Emily Brontë - Les Hauts De Hurle-Vent

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Les Hauts de Hurle-vent sont des terres situées au sommet d'une colline et balayées par les vents du nord. La famille Earnshaw y vivait, heureuse, jusqu'à ce qu'en 1771, M. Earnshaw adopte un jeune bohémien de 6 ans, Heathcliff. Ce dernier va attirer le malheur sur cette famille. Dès le début, Hindley, le fils de Earnshaw éprouve une profonde haine pour cet intrus. À la mort de son vieux bienfaiteur, Heathcliff doit subir la rancoeur de Hindley, devenu maître du domaine. Humilié par sa condition subalterne, Heathcliff, qui pourtant aime passionnément Catherine, la soeur de Hindley, jure de se venger. Sa fureur est décuplée lorsque Catherine, au tempérament aussi passionné que le sien, épouse le riche Edgar Linton…

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– Porte ces billets au maître, mon gars, dit-il, et reste là-bas. J’montions dans ma chambre. C’t endroit-ci n’est point décent ni convenable pour nous; y faudra déménager et en chercher un autre.

– Allons Catherine, déclarai-je, il faut «déménager», nous aussi. J’ai fini mon repassage; êtes-vous disposée à monter?

– Il n’est pas huit heures! répondit-elle en se levant à contre-cœur. Hareton, je laisse le livre sur la cheminée, et j’en apporterai d’autres demain.

– Les livres qu’vous laisserez, j’les porterons dans la salle, dit Joseph, et vous serez ben chanceuse si vous les retrouvez; ainsi, faites c’qu’y vous plaira.

Cathy menaça de faire payer la bibliothèque de Joseph pour la sienne. Puis, passant devant Hareton avec un sourire, elle monta l’escalier en chantant: le cœur plus léger, j’ose le dire, qu’elle ne l’avait encore jamais eu sous ce toit, sauf peut-être durant ses premières visites à Linton.

L’intimité ainsi commencée se développa rapidement, malgré les interruptions momentanées qu’elle subit. Un simple désir ne pouvait suffire à civiliser Earnshaw, et ma jeune dame n’était ni un philosophe, ni un parangon de patience. Mais comme leurs esprits étaient tournés vers le même objet – l’une aimant et désirant de pouvoir estimer, l’autre aimant et désirant de pouvoir être estimé – ils arrivèrent finalement à l’atteindre.

Vous voyez, Mr Lockwood, qu’il était assez aisé de gagner le cœur de Mrs Heathcliff. Mais maintenant je me réjouis que vous ne l’ayez point essayé. L’union de ces deux êtres sera le couronnement de mes vœux. Je n’envierai personne, le jour de leur mariage: il n’y aura pas en Angleterre une femme plus heureuse que moi!

CHAPITRE XXXIII

Le lendemain de ce lundi, comme Earnshaw n’était toujours pas en état de vaquer à ses travaux habituels, et restait par conséquent aux abords de la maison, je me rendis bientôt compte qu’il me serait impossible de retenir ma pupille sous ma coupe ainsi que je l’avais fait jusqu’alors. Elle descendit avant moi et sortit dans le jardin, où elle avait aperçu son cousin occupé à quelque menue besogne. Quand j’allai les inviter à venir déjeuner, je constatai qu’elle l’avait persuadé de débarrasser des groseilliers un grand espace de terrain, et qu’ils étaient tous deux très absorbés par des projets d’importation de plantes de la Grange.

Je fus épouvantée de la dévastation qui avait été accomplie en une petite demi-heure. Les groseilliers noirs étaient pour Joseph comme la prunelle de ses yeux, et elle avait précisément fixé son choix sur leur emplacement pour une plate-bande de fleurs.

– Eh bien! tout cela va être montré au maître, m’écriai-je, à la minute même où ce sera découvert. Et quelle excuse aurez-vous à donner pour avoir pris de telles libertés avec le jardin? Cela nous vaudra une belle scène, vous verrez! Mr Hareton, je suis surprise que vous n’ayez pas été mieux avisé que d’avoir entrepris tout ce bel ouvrage sur sa simple demande.

– J’avais oublié que les cassis étaient à Joseph, répondit Earnshaw assez penaud; mais je lui dirai que c’est moi qui ai tout fait.

Nous prenions toujours nos repas avec Mr Heathcliff. Je remplissais les fonctions de maîtresse de maison pour préparer le thé et pour découper. J’étais donc indispensable à table. Catherine était en général à côté de moi; mais, ce jour-là, elle m’avait fui pour se rapprocher de Hareton. Je vis bientôt qu’elle ne mettrait pas plus de discrétion dans son amitié qu’elle n’en avait mis dans son hostilité.

