Il dut, en bas, dans le cabaret, subir les sourires complaisants des terrassiers; il paya, et sans attendre sa monnaie, s'empressa de fuir. Ils gagnèrent la rue de Vaugirard et il héla une voiture. Ils roulèrent, sans même se regarder, perdus dans leurs réflexions.
– a bientôt, fit Mme Chantelouve, d'un ton presque timide, lorsqu'elle fut déposée à sa porte.
– non, répondit-il; il n'y a vraiment pas moyen de nous entendre; vous voulez tout et je ne veux rien; mieux vaut rompre; nos relations s'étireraient, se termineraient dans les amertumes et les redites. Oh!
Et puis, après ce qui vient de se passer ce soir, non, voyez-vous, non! -et il donna son adresse au cocher et s'enfouit dans le fond du fiacre.
I l ne s'embête pas, le chanoine, dit des Hermies, lorsque Durtal lui eut conté les détails de la messe noire. C'est un véritable sérail d'hystéro-épileptiques et d'éthéromanes qu'il s'est formé; mais tout cela manque d'ampleur. Certes, au point de vue des contumélies et des blasphèmes, des besognes sacrilèges et des galimafrées sensorielles, ce prêtre semble exorbitant, presque unique; mais le côté sanglant et incestueux des vieux sabbats fait défaut. Docre est, au demeurant, fort au-dessous de Gilles De Rais; ses oeuvres sont incomplètes, fades, molles, si l'on peut dire.
– tu es bon, toi; ce n'est pas facile de se procurer des enfants que l'on puisse impunément égorger, sans que des parents chiaillent et sans que la police ne s'en mêle!
– sans doute et c'est à des difficultés de ce genre qu'il convient évidemment d'attribuer la célébration pacifique de cette messe. Mais, je repense, pour l'instant, à ces femmes que tu m'as décrites, à celles qui se jettent la face sur des réchauds afin de humer la fumée des résines et des plantes; elles usent des procédés des Aïssaouas qui se précipitent également la tête sur des braseros, alors que la catalepsie, nécessaire à leurs exercices, tarde; quant aux autres phénomènes que tu me cites, ils sont connus dans les hospices et, sauf l'effluence démoniaque, ils ne nous apprennent rien de neuf; – maintenant, autre chose, reprit-il, pas un mot de tout cela devant Carhaix, car s'il savait que tu as assisté à un office en l'honneur du diable, il serait capable de te fermer sa porte!
Ils descendirent du logis de Durtal et s'acheminèrent vers les tours de Saint-sulpice.
– je ne me suis pas inquiété des victuailles puisque tu t'en chargeais, dit Durtal, mais j'ai envoyé, ce matin, à la femme de Carhaix, en sus des desserts et du vin, de vrais pains d'épices de Hollande et deux liqueurs un peu surprenantes, un élixir de longue vie que nous prendrons, en guise d'apéritif, avant le repas, et un flacon de crème de céleri. Je les ai découverts chez un distillateur probe.
– oh!
– oui, mon ami, probe; tu verras, cet élixir de longue vie est fabriqué, suivant une très ancienne formule du codex, avec de l'aloès socotrin, du petit cardamome, du safran, de la myrrhe et un tas d'autres aromates. C'est inhumainement amer, mais c'est exquis!
– soit; au reste, c'est bien le moins que nous fêtions la délivrance de Gévingey.
– tu l'as revu?
– oui; il se porte à ravir; nous lui ferons raconter sa guérison.
– je me demande avec quoi il vit encore, celui-là?
– mais avec les ressources que lui procure sa science d'astrologue.
– il y a donc des gens riches qui se font tirer des horoscopes?
– dame, il faut le croire; -à te dire vrai, je pense que Gévingey n'est pas très à son aise. Sous l'empire, il fut l'astrologue de l'impératrice qui était fort superstitieuse et ajoutait foi autant que Napolèon, du reste, aux prédictions et aux sorts; mais depuis la chute de l'empire, sa situation a bien baissé. Il passe cependant pour être le seul en France qui ait conservé les secrets de Cornélius Agrippa et de Crémone, de Ruggiéri et de Gauric, de Sinibald le spadassin et de Trithème.
