Octave Mirbeau - Le journal d’une femme de chambre

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Le journal d’une femme de chambre: краткое содержание, описание и аннотация

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Célestine entre dans sa nouvelle place de femme de chambre, en province, au service de M. et Mme Lanlaire et aux côtés de la cuisinière Marianne et du palefrenier Joseph. Elle se souvient de ses anciens maîtres, comme ce vieillard fasciné par les bottines, ou cette vieille femme qui va s'encanailler, ou encore cette épouse qui attend chaque nuit d'être honorée par son mari. Célestine est mise au courant de tous les ragots de la ville par les autres servantes: Madame est une femme acariâtre et Monsieur, coureur de jupons, se laisse dominer par elle. Leurs voisins – un vieux capitaine et sa servante, Rose, qui lui sert de maîtresse – les détestent. À la nouvelle de la mort de sa mère, Célestine se remémore son enfance et sa première expérience amoureuse. Monsieur entreprend Célestine, qui le repousse…

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La messe tire en longueur et je m’ennuie… Je suis surtout vexée de me trouver au milieu d’un monde si ordinaire, si laid, et qui fait si peu attention à moi. Pas un joli spectacle, pas une jolie toilette où reposer ma pensée… où égayer mes yeux… Jamais je n’ai mieux compris que je suis faite pour la joie de l’élégance et du chic… Au lieu de s’exalter, comme aux messes de Paris, tous mes sens offensés protestent à la fois… Pour me distraire, je suis attentivement les mouvements du prêtre qui officie. Ah bien, merci! C’est une espèce de grand gaillard, tout jeune, de physionomie vulgaire, couleur de brique rose. Avec ses cheveux ébouriffés, sa mâchoire de proie, ses lèvres goulues, ses petits yeux obscènes, ses paupières cernées de noir, je l’ai bien vite jugé… Ce qu’il doit s’en payer, à table, de la nourriture, celui-là!… Et au confessionnal, donc… ce qu’il doit en dire des saletés et en trousser des jupons!… Rose, s’apercevant que je le regarde, se penche vers moi, et, tout bas, elle me dit:

– C’est le nouveau vicaire… Je vous le recommande. Il n’y en a pas comme lui pour confesser les femmes… M. le curé est un saint homme, bien sûr… mais on le trouve trop sévère… Tandis que le nouveau vicaire…

Elle claque de la langue et se remet en prière, la tête courbée sur le prie-Dieu.

Eh bien, il ne me plairait pas, le nouveau vicaire. Il a l’air sale et brutal… Il ressemble plus à un charretier qu’à un prêtre… Moi, il me faut de la délicatesse, de la poésie… de l’au-delà… et des mains blanches. J’aime que les hommes soient doux et chic, comme était monsieur Jean…

Après la messe, Rose m’entraîne chez l’épicière… En quelques mots mystérieux, elle m’explique qu’il faut être bien avec elle, et que toutes les domestiques lui font une cour empressée…

Encore une petite boulotte – décidément, c’est le pays des grosses femmes… Son visage est criblé de taches de rousseur, ses cheveux, blond filasse, rares et ternes, laissent voir des parties de crâne, au sommet duquel se hérisse drôlement, et pareil à un petit balai, un chignon. Au moindre mouvement, sa poitrine, sous le corsage de drap brun, remue comme un liquide dans une bouteille… Ses yeux, bordés d’un cercle rouge, s’éraillent, et sa bouche ignoble transforme en grimaces le sourire… Rose me présente:

– Madame Gouin, je vous amène la nouvelle femme de chambre du Prieuré…

L’épicière m’observe avec attention et je remarque que son regard s’attache à ma taille, à mon ventre, avec une obstination gênante… Elle dit d’une voix blanche:

– Mademoiselle est chez elle, ici… Mademoiselle est une belle fille… Mademoiselle est parisienne, sans doute?…

– En effet, madame Gouin, j’arrive de Paris…

– Ça se voit… ça se voit, tout de suite… il n’y a pas besoin de vous regarder à deux fois… J’aime beaucoup les Parisiennes… elles savent ce que c’est que de vivre… Moi aussi j’ai servi à Paris, quand j’étais jeune… j’ai servi chez une sage-femme de la rue Guénégaud, M meTripier… Vous la connaissez peut-être?…

– Non…

– Ça ne fait rien… Ah! dame, il y a longtemps… Mais entrez donc, mademoiselle Célestine…

Elle nous fait passer, cérémonieusement, dans l’arrière-boutique où se trouvent déjà réunies, autour d’une table ronde, quatre domestiques…

