dans son col, ses mains dans ses poches puis, avec son coude, appuya sur le détonateur.
Il ne se passa rien.
Il remonta le fil et constata qu'il avait été sectionné par ce qu'il définit comme de petites mandibules.
Le nénuphar plane un instant dans les airs. Le temps est suspendu. A cette altitude, sur leur vaisseau-fleur en suspension, les myrmécéennes voient des choses qu'elles avaient peu souvent l'occasion de voir. Des oiseaux-mouches. Des mouches à bœufs rouges. Un martin-pêcheur à l'affût.
L'air siffle sur leur visage et dans les voiles roses du nénuphar.
Princesse 103e regarde ses compagnes en se disant que ce sera la dernière image qu'elle emportera dans son trépas. Toutes ont leurs antennes dressées de stupeur.
Le vaisseau-fleur est toujours en altitude. Devant elles, quelques nuages effilochés cachent les ébats de deux rossignols.
Eh bien! voilà mon dernier voyage , se dit 103e.
Mais après être resté en l'air, le bateau est à nouveau soumis à la loi de la gravité qui, comme son nom l'indique, n'a rien de drôle. Le nénuphar descend à toute vitesse. Les fourmis plantent leurs griffes dans l'ascen seur fou qui les emmène aux étages inférieurs. Le nénuphar perd encore deux pétales roses qui préfèrent vivre leur vie plutôt que rester sur ce vaisseau infesté de fourmis.
Leur chute s'accélère. 12e voit ses pattes se dégrafer sous la vitesse et se retrouve à la verticale, juste tenue par une dernière griffe. Elle a les pattes postérieures en haut et la tête en bas. Princesse 103e serre la feuille du bateau en plantant ses mandibules pour ne pas s'envoler. 7e s'envole. Elle est retenue de justesse par 14e, qui elle est retenue par 11e.
Les bords du nénuphar se replient vers le haut pour former une sorte de bol. Les astronautes qui atterrissaient dans leur capsule devaient ressentir la même chose. D'ailleurs, sous le frottement de l'air, le plancher du nénuphar commence à s'échauffer.
Princesse 103e sent ses griffes qui lâchent les unes après les autres. Elle sait qu'elle va bientôt être éjectée.
Choc. Le bateau-fleur atterrit de toute sa coque sur les eaux. Il s'enfonce un peu mais c'est si rapide qu'elles ne sont même pas submergées. Cependant, une fraction de seconde, Princesse 103e a droit à un spectacle unique: le trou creusé dans l'eau par leur chute la met presque face à face avec les habitants subaquatiques.
Elle a juste le temps de voir un goujon aux yeux tout ronds et deux tritons à crête que, par effet ressort, le bateau remonte. Une vague les arrose, mouille leurs antennes, interrompant quelques secondes toutes leurs perceptions.
Elles ont passé le torrent! Le fleuve d'argent s'est apaisé comme s'il en avait assez de les tourmenter. Elles sont toutes sauves et il n'y a plus de nouvelle cascade en vue.
Les exploratrices secouent leurs antennes, encore recouvertes de phéromones de panique et d'eau.
5e se lèche pour enlever l'eau.
Elles se livrent à des trophallaxies sucrées qui les rapprochent. Elles ont survécu au fleuve. Elles ont passé leur cap Horn. Tout rentre dans la normalité. Une libellule dévore une demoiselle. Une truite la dévore à son tour.
Le vaisseau-fleur glisse à nouveau sur le ruban argenté, emporté par le courant qui le mène vers le sud. Mais il est tard, le soleil s'est fatigué de briller. Il redescend doucement pour rejoindre son terrier. Il s'enfonce, là-bas dans le sol, tandis que tout devient gris. Un brouillard sale se répand. On n'y voit plus qu'à quelques centimètres. La vapeur d'eau empêche en outre les fourmis d'utiliser leur radar olfactif. Même les bombyx, champions du repérage, vont se cacher. Un rideau de brume envahit tout comme pour voiler la lâcheté du soleil.
Au-dessus des myrmécéennes volent des papillons demi-paons. Princesse 103e observe leurs mouvements majestueux. Elle est si contente d'être encore vivante et puis, c'est si beau les papillons.
PAPILLON : À l'issue de la Seconde Guerre mondiale, le Dr Elizabeth Kubbler Ross fut appelée à soigner des enfants juifs rescapés des camps de concentration nazis.
Quand elle pénétra dans le baraquement où ils gisaient encore, elle remarqua que, sur le bois des lits, était gravé un dessin récurrent qu'elle retrouva par la suite dans d'autres camps où avaient souffert ces enfants.
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