Octave Mirbeau - Le journal d’une femme de chambre

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Le journal d’une femme de chambre: краткое содержание, описание и аннотация

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Célestine entre dans sa nouvelle place de femme de chambre, en province, au service de M. et Mme Lanlaire et aux côtés de la cuisinière Marianne et du palefrenier Joseph. Elle se souvient de ses anciens maîtres, comme ce vieillard fasciné par les bottines, ou cette vieille femme qui va s'encanailler, ou encore cette épouse qui attend chaque nuit d'être honorée par son mari. Célestine est mise au courant de tous les ragots de la ville par les autres servantes: Madame est une femme acariâtre et Monsieur, coureur de jupons, se laisse dominer par elle. Leurs voisins – un vieux capitaine et sa servante, Rose, qui lui sert de maîtresse – les détestent. À la nouvelle de la mort de sa mère, Célestine se remémore son enfance et sa première expérience amoureuse. Monsieur entreprend Célestine, qui le repousse…

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– Mon enfant, me dit-elle, M mePaulhat-Durand (c’était la placeuse) m’a fait de vous le meilleur éloge… Je crois que vous le méritez, car vous avez une figure intelligente, franche et gaie, qui me plaît beaucoup. J’ai besoin d’une personne de confiance et de dévouement… De dévouement!… Ah! je sais que je demande là une chose bien difficile… car, enfin, vous ne me connaissez pas et vous n’avez aucune raison de m’être dévouée… Je vais vous expliquer dans quelles conditions je me trouve… Mais ne restez pas debout, mon enfant… venez vous asseoir près de moi…

Il suffit qu’on me parle doucement, il suffit qu’on ne me considère point comme un être en dehors des autres et en marge de la vie, comme quelque chose d’intermédiaire entre un chien et un perroquet, pour que je sois, tout de suite, émue,… et, tout de suite, je sens revivre en moi une âme d’enfant… Toutes mes rancunes, toutes mes haines, toutes mes révoltes, je les oublie comme par miracle, et je n’éprouve plus, envers les personnes qui me parlent humainement, que des sentiments d’abnégation et d’amour… Je sais aussi, par expérience, qu’il n’y a que les gens malheureux, pour mettre la souffrance des humbles de plain-pied avec la leur… Il y a toujours de l’insolence et de la distance dans la bonté des heureux!…

Quand je fus assise auprès de cette vénérable dame en deuil, je l’aimais déjà… je l’aimais véritablement.

Elle soupira:

– Ce n’est pas une place bien gaie que je vous offre, mon enfant…

Avec une sincérité d’enthousiasme qui ne lui échappa point, je protestai vivement:

– Il n’importe, Madame… Tout ce que Madame me demandera, je le ferai…

Et c’était vrai… J’étais prête à tout…

Elle me remercia d’un bon regard tendre, et elle reprit:

– Eh bien, voici… J’ai été très éprouvée dans la vie… De tous les miens que j’ai perdus… il ne me reste plus qu’un petit-fils… menacé, lui aussi, de mourir du mal terrible dont les autres sont morts…

Craignant de prononcer le nom de ce terrible mal, elle me l’indiqua, en posant sur sa poitrine sa vieille main gantée de noir… et, avec une expression plus douloureuse:

– Pauvre petit!… C’est un enfant charmant, un être adorable… en qui j’ai mis mes dernières espérances. Car, après lui, je serai toute seule… Et qu’est-ce que je ferai sur la terre, mon Dieu?…

Ses prunelles se couvrirent d’un voile de larmes… À petits coups de son mouchoir, elle les essuya et continua:

– Les médecins assurent qu’on peut le sauver… qu’il n’est pas profondément atteint… Ils ont prescrit un régime dont ils attendent beaucoup de bien… Tous les après-midi, Georges devra prendre un bain de mer, ou plutôt, il devra se tremper une seconde dans la mer… Ensuite, il faudra qu’on le frotte énergiquement, sur tout le corps, avec un gant de crin, pour activer la circulation… ensuite, il faudra l’obliger à boire un verre de vieux Porto… ensuite qu’il reste étendu, au moins une heure, dans un lit bien chaud… Ce que je voudrais de vous, mon enfant, c’est cela, d’abord… Mais comprenez-moi bien, c’est surtout de la jeunesse, de la gentillesse, de la gaîté, de la vie… Chez moi, c’est ce qui lui manque le plus… J’ai deux serviteurs très dévoués… mais ils sont vieux, tristes et maniaques… Georges ne peut les souffrir… Moi-même, avec ma vieille tête blanchie et mes constants habits de deuil, je sens que je l’afflige… Et ce qu’il y a de pire, je sens bien aussi que, souvent, je ne puis lui cacher mes appréhensions… Ah! je sais que ce n’est peut-être pas le rôle d’une jeune fille, telle que vous, auprès d’un aussi jeune enfant, comme est Georges… car il n’a que dix-neuf ans, mon Dieu!… Le monde trouvera, sans doute, à y redire… Je ne m’occupe pas du monde… je ne m’occupe que de mon petit malade… et j’ai confiance en vous… Vous êtes une honnête femme, je suppose…

