Guy de Maupassant - Pièces de théâtre
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Et lève-toi !
LES MÊMES. JACQUES DE VALDEROSE entre brusquement, puis s’arrête tout à coup en apercevant la comtesse et Suzanne d’Églou.
JACQUES DE VALDEROSE, se retirant.
Pardon.
LA COMTESSE, lui faisant signe d’approcher.
Mais entrez. J’imagine
Que vous n’avez point peur de ma belle cousine.
Moi, quand j’ai le cœur plein de pensers affligeants,
J’aime ouïr prés de moi causer des jeunes gens.
Causez tous deux, et si mon air morne vous gêne,
Ne me regardez point, j’écoute et me promène.
SUZANNE D’ÉGLOU, suppliante.
Oh ! reste !
LA COMTESSE, s’éloignant.
Envoyez-moi vos rêves étourdis.
La douleur est muette à mon âge, tandis
Qu’au vôtre on a toujours quelque folie à dire.
Jetez sur ma pensée un peu de votre rire ;
Et faites que je sente en mon cœur attristé
Descendre à votre choix un rayon de gaieté.
Elle va dans l’embrasure d’une fenêtre et regarde tantôt les jeunes gens, tantôt en dehors.
JACQUES DE VALDEROSE, à Suzanne d’Églou.
Le ciel me soit en aide. Et que Dieu vous bénisse,
Mademoiselle. II m’est en ce jour bien propice,
Et je lui veux ce soir rendre grâce à genoux
De ce qu’il m’est permis de rester près de vous,
C’est le plus grand ,bonheur où je puisse prétendre.
SUZANNE D’ÉGLOU
Monsieur, je ne suis point d’humeur à vous entendre ;
Gardez tous vos propos aimables ou joyeux.
J’ai l’amertume au cœur et des larmes aux yeux.
JACQUES DE VALDEROSE
Hélas ! vous n’êtes point plus triste que moi-même.
Mais, prés des déplaisirs, le ciel bienfaisant sème
Les consolations, et le chagrin que j’ai
Rien qu’en vous approchant me parait soulagé.
SUZANNE D’ÉGLOU
Le mien n’est point de ceux qu’un compliment allège.
JACQUES DE VALDEROSE
Le malheur prés de vous fond comme de la neige,
Car l’œil clair d’une femme est le soleil des cœurs.
SUZANNE D’ÉGLOU
En cet instant, monsieur, votre place est ailleurs.
JACQUES DE VALDEROSE
Je ne sais qu’une place, et c’est la seule bonne :
Celle qu’à ses côtés une femme nous donne.
SUZANNE D’ÉGLOU
J’en sais d’autres encore, et ce n’est point ici.
L’amitié d’une femme est un moindre souci
Pour un cœur noble et fort que l’amour de la France.
JACQUES DE VALDEROSE
Quand l’amour du pays est une âpre souffrance,
Que le fer le ravage et que la flamme y luit,
Et que l’on n’y peut rien que de pleurer sur lui,
L’amitié d’une femme un instant nous console.
SUZANNE D’ÉGLOU
L’homme qui s’y repose a l’âme vile et molle
Et trouve son plaisir plus cher que son devoir.
Acte deuxieme
LA COMTESSE, JACQUES DE VALDEROSE
Le théâtre représente une salle du château de Rhune qui sert d’oratoire à la Comtesse. Sorte de chapelle à gauche. Portes des deux cités de la scène ; fenêtres au fond.
Valderose est aux genoux de la Comtesse assise dans un fauteuil et tient une main dans les siennes en la regardant avec amour.
JACQUES DE VALDEROSE
Oh ! je voudrais rester ainsi ma vie entière.
Vous m’aimez ! c’est donc vrai ! vous, ma maîtresse altière,
Puissante et noble, à l’œil sévère et redouté ;
Vous dont je contemplais la sereine beauté
Ainsi que l’on regarde une étoile lointaine ;
Vous dont je redoutais la parole hautaine.
LA COMTESSE
Savez-vous maintenant ce que c’est que l’amour ?
JACQUES DE VALDEROSE
On ne le sait jamais, on l’apprend chaque jour.
LA COMTESSE
Comment l’apprenez-vous ?
JACQUES DE VALDEROSE
En vous voyant sans cesse.
