Richard Birkefeld - Deux dans Berlin

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Hiver 1944. Dans un hôpital militaire, Hans-Wilhelm Kälterer, un ancien des services de renseignements de la SS, se remet d'une blessure par balle. Il sait que la guerre est perdue et qu'il doit se racheter une conscience. Il rejoint la police criminelle de Berlin où il est chargé d'enquêter sur le meurtre d'un haut dignitaire nazi. Dans le même temps, Ruprecht Haas s'évade de Buchenwald à la faveur d’un raid aérien, et regagne la capitale pour retrouver les siens, bien décidé à se venger de ceux qui l'ont dénoncé. Tandis que Berlin agonise au rythme des bombardements alliés et de l'avancée inéluctable des troupes soviétiques, une chasse à l'homme sans merci s'engage. Car, de ces deux hommes au milieu du chaos, un seul doit survivre.
Magnifiquement documenté, passionnant, original : du grand polar ! François Forestier, Le Nouvel Observateur.

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Naturellement, l’homme le plus important dans tout ça, c’est vous, Hauptsturmbannführer, vous et votre exceptionnel talent d’organisateur.

Le Gruppenführer dit toujours ça avec une pointe d’ironie.

Enfin, l’organisation militaire habituelle, quoi !

Quelques soldats fouillent les gens, le doigt sur la détente de leur PM. De jeunes enfants pleurent. Un deuxième classe photographie le Gruppenführer. Des rires fusent d’une baraque.

D’autres, en revanche, voient impitoyablement ce qu'il convient de faire. Dans notre combat contre ce complot mondial judéo-bolchevique, ils savent se servir sans la moindre pitié du glaive tranchant de notre nouvelle foi, si je puis m’exprimer ainsi, de manière imagée.

Le Gruppenführer ricane, la chaleur étouffante de midi ne semble pas le déranger. Lui, au contraire, est en nage. Il s’évente avec sa casquette à visière.

Bah, ajoute le Gruppenführer, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Il faut que nous en finissions avec ces bêtes féroces. Mieux vaut ne pas se demander ce qu'ils feraient de nous s'ils étaient à notre place…

Le Gruppenführer jette un œil aux habitants du village, tassés contre le mur de l’église, mains derrière la tête.

La division du travail, c'est bien, mais il faut qu'on puisse faire confiance à chacun, individuellement.

Il se passe la main sur la nuque.

Un cochon traverse la place en courant, grouine, fait des zigzags. Deux soldats lui courent après.

Il ne comprend pas assez vite. Le soldat photographie le portail de l’église. Une femme hurle de manière hystérique. Il remarque l’ombre trop tard, trop interloqué pour réagir. Elle s’accroche à lui, le frappe au visage, l’agrippe férocement, hurle quelque chose, lui crache dessus. Il sent ses ongles qui s’enfoncent dans sa gorge, comprend que la chair est arrachée. Elle veut le tuer, cette maudite gamine. Il essaie de se dégager. Une sentinelle s’approche d’un bond et de la crosse de son fusil frappe la jeune fille dans les reins. L'étreinte se desserre. Il la repousse. Les hommes la jettent brutalement à terre. Il se passe la main sur la gorge, près de la pomme d’Adam, là où ça fait mal. Incrédule, il contemple sa main ensanglantée. Putain de salope !

Un jeune soldat la maintient. Elle lance des coups de pied sauvages autour d’elle, l’atteint derrière le genou.

Robe d’été rouge, nattes blondes, pieds nus, jambes sales, des taches de rousseur, treize, quatorze ans tout au plus, une enfant.

Il se tient le cou ensanglanté.

Tous pareils, toute la bande, complètement surexcités.

Le Gruppenführer fait signe au jeune soldat.

Finissez-en.

Mais ce n'est encore qu'une enfant.

Le casque lourd du soldat est rejeté en arrière, loin sur la nuque, une mèche de cheveux hirsute lui tombe sur le front, il tient son PM à la main. Une enfant.

Le Gruppenführer cherche à le convaincre.

Il faut que nous soyons forts. Il faut que nous soyons forts face à la haine. La haine, ce sont les enfants. Il faut que nous fassions notre devoir.

Je ne peux pas.

Il faut que je puisse faire confiance à mes hommes, mon vieux. Et tous ceux qui n'obéissent pas n'iront pas bien loin chez nous. Votre comportement sera noté dans votre dossier et vous suivra votre vie durant. Allez, allez-y donc !