Ils étaient arrivés, tout en discourant, dans l'escalier, à la porte du sonneur.
L'astrologue était installé déjà et la table était prête. Tous firent un peu la grimace lorsqu'ils goûtèrent l'active et noire liqueur que leur versa Durtal.
Joyeuse de retrouver ses anciens convives, la maman Carhaix apporta la soupe grasse.
Elle emplit les assiettes et comme l'on servait un plat de légumes et que Durtal choisissait un poireau, des Hermies dit, en riant:
– prends garde, Porta, un thaumaturge de la fin du seizième siècle nous apprend que ce légume, longtemps considéré tel qu'un emblème de la virilité, perturbe la quiétude des plus chastes!
– ne l'écoutez pas, fit la femme du sonneur. Et vous? Monsieur Gévingey, une carotte?
Durtal regardait l'astrologue. Il avait toujours sa tête en pain de sucre, ses cheveux de ce brun tourné, sale, qu'ont les poudres d'hydroquinone et d'ipéca, ses yeux effarés d'oiseau, ses énormes mains cerclées de bagues, ses manières obséquieuses et solennelles, son ton de sacerdoce, mais sa mine était presque fraîche; sa peau s'était déplissée, ses yeux semblaient plus clairs, mieux vernis, depuis son retour de Lyon.
Durtal le félicita de l'heureuse issue de sa cure.
– il était temps, monsieur, que je recourusse aux bons soins du Dr Johannès, car j'étais bien bas. Ne possédant point le don de la voyance et ne connaissant aucune cataleptique extralucide qui pût me renseigner sur les préparatifs clandestins du chanoine Docre, j'étais dans l'impossibilité, pour me défendre, d'user de la loi des contresignes et du choc en retour.
– mais, fit des Hermies, en admettant que vous ayez pu, par l'intermédiaire d'un esprit volant, suivre les opérations de ce prêtre, comment seriez-vous parvenu à les déjouer?
– voici: la loi des contresignes consiste, lorsqu'on sait le jour, l'heure de l'attaque, à la devancer, en fuyant de chez soi, ce qui dépayse et annule le vénéfice; ou à dire, une demi-heure auparavant:
frappez, me voici! Ce dernier moyen a pour but d'éventer les fluides et de paralyser les pouvoirs de l'assaillant. En magie, tout acte connu, publié, est perdu. Quant au choc en retour, il faut également être avisé, si l'on veut, sans être tout d'abord atteint, refouler les sorts sur la personne qui les dépêche.
J'étais donc certain de périr; un jour s'était écoulé déjà depuis mon envoûtement; deux de plus, et je laissais à Paris mes os.
– pourquoi cela?
– parce que tout individu, frappé par la voie magique, n'a que trois jours pour se garantir. Passé ce délai, le mal devient très souvent incurable. Aussi, lorsque Docre m'annonça qu'il me condamnait, de sa propre autorité, à la peine de mort et lorsque, deux heures après, je me suis senti, en rentrant chez moi, bien malade, je n'ai pas hésité à boucler ma valise et à me rendre à Lyon.
– et là? Questionna Durtal.
– là, j'ai vu le Dr Johannès; je lui ai raconté la menace de Docre, le mal dont je souffrais. Il m'a dit simplement: ce prêtre sait enrober les plus virulents des poisons dans les plus effroyables des sacrilèges; la lutte sera têtue, mais je le vaincrai; et il a aussitôt appelé une dame qui habite chez lui, une voyante.
Il l'a endormie et elle a, sur ses injonctions, expliqué la nature du sortilège que j'ai subi; elle a reconstitué la scène, m'a littéralement vu empoisonner par le sang des menstrues d'une femme nourrie d'hosties poignardées et de drogues habilement dosées et mêlées à ses boissons et à ses mets; cette sorte d'envoûtement est si terrible qu'à part le Dr Johannès, aucun thaumaturge en France n'ose tenter ces cures!
Aussi, le docteur a-t-il fini par me dire: votre guérison ne peut être obtenue que par une puissance infrangible; il n'y a pas à lanterner, nous allons, et tout de suite, recourir au sacrifice de gloire de Melchissédec.
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