– Oh!… oui… Madame… m’écriai-je, certaine à l’avance d’être l’espèce de sainte que venait chercher la grand’mère désolée, pour le salut de son enfant.

– Et lui… le pauvre petit, grand Dieu!… Dans son état!… Dans son état, voyez-vous, plus que des bains de mer, peut-être, il a besoin de ne rester jamais seul, d’avoir, sans cesse, auprès de lui, un joli visage, un rire frais et jeune… quelque chose qui éloigne de son esprit l’idée de la mort, quelqu’un qui lui donne confiance en la vie… Voulez-vous?…

– J’accepte, Madame, répondis-je, émue jusqu’aux entrailles… Et que Madame soit sûre que je soignerai bien M. Georges…

Il fut convenu que j’entrerais, le soir même, dans la place, et que nous partirions, le surlendemain, pour Houlgate où la dame en deuil avait loué une belle villa sur la plage.

La grand’mère n’avait pas menti… M. Georges était un enfant charmant, adorable. Son visage imberbe avait la grâce d’un beau visage de femme; d’une femme aussi, ses gestes indolents, et ses mains longues, très blanches, très souples, où transparaissait le réticule des veines… Mais quels yeux ardents!… Quelles prunelles dévorées d’un feu sombre, dans des paupières cernées de bleu et qu’on eût dites brûlées par les flammes du regard!… Quel intense foyer de pensée, de passion, de sensibilité, d’intelligence, de vie intérieure!… Et comme déjà les fleurs rouges de la mort envahissaient ses pommettes!… Il semblait que ce ne fût pas de la maladie, que ce ne fût pas de la mort qu’il mourait, mais de l’excès de vie, de la fièvre de vie qui était en lui et qui rongeait ses organes, desséchait sa chair… Ah! qu’il était joli et douloureux à contempler!… Quand la grand’mère me mena près de lui, il était étendu sur une chaise longue et il tenait, dans sa longue main blanche, une rose sans parfum… Il me reçut, non comme une domestique, presque comme une amie qu’il attendait… Et moi, dès ce premier moment, je m’attachai à lui, de toutes les forces de mon âme.

L’installation à Houlgate se fit sans incidents, comme s’était fait le voyage. Tout était prêt, lorsque nous y arrivâmes… Nous n’avions plus qu’à prendre possession de la villa, une villa spacieuse, élégante, pleine de lumière et de gaîté, qu’une large terrasse, avec ses fauteuils d’osier et ses tentes bigarrées, séparait de la plage. On descendait à la mer par un escalier de pierre, pratiqué dans la digue, et les vagues venaient chanter sur les premières marches, aux heures de la marée montante. Au rez-de-chaussée, la chambre de M. Georges s’ouvrait par de larges baies, sur un admirable paysage de mer… La mienne, – une chambre de maître, tendue de claire cretonne, – en face de celle de M. Georges, de l’autre côté d’un couloir, donnait sur un petit jardin où poussaient quelques maigres fusains et de plus maigres rosiers. Exprimer par des mots ma joie, ma fierté, mon émotion, tout ce que j’éprouvai d’orgueil pur et nouveau à être ainsi traitée, choyée, admise comme une dame, au bien-être, au luxe, au partage de cette chose si vainement convoitée, qu’est la famille… expliquer comment, par un simple coup de baguette de cette miraculeuse fée: la bonté, il arriva, instantanément que c’en fut fini du souvenir de mes humiliations passées, et que je conçus tous les devoirs auxquels m’astreignait cette dignité d’être humain, enfin conférée, je ne le puis… Ce que je puis dire, c’est que, véritablement, je connus la magie de la transfiguration… Non seulement le miroir attesta que j’étais devenue subitement plus belle, mais mon cœur me cria que j’étais réellement meilleure… Je découvris en moi des sources, des sources, des sources… des sources intarissables, des sources sans cesse jaillissantes de dévouement, de sacrifice… d’héroïsme… et je n’eus plus qu’une pensée: sauver à force de soins intelligents, de fidélités attentives, d’ingéniosités merveilleuses, sauver M. Georges de la mort…

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