Le coup de feu !

Le sang fait vite une tache sur la robe d’été. L'enfant est étendue sur le sol comme un pantin désarticulé.

Oh ! mon Dieu, non !

La sueur lui coule dans le cou, brûle ses plaies.

La voix du Gruppenführer retentit sur la place de l’église.

Finissez-en avec cette racaille !

Les salves crépitent contre le mur.

Sitôt réveillé, il se redressa d’un seul effort.

— C’ qu’y a ? demanda Inge en bâillant dans un demi-sommeil.

— Rien. Dors.

Elle se retourna, prit l’oreiller dans ses bras, y enfouit la tête dans un sourire et se rendormit.

— Rien d’important, marmonna Kälterer. Un mur, ça se recrépit pour boucher les impacts de balles et on n’y voit plus rien.

Il trouva les cigarettes dans la cuisine. Il en alluma une, écarta un peu le rideau de camouflage et regarda dans la rue noire. Le cadavre de la jeune fille le hantait jusque dans ses rêves. Impossible de s’en débarrasser.

Cette histoire avait marqué un tournant pour lui. Peu de temps après, il avait fait une demande de mutation. Elle avait même été acceptée. Mais, au fond, cela n’avait rien changé. Bandits, partisans, Résistance — et partout des vieillards, des femmes, des enfants. Et des filles avec des nattes.

« Mais vous êtes tout pâle, avait dit le Gruppenführer sur le chemin du retour, puis il avait ricané. Eh oui, sur le terrain… ça change tout. »

Voyons, Merit. Il ne s’occupait que des transmissions, assis derrière un bureau.

Si Merit savait vraiment tout, il ne pourrait plus jamais la regarder en face. Mais il fallait qu’il lui parle encore une fois — essayer de recommencer une nouvelle vie. Et peut-être qu’alors il serait débarrassé de ces rêves.

Elle avait toujours admiré son travail de flic, elle avait vraiment été fière de lui. Arrêter un vrai meurtrier, quelqu’un qui tue pour des mobiles crapuleux, que la société méprise : voilà ce qu’il devait faire pour lui en imposer à nouveau.

Et Haas était l’assassin. Il avait vu ce type de face un instant alors qu’il s’enfuyait sur sa bicyclette après avoir jailli de cette stupide remise pendant qu’il s’attardait à perquisitionner la cabane. Il l’avait suivi jusqu’à ce que cette douleur à la cuisse devienne insupportable. La silhouette sombre faisait une belle cible, mais il n’avait pas tiré. Il l’aurait vivant, il avait le temps. Il fallait à présent qu’il tire les choses au clair avec Merit.

Il tressaillit. Des mains douces lui caressaient le ventre et Inge appuya sa tête contre son dos. Il se libéra aussitôt. Elle le regarda, étonnée, les yeux pleins de sommeil.

— Ça fait vraiment partie de ton travail de faire des rapports sur moi à tes supérieurs, ou est-ce que je suis une exception ?

Sa voix sonna plus dure qu’il ne l’avait voulu.

— Je…

— Ne me prends pas pour un imbécile.

Il se retourna et se rapprocha de la fenêtre.

— Il faut que je le fasse.

— Il le faut ?

Il cria presque, fit un pas vers elle.

— Ça fait partie de mes attributions, dit-elle à voix basse en haussant les épaules. C’est mon devoir. Il faut bien que j’exécute les ordres de là-haut.

Des larmes coulaient sur ses joues.

— Et je ne pouvais pas deviner que je… (elle hésita) que je t’aimerais tant.

Elle avait raison, que pouvait-elle faire d’autre. Il essaya de lui sourire et lui caressa calmement la main.

— Excuse-moi… mais il faut que je sache. Qui t’a donné l’ordre ?

— Bideaux. Mais je ne sais absolument pas sur quel bureau mes rapports finissent par atterrir, celui de Langenstras ou plus haut encore. Tout cela n’a rien d’extraordinaire, c’est la routine. Là-haut, ils veulent simplement savoir tout ce qui se passe.

Il lui toucha légèrement l’épaule. Elle s’approcha et laissa aller sa tête contre sa poitrine.

— Je suis désolée.

Il la prit résolument par la taille et la serra contre lui. Ils s’embrassèrent tendrement et retournèrent dans la chambre à coucher en chancelant si maladroitement qu’ils finirent par en rire.

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