Octave Mirbeau - Le journal d’une femme de chambre

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Le journal d’une femme de chambre: краткое содержание, описание и аннотация

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Célestine entre dans sa nouvelle place de femme de chambre, en province, au service de M. et Mme Lanlaire et aux côtés de la cuisinière Marianne et du palefrenier Joseph. Elle se souvient de ses anciens maîtres, comme ce vieillard fasciné par les bottines, ou cette vieille femme qui va s'encanailler, ou encore cette épouse qui attend chaque nuit d'être honorée par son mari. Célestine est mise au courant de tous les ragots de la ville par les autres servantes: Madame est une femme acariâtre et Monsieur, coureur de jupons, se laisse dominer par elle. Leurs voisins – un vieux capitaine et sa servante, Rose, qui lui sert de maîtresse – les détestent. À la nouvelle de la mort de sa mère, Célestine se remémore son enfance et sa première expérience amoureuse. Monsieur entreprend Célestine, qui le repousse…

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Il n’y a plus à douter. Joseph doit être une immense canaille. Et cette opinion que j’ai de sa personne morale, au lieu de m’éloigner de lui, loin de mettre entre nous de l’horreur, fait, non pas que je l’aime peut-être, mais qu’il m’intéresse énormément. C’est drôle, j’ai toujours eu un faible pour les canailles… Ils ont un imprévu qui fouette le sang… une odeur particulière qui vous grise, quelque chose de fort et d’âpre qui vous prend par le sexe. Si infâmes que soient les canailles, ils ne le sont jamais autant que les honnêtes gens. Ce qui m’ennuie de Joseph, c’est qu’il a la réputation et, pour celui qui ne connaît pas ses yeux, les allures d’un honnête homme. Je l’aimerais mieux franchement, effrontément canaille. Il est vrai qu’il n’aurait plus cette auréole de mystère, ce prestige de l’inconnu qui m’émeut et me trouble et qui m’attire – oui là – qui m’attire vers ce vieux monstre.

Maintenant je suis plus calme, parce que j’ai la certitude, parce que rien ne peut m’enlever désormais la certitude que c’est lui qui a violé la petite Claire, dans le bois.

Depuis quelque temps, je m’aperçois que j’ai fait sur le cœur de Joseph une impression considérable. Son mauvais accueil est fini; son silence ne m’est plus hostile ou méprisant, et il y a presque de la tendresse dans ses bourrades. Ses regards n’ont plus de haine – en ont-ils jamais eu d’ailleurs? – et s’ils sont encore si terribles, parfois, c’est qu’il cherche à me connaître mieux, toujours mieux, et qu’il veut m’éprouver. Comme la plupart des paysans, il est extrêmement méfiant, il évite de se livrer aux autres, car il croit qu’on veut le «mettre dedans». Il doit posséder de nombreux secrets, mais il les cache jalousement, sous un masque sévère, renfrogné et brutal, comme on renferme des trésors dans un coffre de fer, armé de barres solides et de mystérieux verroux. Pourtant, vis-à-vis de moi, sa méfiance s’atténue… Il est charmant pour moi, dans son genre… Il fait tout ce qu’il peut pour me marquer son amitié et me plaire. Il se charge des corvées trop pénibles, prend à son compte les gros ouvrages qui me sont attribués, et cela, sans mièvrerie, sans arrière-pensée galante, sans chercher à provoquer ma reconnaissance, sans vouloir en tirer un profit quelconque. De mon côté, je remets de l’ordre dans ses affaires, je raccommode ses chaussettes, ses pantalons, rapièce ses chemises, range son armoire, avec bien plus de soin et de coquetterie que celle de Madame. Et il me dit avec des yeux de contentement:

– C’est bien, ça, Célestine… Vous êtes une bonne femme… une femme d’ordre. L’ordre, voyez-vous, c’est la fortune. Et quand on est gentille, avec ça… quand on est une belle femme, il n’y a pas mieux…

Jusque-là, nous n’avons causé ensemble que par à-coups. Le soir, à la cuisine, avec Marianne, la conversation ne peut être que générale… Aucune intimité n’est permise entre nous deux. Et, quand je le vois seul, rien n’est plus difficile que de le faire parler… Il refuse tous les longs entretiens, craignant sans doute de se compromettre. Deux mots par ci… deux mots par là… aimables ou bourrus… et c’est tout… Mais ses yeux parlent, à défaut de sa bouche… Et ils rôdent autour de moi, et ils m’enveloppent, et ils descendent en moi, au plus profond de moi, afin de me retourner l’âme et de voir ce qu’il y a dessous.

