Il lui fallait des meubles qui la feraient passer d’un panier à l’autre [266] qui la feraient passer d’un panier à l’autre — которая помогла бы ей перейти из одного круга в другой.
, pensait-elle. Si Daniel était revenu comme avant, elle n’aurait eu besoin de rien… Mais Daniel se contentait de lui rendre une petite visite de temps en temps. Martine adhéra à un club de bridge et elle acheta une voiture. Il lui avait fallu, pour la voiture, emprunter de l’argent à l’une de ses clientes.
Au salon de coiffure la patronne lui avait déjà dit avec un certain étonnement où perçait l’inquiétude : « Vous en achetez des choses, Martine ! On vient à chaque instant me demander le montant de votre salaire [267] le montant de votre salaire — общую сумму вашей зарплаты.
et si vous êtes une employée sérieuse… Je ne comprends pas comment vous vous en sortez ! Vous êtes sérieuse, c’est vrai, mais point millionnaire, ou vous ne vous mettriez pas manucure [268] vous ne vous mettriez pas manucure — вы бы не стали маникюршей.
. »
Dans le nouveau salon de Martine, les invités, avant le jeu admiraient l’appartement, la façon dont tout était prévu pour le moindre effort. Ils s’émerveillaient de voir comment à Paris on pouvait créer avec trois sous un intérieur ravissant ! En allant se laver les mains, on remarquait avec discrétion le pyjama du mari, de ce mari toujours invisible, mythique. Les cocktails, les sandwiches, les petits fours étaient parfaits, ainsi que le souper froid. « Une maîtresse-femme » [269] une maîtresse-femme — зд. энергичная женщина.
, disaient les partenaires de Martine. Mais il est certain que si un jour, elle avait eu l’idée Saugrenue d’aller voir quelqu’un d’entre ces gens, hommes ou femmes, si elle était venue leur dire : « J’ai des ennuis… », « Je suis malade… » ou « Mon mari me trompe, je suis malheureuse… » ils n’en seraient pas revenus d’étonnement [270] ils n’en seraient pas revenus d’étonnement — они никак не могли бы прийти в себя от изумления.
. Martine était devenue pour eux, finalement, quelque chose comme le jeu de cartes lui-même.
Il y avait Ginette. Martine n’oubliait pas que Ginette ne l’avait pas abandonnée lors de cette affreuse histoire, quand Mme Denise l’avait chassée. Mais les rapports avec Ginette n’étaient pas faciles, elle était devenue une femme hystérique, tantôt elle vous embrassait, tantôt elle pleurait, tantôt elle devenait hargneuse… Des ennuis avec son fils qui s’était fait mettre à la porte du lycée. Mais ce n’était pas une raison pour passer du rire aux larmes et des larmes au rire, avec cette facilité. Il y avait certainement un homme là-dessous, et, comme toujours, cela ne devait pas marcher. Elle en devenait parfois odieuse, ne s’était-elle pas un jour permis de demander à Martine :
— Pourquoi ne divorces-tu pas ?
Martine sentit un éclair lui traverser le corps en zigzag. Elle n’avait jamais pensé au divorce, mais cette idée pouvait bien venir à Daniel, si elle était venue à une étrangère…
— Qu’est-ce qui te fait poser cette drôle de question ? dit-elle à Ginette.
— Drôle ? Elle me semble normale. Vous ne vivez pas ensemble. Vous devriez chacun refaire votre vie. Tu n’as plus vingt ans. Plus ce sera tard, plus tu auras du mal à trouver un autre homme… Comme moi.
Ils ne vivaient pas ensemble, c’était vrai… Qu’est-ce que cela changeait ? Rien, pour Martine. Un autre homme… Refaire sa vie ! C’était risible, c’était à se tuer !
— Tu ne comprends rien à rien, ma pauvre Ginette ! dit-elle, supérieure.
