— Je te disais dans le temps, fillette, que tu avais de la chance dans la vie, que tu avais déjà gagné deux manches. Tu es en train de rater la troisième : ton mariage, ton avenir…
— Comment ça ? dit Martine. La gêne que lui causait cette visite inhabituelle, et le départ de Daniel, le terrible bouleversement l’amollissait, elle était dans un étrange état de faiblesse.
— Je vais te raconter une histoire. Il y avait une fois un pêcheur qui vivait avec sa femme au bord de la mer. Ils étaient très pauvres et misérables, un peu comme les tiens dans la cabane au village. Un jour le pêcheur a pris dans le filet un petit poisson d’or qui lui dit d’une voix humaine : Pêcheur, donne-moi la liberté et je te la revaudrai [207] je te la revaudrai — я тебе отплачу.
!..
— Comment me la revaudras-tu ?
— Je te donnerai par trois fois tout ce que tu souhaiteras.
Le pêcheur sortit le poisson d’or du filet, et le vit disparaître dans les flots…
Martine écoutait M. Georges. Il lui faudrait écouter jusqu’au bout et tirer la morale de l’histoire. M. Georges était le meilleur des hommes, mais il avait ses façons à lui [208] il avait ses façons à lui — у него были свои странности.
… Ce soir elle avait du mal à les supporter. M. Georges racontait son histoire de poisson d’or et elle était très, très loin…
— Le pêcheur rentra à la maison et raconta l’histoire à sa femme qui était en train de bouillir son linge dans une vieille lessiveuse rouillée. « Conteurs d’histoires ! cria-t-elle. Imbécile ! Tu as cru à des bobards et maintenant on n’a même pas de quoi manger ce soir ! — Essayons voir, répondit le pêcheur. Souhaite quelque chose à haute et intelligible voix. » La femme du pêcheur haussa les épaules, mais cria pour se moquer de son mari : « Je veux que ma vieille lessiveuse devienne neuve, et les loques que j’y fais bouillir, du beau linge !.. » A peine avait-elle prononcé ces paroles qu’il se fit un grand bruit, et une machine à laver, pleine d’un linge magnifique, apparut à la place de la vieille lessiveuse rouillée. La femme du pêcheur en fut heureuse pendant vingt-quatre heures. Puis elle se mit à gronder son mari : « Pourquoi m’as-tu laissé souhaiter si peu de choses ? Eh bien, dit le pêcheur, fais un deuxième souhait, puisque tu y as droit. Mais j’imagine que ces souhaits sont comme un pari à discrétion : lorsqu’on a gagné, il faut savoir être discret ! » — Oh toi ! dit la femme du pêcheur… Cette fois j’ai bien réfléchi, et je souhaite avoir une belle maison, à la place de cette vieille cabane, toute meublée, avec tout le confort, et des voitures, et des bijoux ! Et cette fois, comme la précédente, il se fit un grand bruit, les planches de la cabane craquaient et finalement disparurent. Le pêcheur et sa femme, magnifiquement habillés, se trouvaient dans un palais, orné dé dorures, de tapis, avec tout le confort moderne, vide-ordures et ascenseurs dans tous les coins, et devant la porte la plus’ grosse des voitures américaines. A chaque pas, des domestiques bien stylés les saluaient et leur servaient ce qu’ils voulaient à boire et à manger. Le pêcheur et sa femme passèrent une très bonne nuit dans un lit de duvet. La deuxième nuit, la femme s’endormit tard, et la troisième elle s’agita si fort que le pêcheur finit par lui demander ; « Femme, qu’est-ce que tu as ? — Vieil imbécile, répondit-elle, pourquoi m’as-tu laissé souhaiter si peu de choses ? »
« Nous en sommes à la troisième fois, pensait Martine, ça touche à la fin… Sainte Vierge, je n’en peux plus, je n’en peux plus… »
— Tu trouves cela peu de choses ? répondit le pêcheur. Qu’est-ce qui te manque donc ? Songe qu’après cela sera fini. Tu n’auras plus de poire pour la soif [209] tu n’auras plus de poire pour la soif — у тебя ничего не останется на черный день.