LA COMTESSE
Et cela vous suffit ?
JACQUES DE VALDEROSE
C’est trop pour ma bassesse.
LA COMTESSE
L’amour ne connaît point bassesse ni grandeur.
S’aimer, c’est être égal.
JACQUES DE VALDEROSE
Je vous aime.
LA COMTESSE
Candeur
D’enfant ; un mot n’est rien ; mais l’amour est immense,
Qu’est-ce que c’est ?
JACQUES DE VALDEROSE
Le ciel espéré qui commence.
Un bonheur si parfait qu’on ne le comprend point.
LA COMTESSE
Non, ce n’est pas cela, qu’est-ce donc ?
JACQUES DE VALDEROSE
Un besoin
De tenir dans ma main votre main qui la touche,
De respirer l’air pur qui vient de votre bouche,
D’écouter votre robe en vous voyant passer,
De sentir tout à coup votre œil me caresser,
M’emplissant de chaleurs et de clartés d’aurore,
Superbe et doux, tout noir de choses que j’ignore,
Que je voudrais comprendre et que je crains un peu.
LA COMTESSE
Non. Ce n’est point cela. Qu’est-ce que c’est ?
JACQUES DE VALDEROSE
Un feu
Qui change la poitrine en un brasier de forge,
Un volcan de baisers qui montent à la gorge
Prêts à jaillir.
LA COMTESSE
Non.
JACQUES DE VALDEROSE
C’est l’âme du bonheur.
LA COMTESSE
Non.
JACQUES DE VALDEROSE
C’est l’infini qui s’ouvre ainsi qu’un horizon.
LA COMTESSE
Non. C’est le dévouement sublime et la souffrance ;
Le moment de la vie où finit l’espérance.
On aime, c’est assez. Aimer, c’est l’abandon
Complet de soi, l’entier sacrifice, le don
De son corps, de son sang, de son cœur, de son être,
De tout rêve, de tout désir qui nous pénètre,
Et de l’honneur humain pour un autre plus grand :
Un besoin de donner plus encor qu’on ne prend,
De vivre l’un pour l’autre et de mourir de même ;
Comprenez-vous cela ? Mourir pour qui l’on aime !
JACQUES DE VALDEROSE
Je ne vois, je ne sens, je ne comprends enfin
Que ceci : « Je vous aime. » Ô maîtresse, j’ai faim
De votre voix, j’ai soif de vos regards ; j’adore
Votre être tout entier. Je vous aime. J’ignore,
Je méprise, je hais tout ce qui n’est pas vous.
Oui, je voudrais mourir d’amour à vos genoux.
LA COMTESSE, impatientée.
Oh ! que tu comprends mal l’amour, enfant timide !
Tu parles de tendresse avec ton œil humide
Et des roucoulements d’oisel. Qu’est tout cela
Près de l’emportement terrible que j’ai là ?
As-tu pendant des nuits senti ta chair se tordre
Et ton corps sangloter, et la rage te mordre
A la gorge, et sonner dans ton sein, comme un glas,
Le dégoût d’un passé qui ne s’efface pas.
Dans ton cœur déchiré que le désir affame
As-tu jamais songé que, moi, je fus la femme
D’un autre, qu’il m’aima d’amour, qu’il me fut cher,
Et qu’on n’arrache pas ses baisers de ma chair,
Que l’âme comme un corps se flétrit aux caresses,
Et qu’elle est moins entière aux secondes tendresses.
Es-tu jaloux ?
JACQUES DE VALDEROSE
Jaloux de qui ?
LA COMTESSE
De mon passé.
JACQUES DE VALDEROSE
Non, puisque vous m’aimez.
LA COMTESSE
Songe qu’il a laissé
Sa trace dans mon cœur ainsi que sur ma lèvre.
JACQUES DE VALDEROSE
Taisez-vous ; chaque mot me brûle d’une fièvre
Atroce, je ne veux rien savoir.
LA COMTESSE
Me crois-tu,
Enfant faible et craintif, de si courte vertu
Que je cède au premier empressement d’un homme,
Ainsi qu’au son du cor une ville qu’on somme ?
Pour entrer dans la place, il faut être vainqueur,
Il faut avoir souffert pour entrer dans mon cœur.
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