— Tu crois ? — Ginette se mit à rire. — Tu sais ce que j’en dis…
Ginette partie, Martine alla consulter son miroir. Dieu sait que Martine connaissait son reflet, c’était son métier que d’étudier ce qui allait le mieux à son teint d’or, à sa stature…
Martine se regardait dans la glace : la voilà de la tête aux pieds. Tout était bien en place, la netteté irréprochable du front, l’ovale de joues, la soie des paupières… S’il y avait eu le moindre soupçon de rides, vous pensez que Martine l’aurait remarqué aussitôt, elle qui se regardait comme à travers une loupe tous les jours. Il n’y en avait pas. Ce n’était pas ça. Et ce n’est pas à cause d’une ride que Martine ressentit soudain comme une décharge électrique : elle n’avait plus vingt ans ! et cela se voyait ! elle n’avait plus vingt ans ! Martine se regardait… Quelque chose lui avait échappé, quelque chose s’était infiltrée sans qu’elle s’en aperçût… Elle se rejeta en arrière, se détourna de la glace, y revint d’un seul coup, pour se surprendre là-dedans… Elle ne se reconnut pas ! Qui était cette femme au teint bilieux, à l’expression intense et dure ? Elle avait toujours si bien regardé les détails qu’elle avait négligé l’ensemble. Elle n’avait pas gagné de rides, mais elle avait perdu quelque chose… l’aimable, le féminin…
Martine se mit au lit à huit heures du soir, sans faire sa toilette, laissant ses vêtements sur le tapis… Elle était malade sûrement. Des nausées. Il lui fallut courir à la salle de bains…
Elle alla se recoucher. Le divorce. Si cette idée était venue à Ginette, d’autres devaient penser comme elle. Daniel voulait peut-être divorcer ? La quitter pour tout à fait ! Un violent coup de rasoir au foie [271] un violent coup de rasoir au foie — острая режущая боль в печени.
vint la distraire de sa peine : une crise hépatique [272] une crise hépatique — острый гепатит.
, voilà ce qu’elle avait ! Et pas de téléphone, personne pour aller chercher un docteur.
La douleur se calmait. Elle n’avait plus vingt ans parce qu’elle était malade. « Tu n’as plus vingt ans ! » Comme elle avait dit ça, Ginette. Il n’y avait plus que le sens, il y avait quelque chose d’autre encore… l’intonation… Celle de Daniel ! C’était ça ! Exactement. Ginette et Daniel ! Martine ressentit une émotion si aiguë que tout son corps y participa.
Comme dans un livre de compte, Martine suivait les colonnes des heures et des jours : les arrivées et les départs de Daniel, les visites de Ginette… les paroles, les rendez-vous… Elle avait été confiante, elle avait eu de l’affection pour cette putain de Ginette. Comment vivre maintenant avec cette idée ? Alors, quoi… se tuer ? Laisser la place à Ginette ?
Martine se leva… Le foie se tenait tranquille, mais elle avait le vertige, des points noirs devant les yeux…
Daniel roulait vers la maison de Martine et pensait à elle… Y a-t-il des passions anachroniques ?… Lorsque jadis, Daniel avait amené Martine pour la première fois dans une chambre d’hôtel, il avait senti s’ouvrir devant lui l’abîme d’une passion profonde comme une forêt la nuit. Martine se tenait à l’orée de cette sombre forêt, y attirant le voyageur. Daniel l’y avait suivie : c’était un homme. Au XX esiècle, on ne croit pas aux fantômes. Daniel était un scientifique, mais un scientifique romanesque. Avec Martine il croyait s’aventurer dans un pays mystérieux. Ce n’était pas là une passion préfabriquée, en matière plastique, elle avait quelque chose d’éternel, d’unique. Daniel n’était pas un homme moyen, c’était un paysan et un chevalier, il aimait le durable et l’héroïque. Il se maria avec Martine et aussitôt ce fut comme un cri de coq à l’aube, comme un signe de croix devant les diableries : tout se dissipa et prit des formes connues et quotidiennes. Martine, sa femme, n’était qu’une affreuse petite bourgeoise, sèche, égoïste. Avec des désirs en matière plastique et des rêves en nylon. Ginette avait raison, Martine était sèche et n’avait de passion que pour son propre confort. Ginette disait encore que si Martine perdait sa beauté c’était que son manque de cœur, commençait à percer… sûr qu’elle n’avait pas de cœur, autrement elle aurait senti que Daniel la trompait.
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