– Ah! vous en aurez du tintouin, ma pauvre demoiselle… gémit l’épicière en m’offrant un siège… Ce n’est pas parce que l’on ne me prend plus rien, au château… mais je puis bien dire que c’est une maison infernale… infernale… N’est-ce pas, Mesdemoiselles?…

– Pour sûr!… répondent, unanimement, avec des gestes pareils et de pareilles grimaces, les quatre domestiques interpellées…

M meGouin poursuit:

– Merci!… je ne voudrais pas fournir des gens qui marchandent tout le temps et crient, comme des putois, qu’on les vole, qu’on leur fait du tort… Ils peuvent bien aller où ils veulent…

Le chœur des domestiques reprend:

– Bien sûr qu’ils peuvent aller où ils veulent.

À quoi M meGouin, s’adressant plus particulièrement à Rose, ajoute d’un ton ferme:

– On ne court pas après, dites, mam’zelle Rose?… Dieu merci, on n’a pas besoin d’eux, n’est-ce pas?

Rose se contente de hausser les épaules et de mettre dans ce geste tout ce qu’il y a en elle de fiel concentré, de rancunes et de mépris… Et l’énorme chapeau mousquetaire, par le mouvement désordonné des plumes noires, accentue l’énergie de ces sentiments violents.

Puis, après un silence:

– Tenez!… Parlons point de ces gens-là… Chaque fois que j’en parle, j’ai mal au ventre…

Une petite noiraude, maigre, avec un museau de rat, un front fleuri de boutons et des yeux qui suintent, s’écrie au milieu des rires:

– Pour sûr, qu’on les a quelque part…

Là-dessus, les histoires, les potins recommencent… C’est un flot ininterrompu d’ordures vomies par ces tristes bouches, comme d’un égout… Il semble que l’arrière-boutique en est empestée… Je ressens une impression d’autant plus pénible que la pièce où nous sommes est sombre et que les figures y prennent des déformations fantastiques… Elle n’est éclairée, cette pièce, que par une étroite fenêtre qui s’ouvre sur une cour crasseuse, humide, une sorte de puits formé par des murs que ronge la lèpre des mousses… Une odeur de saumure, de légumes fermentés, de harengs saurs, persiste autour de nous, imprègne nos vêtements… C’est intolérable… Alors, chacune de ces créatures, tassées sur leur chaise comme des paquets de linge sale, s’acharne à raconter une vilenie, un scandale, un crime… Lâchement, j’essaie de sourire avec elles, d’applaudir avec elles, mais j’éprouve quelque chose d’insurmontable, quelque chose comme un affreux dégoût… Une nausée me retourne le cœur, me monte à la gorge impérieusement, m’affadit la bouche, me serre les tempes… Je voudrais m’en aller… Je ne le puis, et je reste là, idiote, tassée comme elles sur ma chaise, ayant les mêmes gestes qu’elles, je reste là à écouter stupidement ces voix aigres qui me font l’effet d’eaux de vaisselle, glougoutant et s’égouttant par les éviers et par les plombs…

Je sais bien qu’il faut se défendre contre ses maîtres… et je ne suis pas la dernière à le faire, je vous assure… Mais non… là… tout de même, cela passe l’imagination… Ces femmes me sont odieuses; je les déteste, et je me dis tout bas que je n’ai rien de commun avec elles… L’éducation, le frottement avec les gens chics, l’habitude des belles choses, la lecture des romans de Paul Bourget m’ont sauvée de ces turpitudes… Ah! les jolies et amusantes rosseries des offices parisiens, elles sont loin!…

C’est Rose qui décidément obtient le plus grand succès… Elle raconte avec des yeux papillotants et des lèvres mouillées de plaisir:

– Tout cela n’est rien auprès de M meRodeau… la femme du notaire… Ah! il s’en passe des choses chez elle…

– Je m’en doutais… dit l’une.

Une autre énonce, en même temps:

– Elle a beau être dans les curés… je l’ai toujours pensé que c’est une rude cochonne…

Tous les regards sont émérillonnés, tous les cous tendus vers Rose, qui commence son récit:

– Avant hier, M. Rodeau était parti, soi-disant à la campagne, pour toute la journée…

Afin de m’édifier sur le compte de M. Rodeau, elle ouvre, en mon honneur, cette parenthèse:

– Un homme louche… un notaire guères catholique, que ce M. Rodeau… Ah! il y en a des mic-macs dans son étude… à preuve que j’ai fait retirer par le capitaine des fonds qu’il y avait déposés… Oui, dame!… Mais ce n’est pas de M. Rodeau qu’il s’agit pour l’instant…

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