Pour la première fois, nous nous sommes entretenus longuement, hier. C’était le soir. Les maîtres étaient couchés; Marianne était montée dans sa chambre, plus tôt que de coutume. Ne me sentant pas disposée à lire ou à écrire, je m’ennuyais d’être seule. Toujours obsédée par l’image de la petite Claire, j’allai retrouver Joseph dans la sellerie où, à la lueur d’une lanterne sourde, il épluchait des graines, assis devant une petite table de bois blanc. Son ami, le sacristain, était là, près de lui, debout, portant sous ses deux bras des paquets de petites brochures, rouges, vertes, bleues, tricolores… Gros yeux ronds dépassant l’arcade des sourcils, crâne aplati, peau fripée, jaunâtre et grenue, il ressemblait à un crapaud… Du crapaud, il avait aussi la lourdeur sautillante. Sous la table, les deux chiens, roulés en boule, dormaient, la tête enfouie dans leurs poils.

– Ah! c’est vous, Célestine? fit Joseph.

Le sacristain voulut cacher ses brochures… Joseph le rassura.

– On peut parler devant Mademoiselle… C’est une femme d’ordre…

Et il recommanda:

– Ainsi, mon vieux, c’est compris, hein?… À Bazoches… à Courtain… à Fleur-sur-Tille… Et que ce soit distribué demain, dans la journée… Et tâche de rapporter des abonnements… Et, que je te le dise encore… va partout… entre dans toutes les maisons… même chez les républicains… Ils te foutront peut-être à la porte?… Ça ne fait rien… Entête-toi… Si tu gagnes un de ces sales cochons… c’est toujours ça… Et puis rappelle-toi que tu as cent sous par républicain…

Le sacristain approuvait en hochant la tête. Ayant recalé les brochures sous ses bras, il partit, accompagné jusqu’à la grille par Joseph.

Quand celui-ci revint, il vit ma figure curieuse, mes yeux interrogateurs:

– Oui… fit-il négligemment, quelques chansons… quelques images… et des brochures contre les juifs, qu’on distribue pour la propagande… Je me suis arrangé avec les messieurs prêtres… je travaille pour eux, quoi! C’est dans mes idées, pour sûr… faut dire aussi que c’est bien payé…

Il se remit devant la petite table où il épluchait ses graines. Les deux chiens réveillés tournèrent dans la pièce et allèrent se recoucher plus loin.

– Oui… oui… répéta-t-il… c’est pas mal payé… Ah! ils en ont de l’argent, allez, les messieurs prêtres…

Et comme s’il eût craint d’avoir trop parlé, il ajouta:

– Je vous dis ça… Célestine… parce que vous êtes une bonne femme… une femme d’ordre… et que j’ai confiance en vous… C’est entre nous, dites?…

Après un silence:

– Quelle bonne idée que vous soyez venue ici, ce soir… remercia-t-il… C’est gentil… ça me flatte…

Jamais je ne l’avais vu aussi aimable, aussi causant… Je me penchai sur la petite table, tout près de lui, et, remuant les graines triées dans une assiette, je répondis avec coquetterie:

– C’est vrai aussi… vous êtes parti, tout de suite, après le dîner. On n’a pas eu le temps de tailler une bavette… Voulez-vous que je vous aide à éplucher vos graines?

– Merci, Célestine… C’est fini…

Il se gratta la tête:

– Sacristi!… fit-il, ennuyé… je devrais aller voir aux châssis… Les mulots ne me laissent pas une salade, ces vermines-là… Et puis, ma foi, non… faut que je vous cause, Célestine…

Joseph se leva, referma la porte qui était restée entr’ouverte, m’entraîna au fond de la sellerie. J’eus peur, une minute… La petite Claire, que j’avais oubliée, m’apparut sur la bruyère de la forêt, affreusement pâle et sanglante… Mais les regards de Joseph n’étaient pas méchants; ils semblaient plutôt timides… On se voyait à peine dans cette pièce sombre qu’éclairait, d’une clarté trouble et sinistre, la lueur sourde de la lanterne… Jusque-là, la voix de Joseph avait tremblé. Elle prit soudain de l’assurance, presque de la gravité.

– Il y a déjà quelques jours que je voulais vous confier ça, Célestine… commença-t-il… Eh bien, voilà… J’ai de l’amitié pour vous… Vous êtes une bonne femme… une femme d’ordre… Maintenant, je vous connais bien, allez!…

Je crus devoir sourire d’un malicieux et gentil sourire, et je répliquai:

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