, quoi qu’il t’arrive, une maladie, un malheur… Et puis tu risques de passer pour indiscrète.
— J’ai réfléchi à tout cela, dit la femme du pêcheur, c’est pourquoi je souhaite que le poisson d’or vienne nous servir en personne… A peine avait-elle prononcé ces mots qu’un énorme bruit, avec éclairs et tonnerre, se fit autour d’eux, dans un ciel devenu noir ! Le monde se trouva plongé dans un état de catastrophe, les murs du palais s’écroulèrent, on avait cru que le ciel allait tomber sur la tête des hommes… La bombe atomique n’aurait pas fait mieux… Quand le pêcheur et sa femme ont pu se relever, une fois les éléments calmés [210] une fois les éléments calmés — когда стихия успокоилась.
, le silence revenu, ils se sont retrouvés dans leur cabane en planches et la lessiveuse rouillée remplie de vieilles loques…
M. Georges se leva :
— Là-dessus, fillette, je te dis bonsoir… Un enquêteur est venu nous voir. Il paraît que tu as acheté une cuisinière électrique et que les traites reviennent non payées. C’est Mme Denise qui a eu l’idée de donner notre adresse… Daniel n’est pas à Paris, par hasard ?
— Non, il n’est pas là.
— Alors je te dis bonsoir, répéta M. Georges, prenant ses gants et son chapeau dans la petite entrée. Martine ferma la porte derrière lui.
Des jours, des nuits… Des Heures, des minutes, des secondes. Le printemps. Daniel n’avait écrit qu’une seule fois. Une lettre d’une méchanceté… Il la prévenait ‘ bien à l’avance qu’il comptait passer ses vacances à la ferme. Son père avait besoin de lui. Martine pouvait se payer des vacances à crédit [211] Martine pouvait se payer des vacances à crédit — Мартина могла взять отпуск в кредит.
. Cela se faisait maintenant…
A la porte d’Orléans, tout le monde était occupé par les fiançailles de Cécile avec Pierre Genesc.
Cette fois-ci, ça y était, ils allaient sûrement se marier. Comme Cécile avait eu raison de rester sage et d’envoyer promener son Jacques et les fiancés précédents ! Pierre Genesc était fait pour elle, sur mesure. Ils se ressemblaient même un peu, dès maintenant, quand d’habitude cela n’arrive qu’au bout de longues années, à des couples très unis. Pierre Genesc n’était pas grand — plus grand que Cécile tout de même ! Il avait le teint frais, les yeux bleus, très doux, des cheveux châtain-clair, qu’il portait assez longs, et, sans être gras, il remplissait bien ses vêtements. Il avait trente-huit ans, une situation confortable dans une société de matières plastiques : il venait d’être promu directeur de la succursale parisienne et détenait également des actions [212] il venait d’être promu directeur de la succursale parisienne et détenait également des actions — его только что назначили директором филиала, и он имел собственные акции.
. Cécile était heureuse. Elle portait sa bague de fiançailles avec un plaisir qui ne faiblissait pas.
Pierre envoyait à sa fiancée des fleurs, des chocolats, venait la prendre presque tous les soirs pour aller au théâtre ou pour dîner dans un bon restaurant. Il avait gardé les agréables habitudes du célibataire qui courtise une femme pour coucher avec elle. D’ailleurs il serait certainement resté célibataire s’il n’avait pas rencontré Cécile, il avait déjà pris quelques manies. Avec elle tout devait changer ! Le vieil appartement de ses parents, rue de Richelieu, morts tous les deux depuis bien des années, allait retrouver une nouvelle jeunesse. Pierre Genesc était heureux de ne pas l’avoir refait plus tôt, sa jeune femme l’arrangerait à son goût. Il avait déjà toutes les attentions d’un mari pour une femme beaucoup plus jeune que lui, et, c’est vrai que Cécile avec sa fragilité, semblait à côté de Pierre une enfant, quand il n’y avait entre eux que quatorze ans de différence.
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