– Allons, faites attention à ne pas trop parler à votre cousin et à ne pas trop vous occuper de lui: telles furent les instructions que je lui soufflai à l’oreille quand nous entrâmes dans la pièce. Cela contrarierait certainement Mr Heathcliff, et il serait furieux contre vous deux.

– Je n’en ai pas l’intention, répondit-elle.

Une minute après, elle était à côté de lui et piquait des primevères dans son assiette de porridge.

Il n’osait pas lui adresser la parole en cet endroit; à peine osait-il lever les yeux. Cependant, elle continuait de le taquiner, et deux fois il fut sur le point de ne pouvoir retenir son rire. Je fronçai les sourcils, et elle jeta un regard sur le maître; mais l’esprit de celui-ci était absorbé par d’autres sujets que la tenue de ses convives, comme on en pouvait juger à son attitude. Catherine devint un instant sérieuse et le considéra avec une profonde gravité. Ensuite elle se tourna et recommença ses folies. Hareton finit par laisser échapper un rire étouffé. Mr Heathcliff tressaillit: ses yeux nous dévisagèrent rapidement. Catherine soutint son examen avec l’air habituel de nervosité et pourtant de défi qu’il détestait.

– Il est heureux que vous soyez hors de mon atteinte, s’écria-t-il. Quel démon vous possède pour que vous me répondiez toujours par ce regard infernal? Baissez les yeux! et ne recommencez pas à me faire souvenir de votre existence. Je croyais vous avoir guérie du rire.

– C’était moi, murmura Hareton.

– Que dis-tu? demanda le maître.

Hareton mit le nez dans son assiette et ne répéta pas son aveu. Mr Heathcliff le regarda un instant, puis reprit silencieusement son déjeuner et sa rêverie interrompue. Nous avions presque fini, et les deux jeunes gens s’éloignèrent prudemment l’un de l’autre, de sorte que je ne prévoyais pas de nouveau trouble pour cette fois-là, quand Joseph parut à la porte. Sa lèvre tremblante et ses yeux furibonds révélaient qu’il avait découvert l’outrage commis sur ses précieux arbustes. Il devait avoir aperçu Cathy et son cousin sur le lieu du délit avant d’aller constater les dégâts, car, pendant que ses mâchoires s’agitaient comme celle d’un bœuf qui rumine, ce qui rendait son langage difficile à comprendre, il commença:

– J’voulions avoir mes gages et m’en aller! J’aurions voulu mourir là où qu’j’avions servi durant sessante ans; j’comptions transporter mes livres et toutes mes p’tites bricoles dans mon galetas, et j’leux y aurions laissé la cuisine pour eux tout seuls, pour qu’y m’baillent la paix. C’était dur ed’quitter mon coin du feu, mais j’croyons qu’j’aurions pu faire çà! Mais v’là-t-y pas que m’prend mon jardin, et ça, su’ma conscience, maître, j’pouvions point l’tolérer! Vous pouvez vous plier au joug si ça vous chante… moi, j’y sommes point habitué, et un vieillard n’s’habitue point à d’nouveaux fardeaux. J’aimerions mieux gagner mon pain à casser des cailloux su’la route!

– Allons, allons, idiot! interrompit Heathcliff, finissons-en! De quoi vous plaignez-vous? Je ne veux pas me mêler des disputes entre vous et Nelly. Elle peut vous jeter dans le trou à charbon, pour ce que je m’en soucie.

– C’est point Nelly! Je n’m’en irions point à cause de Nelly… si môvaise prop’à rien qu’é soye. Dieu merci! é n’serait capable d’voler l’âme de personne. E’n’a jamais été si belle, que personne prenne garde à ses œillades. C’est c’te peste d’fille dépravée qu’a ensorcelé not’gars, avec ses yeux affrontés et ses manières éhontées… au point que… Non! ça m’fend l’cœur! Il a oublié tout c’que j’avions fait pour lui, et fait d’lui, et vl’à-t-y pas qu’il est allé arracher toute eune rangée des plus biaux cassis du jardin!

Là-dessus il s’abandonna à ses lamentations, accablé par le sentiment des cruelles offenses qu’on lui avait faites, de l’ingratitude d’Earnshaw et du danger que ce dernier courait.

– Le drôle est-il ivre? demanda Mr Heathcliff. Hareton, est-ce à toi qu’il en a?

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